Nouvelle politique de participation à Québec. Point de vue d’une citoyenne impliquée
Anne-Sophie Desprez, administratrice élue et secrétaire du conseil de quartier de Montcalm à Québec. Elle est également responsable des communications pour l’organisme Action patrimoine.
Les conseils de quartier jouent un rôle important au cœur de la vie démocratique de Québec et dans les décisions qui concernent l’aménagement de l’espace urbain. Dans le contexte de la refonte de la politique de participation citoyenne de la Ville, Anne-Sophie Desprez, administratrice élue du conseil de quartier de Montcalm, se demande quelle place sera réservée à ces instances dans l’avenir.
Pour la Ville de Québec, comme pour bien d’autres municipalités, la participation publique est à un carrefour. Par l’adoption, en juillet 2018, du Règlement sur la participation publique en matière d’aménagement et d’urbanisme, le gouvernement a autorisé les municipalités du Québec à abolir les référendums citoyens à condition qu’elles se dotent d’une politique de participation publique. Si un référendum représente un pouvoir de pression sans égal pour les citoyens, une politique de participation, pourvu qu’elle ne soit pas juste une occasion de transmettre de l’information, leur permet de se prononcer régulièrement sur les questions qui touchent leur ville. Dans bien des municipalités à travers le monde, les politiques de consultation et de participation fleurissent. Elles permettent aux citoyens de donner leur avis au moyen de plateformes diverses telles que des sondages en ligne, des ateliers de conception de projets, des séances de consultation ou encore des cafés de conversation.
Sous la forme qu’ils prennent à Québec, les conseils de quartier sont des instances qui n’existent pas ailleurs dans la province, même pas à Montréal. Composés de membres élus et fonctionnant à la manière d’un conseil d’administration, ils offrent un lieu d’échange et de collaboration pour les résidents, les commerçants et les travailleurs. Ils ont aussi pour rôle de représenter ces personnes auprès des élus municipaux. Ce n’est pas pour rien qu’on appelle conseils ces groupes reconnus par la Ville. Lorsqu’il les a créés avec son équipe en 1989, Jean-Paul L’Allier, ancien ministre et maire de Québec de l’époque, voulait qu’ils soient des instances politiques. Ainsi, dans une conférence, en 2014, il avait affirmé à propos de cette démarche : « On s’est dit : on va faire des conseils de quartier à Québec, mais on va les faire sans responsabilités administratives et avec des responsabilités politiques. Les gens qui s’impliquaient voulaient s’occuper de leur espace urbain […]. » Dans le contexte du réaménagement et de la revitalisation de Saint-Roch et face à la spéculation immobilière qui visait le quartier, l’objectif était d’aller chercher l’appui et les idées de la population pour faire émerger d’autres projets.
Selon les données de la Ville de Québec, il y avait deux conseils de quartier en 1993, soit avant la fusion de Québec avec les municipalités environnantes ; on en compte aujourd’hui 27 (sur 35 quartiers), qui donnent une voix à ceux qui n’en ont pas toujours. Cette organisation crée sans conteste un lien privilégié entre la population, les membres du conseil municipal et les fonctionnaires. En assemblée, bon nombre de sujets passent sur la table : les grandes orientations et politiques de la Ville, la qualité et l’accessibilité des services municipaux, les initiatives citoyennes, la mobilité, la gestion des déchets, mais surtout l’aménagement du territoire. Qu’il s’agisse des routes, des trottoirs, des projets immobiliers, de la sauvegarde des édifices ou de la mise en valeur du patrimoine, toutes ces questions sont de l’ordre de l’aménagement et font appel à la vision qu’ont les citoyens de leur quartier. Les avis énoncés par les conseils de quartier peuvent concerner les changements de zonage, notamment pour les projets immobiliers. Ils peuvent aussi porter sur des modifications aux règlements d’urbanisme pour l’adoption, par exemple, d’un programme particulier d’urbanisme (PPU) ou d’un plan d’implantation et d’intégration architecturale (PIIA) dans une zone déterminée.
Les conseils de quartier sont donc en première ligne lorsqu’il s’agit de prendre des décisions sur l’avenir des bâtiments et des espaces vacants. Parmi les cas que j’ai suivis, il y a celui de la boucherie abandonnée depuis quelques années au cœur de la zone commerciale du quartier Saint-Jean-Baptiste. En proie à des problèmes de salubrité, elle devait être démolie. Nous ne parlons pas d’un édifice possédant de grandes qualités esthétiques. Cependant, le bâtiment de brique, dont la hauteur et les matériaux sont représentatifs du style de cet ancien quartier ouvrier, laisserait place à un immeuble à logements d’allure inconnue. Lors de la consultation organisée par le conseil de quartier, ouverte aux résidents et aux citoyens intéressés, le promoteur a expliqué son projet sans plan de présentation et sans maquettes. Puis, le responsable de l’urbanisme de la Ville, aussi présent, a confirmé que ce projet respectait les règlements d’urbanisme du quartier. Sont finalement venues les questions. Qu’en était-il de l’aspect du nouveau bâtiment qui s’implanterait dans un lieu historique où chaque propriétaire doit demander un permis pour changer un élément de sa façade ? Comment allait-il s’intégrer à l’ensemble du quartier et surtout à la rue Saint-Jean, une artère commerciale majeure du centre-ville ? L’immeuble respectait les dimensions imposées par la Ville, mais rien ne permettait d’évaluer sa qualité architecturale. Malgré tout, le projet est allé de l’avant…
Des cas qui ne font pas l’unanimité, il est possible d’en citer bien d’autres, comme le remplacement de l’église de Saint-François-d’Assise à Limoilou par une tour de 18 étages. Mentionnons également le projet immobilier Le Phare, à Sainte-Foy, dont les hauteurs dépasseront largement celles autorisées dans ce quartier. Les consultations publiques l’ont montré : une fois qu’elle s’exprime, l’opposition est difficile à renverser. Actuellement, les initiatives de participation publique visent à informer la population d’un projet déjà établi et à recueillir son consentement ou son mécontentement. Les architectes ou les chargés de projet retournent ensuite à leur planche à dessin pour changer quelques aspects litigieux. Or, on pourrait inviter bien avant les citoyens à co-penser le projet en s’appuyant sur une vision d’ensemble du quartier, voire de la ville. Les conseils de quartier sont par définition des instances partenaires idéales dans ce genre de démarche collaborative, mais ils demeurent pour l’instant un moyen parmi d’autres d’aller chercher un certain consensus social. Pourtant, certains conseils ont largement fait leurs devoirs. Par exemple, celui de Montcalm, auquel je siège, s’est doté dans les dernières années d’une vision de développement pour le quartier, mais aussi d’une grille d’acceptabilité sociale pour analyser dans la plus grande transparence les projets qui lui sont soumis.
En raison de mon travail dans le domaine de la promotion et de la mise en valeur du patrimoine, je vois chaque jour des citoyens chercher une meilleure écoute de leur municipalité. En m’impliquant dans un conseil de quartier, j’avais envie de comprendre et de mieux sentir le poids que peuvent avoir les citoyens dans les décisions. Je souhaitais également voir à quel moment ma ville choisit d’inclure sa population dans ses démarches. Après l’adoption de sa nouvelle politique de participation publique, le fera-t-elle de manière systématique et en amont des projets, notamment immobiliers, qui viennent changer le visage de nos rues et de nos quartiers ? La Ville de Québec donnera-t-elle l’exemple et passera-t-elle, comme on est en droit de s’y attendre, de la consultation actuelle à une réelle participation publique ? Ça reste à voir…
D’ici 2019
Après une première période de consultation auprès des conseils de quartier et des citoyens en mai 2018, la Ville de Québec permettra à l’automne le dépôt de mémoires sur les attentes de la population en matière de participation publique. Elle déposera la version définitive de son projet de politique de participation publique au début de l’année 2019.