S’approprier les murs et les cœurs
Francine Saint-Laurent, Journaliste indépendante
Les muralistes font plus que mettre de la couleur dans les villes : leurs fresques abordent l’histoire et les enjeux sociaux.
Revendicateurs, engagés et créatifs, les artistes de rue libèrent leurs émotions en déployant un déluge de couleurs sur les briques et le béton. Ils transforment l’espace public et connaissent un succès grandissant. De Montréal à Québec en passant par de nombreuses villes, leurs murales séduisent.
Un exemple ? Visible depuis de nombreux endroits de Montréal, l’immense hommage à Leonard Cohen, sur la rue Crescent, s’étend sur un mur de 21 étages. Cette œuvre de 1 000 mètres carrés intitulée Tower of Songs a été réalisée en 2017 par Gene Pendon et par le réputé El Mac ainsi que par 13 artistes-assistants. Les citoyens ont vite adopté cette œuvre qui immortalise l’auteur-compositeur-interprète juif anglophone décédé en 2016 et comporte un aspect historique. En effet, lorsqu’il étudiait en littérature anglaise à l’Université McGill dans les années 1950, Leonard Cohen fréquentait ce coin du centre-ville.
D’autres fresques cachent une référence historique. La murale Manifeste à Paul-Émile Borduas créée par Thomas Csano avec la collaboration du calligraphe Luc Saucier se trouve dans le même secteur que l’ancienne École du meuble où Borduas, peintre et sculpteur, a longtemps enseigné.
Ces deux œuvres s’intègrent à la série lancée en 2010 par MU (un organisme montréalais indépendant) sur les bâtisseurs qui ont marqué notre histoire. Aux yeux d’Elizabeth-Ann Doyle, cofondatrice, directrice artistique et générale de MU, ces murales constituent non seulement une véritable galerie d’art à ciel ouvert apportant de la couleur et de la vie dans les espaces publics, mais elles rappellent aussi notre passé. « La murale en hommage à Jean-Paul Riopelle réalisée par Marc Séguin en 2022 évoque le riche héritage culturel de cet artiste montréalais d’envergure internationale. » L’œuvre se trouve dans le quartier où est né Jean-Paul Riopelle, soit le Plateau-Mont-Royal.
De vieux murs qui prennent vie
Québec n’est pas en reste. À l’occasion de son 400e anniversaire, la Ville a commandé six peintures murales pour évoquer son histoire, ajoutant du caractère haut en couleur aux murs ternes de certains bâtiments du Vieux-Québec. « La murale La Fresque des Québécois restitue à elle seule près de 400 ans d’histoire par la représentation d’une quinzaine de personnages célèbres comme Champlain, Félix Leclerc, Alphonse Desjardins », dit l’artiste Marie-Chantal Lachance. Cette œuvre de 420 mètres carrés en trompe-l’œil sur le mur de la maison Soumande a été réalisée par un collectif appelé MuraleCréation composée d’artistes Lyonnais (CitéCréation) et Québécois, dont Marie-Chantal Lachance.
Le collectif signe une soixantaine de fresques qui commémorent personnages et événements, dans une quinzaine de villes québécoises. « Nos œuvres sont le miroir historique et identitaire de chacune des villes. On essaie de trouver l’essence d’un lieu, on travaille toujours avec des gens qui connaissent bien leur ville et son histoire et qui peuvent nous la raconter dans ses plus fins détails avec des anecdotes croustillantes », affirme Marie-Chantal Lachance, ajoutant que les gens viennent les voir pendant leur travail. « Ils reconnaissent certains personnages et nous apportent des photos d’archive. »
Un festival prestigieux
Les murales historiques ne sont qu’une des formes du street art. Appelé « art de rue » ou « art urbain » en français, ce mouvement artistique contemporain, né à la fin du siècle dernier, cherche à remuer les consciences. Il est souvent dénonciateur et proliberté. Le festival Mural, qui invite le public à assister à la réalisation de fresques sur les façades et les pavés de Montréal, en offre un bon échantillon. « Nos artistes invités pratiquent différents styles, comme le portrait, l’art figuratif et abstrait, en utilisant divers matériaux : la peinture, la photographie, des œuvres technologiques, du pochoir et bien plus », indique Pierre-Alain Benoît, directeur général de ce festival montréalais créé en 2013 qui, selon lui, se situe entre les six et dix plus grands événements de ce genre au monde. « Certains artistes locaux ont acquis une renommée mondiale grâce à notre festival, comme Ola Volo et Kevin Ledo. Notre réputation permet aussi d’attirer de grands artistes d’envergure internationale. Je pense notamment à Shepard Fairey qu’on rêvait d’avoir depuis des années. » Et les Montréalais se déplacent en grand nombre pour assister à leurs performances.
Cette démocratisation de l’art contribue à donner un incroyable coup d’éclat à des bâtiments sans charme et à revitaliser les espaces urbains de façon colorée. ◆
Francine Saint-Laurent est journaliste indépendante.