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Transports et patrimoine. Paver la voie à une meilleure cohabitation

La chronique Point de mire reflète la position d’Action patrimoine dans certains dossiers chauds. Ce printemps, elle aborde le rôle du ministère des Transports dans la conservation et la mise en valeur du patrimoine bâti.

Lorsqu’on se demande qui est responsable de la conservation et de la mise en valeur du patrimoine bâti au Québec, on a rarement le réflexe d’envisager le ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification des transports (MTQ) comme un acteur de premier plan. Il s’agit pourtant d’un important gestionnaire de sites et de bâtiments patrimoniaux.

En effet, plusieurs des infrastructures de transport qui appartiennent à ce ministère, comme certains ponts, ont un intérêt patrimonial. De plus, le MTQ acquiert régulièrement des bâtiments d’intérêt afin de déployer ses services sur le réseau routier. À titre de gestionnaire public, responsable du bien collectif, il se doit alors d’agir comme un fiduciaire du patrimoine bâti du Québec. Enfin, les interventions qu’il mène partout dans la province ont bien souvent une incidence directe sur les milieux concernés. Une lecture juste et sensible de ces milieux, en amont de chaque projet, est donc primordiale.

Au cours des dernières années, plusieurs cas de bâtiments et de sites patrimoniaux menacés rapportés à Action patrimoine concernaient le MTQ. Ces derniers touchaient différents types de patrimoine, qu’on pense à la démolition de l’ancienne banque Molson à Bedford, au déplacement du pont couvert de la Chute-Neigette à Saint-Anaclet de Lessard ou à l’éradication des vestiges de l’ancien village de Saint-Henri-des-Tanneries à Montréal. Des exemples aussi diversifiés attestent la vaste portée du MTQ sur le patrimoine ainsi que la pertinence de réfléchir à ses interventions.

Ainsi, qu’en est-il de l’engagement de ce ministère dans la protection et la valorisation du patrimoine bâti du Québec? Est-il possible de concilier la mise en place et la restauration d’infrastructures de transport avec une gestion exemplaire du patrimoine ?

 

Les ponts patrimoniaux

Parmi les éléments patrimoniaux que possède le MTQ, les ponts occupent une place prépondérante. Dans les années 1970, un premier inventaire des ponts couverts du Québec a été mené par ce même ministère. Une entente a ensuite été conclue entre ce dernier et l’ancien ministère des Affaires culturelles pour conserver 44 des 115 ponts inventoriés. Même si cet objectif a été atteint, on déplore aujourd’hui la disparition de d’environ 35 des ponts couverts non protégés. Ces efforts nous semblent donc insuffisants.

L’un d’entre eux, le pont de la Chute-Neigette, situé à Saint-Anaclet-de-Lessard, dans le Bas-St-Laurent, a fait l’actualité régionale en septembre dernier. Ce pont couvert, construit vers 1898, avait été cité par la municipalité l’hiver précédent. Puisqu’il ne pouvait plus être emprunté par la machinerie agricole circulant dans ce secteur, le MTQ qui en était le propriétaire a décidé de le remplacer. La municipalité a alors envisagé la possibilité de relocaliser le pont à un autre endroit, au-dessus de la rivière. Mais, pour ce faire, il aurait fallu que le ministère finance seul ce projet (ce qu’il a refusé), car la municipalité affirmait ne pas avoir les moyens de verser les 600 000$ nécessaires. Cette dernière a cependant acquis l’infrastructure pour une somme symbolique. Le pont repose désormais sur une terre agricole non loin de la rivière, en attendant d’être intégré à un projet de mise en valeur du secteur de la Chute-Neigette.

Bien que le MTQ ait financé, après coup, des travaux pour redonner son aspect d’origine au pont couvert, son intérêt patrimonial, indissociable de son usage, se trouve grandement affecté. Une telle construction qui repose sur une terre agricole, mais qui ne sert plus à enjamber un cours d’eau, n’est plus un pont, mais une simple structure de bois.

Dans ce dossier, le MTQ aurait pu faire preuve d’une plus grande transparence ainsi que d’une sensibilité accrue, et ce, de deux façons. D’abord, en publiant une évaluation précise du pont de la Chute-Neigette afin de faire connaître son intérêt patrimonial et l’impact de son retrait sur la valeur paysagère. Ensuite, en manifestant plus d’égards envers la réalité économique de la municipalité où il est situé. Tout comme celui de la Chute-Neigette, la plupart des ponts couverts du Québec se trouvent dans des municipalités rurales de petite taille n’ayant pas les moyens d’assumer tous les frais liés à leur sauvegarde et à leur entretien. Si le MTQ se déresponsabilise des ponts dont il est propriétaire, qui pourra alors assurer leur conservation ?

Le cas du pont de la Chute-Neigette s’inscrit dans la lignée de celui de Sainte-Marie-de-Beauce, disparu en 2003. Ce pont métallique, datant de 1919, ne pouvait plus être emprunté par la circulation lourde. Sa rénovation était jugée trop coûteuse par le MTQ. Pour le conserver, la municipalité aurait dû débourser elle-même les frais liés à sa rénovation, en plus d’en assurer la future charge, ce qu’elle affirmait ne pouvoir faire sans accompagnement.

Ici aussi, il aurait fallu que le MTQ fasse preuve de plus de sensibilité devant l’intérêt de la communauté locale à préserver son héritage. En effet, à la suite d’une consultation publique, les citoyens de Saint-Marie-de-Beauce avaient exprimé clairement leur désir de conserver l’ancien pont métallique, un élément du Vieux-Sainte-Marie, tout en se prononçant en faveur de l’ajout d’un autre pont en périphérie. Malgré cela, aucun des différents scénarios proposés par le MTQ à la municipalité n’incluait la conservation du pont. Peu encline à investir seule, celle-ci s’est contentée de choisir l’emplacement du nouveau pont.

La disparition du pont de Sainte-Marie et l’implantation du nouveau pont, dont l’embouchure a amputé l’église d’une partie de son parvis et a entraîné la disparition de bâtiments anciens, ont créé beaucoup de mécontentement chez les citoyens. En rétrospective, cette contestation a au moins eu pour effet positif d’accélérer l’élaboration par le MTQ de la grille d’évaluation de l’indice patrimonial des ponts, adoptée en 2005. Cet outil de pondération aide désormais à établir la valeur de ces infrastructures.

 

L’impact des aménagements sur les milieux d’insertion

Par ailleurs, Action patrimoine a pris position à deux reprises dans un dossier important en 2017, soit celui de la démolition de l’ancienne banque Molson de Bedford en Estrie. Ce bâtiment, construit en 1922, a été acquis par le MTQ en 2011. Signe que l’histoire se répète, il s’agit, là encore, d’un cas semblable à un autre, celui de l’ancien magasin-général Lucien-Bolduc à Saint-Ephrem-de-Beauce, pour lequel notre organisme avait interpellé le ministère en 2009. Un an auparavant, le MTQ avait acheté ce bâtiment datant de 1884 et située au cœur du village pour la démolir en prévision de la réfection du carrefour des routes 271 et 108.

Devant l’opposition des citoyens, de la Société du patrimoine de Saint-Éphrem et de notre organisme, le MTQ avait reporté de quelques mois sa décision. Il a finalement procédé à la démolition complète du magasin, après avoir offert l’option de sauvegarder et d’éloigner du chemin sa partie la plus ancienne. Toutefois, la communauté locale aurait dû défrayer les coûts de ces travaux alors que le MTQ payait entièrement la démolition. Bien entendu, les groupes locaux ne pouvaient se permettre une telle dépense.

L’ancienne banque Molson de Bedford, construite en 1922, était également située à une intersection, au cœur de son village d’appartenance. Elle aussi avait été achetée par le MTQ, il y quelques années, au moment de refaire le pont Zephyr-Falcon adjacent. La réfection du pont par le MTQ a entraîné des modifications à la route 235 qui y mène, rendant l’emplacement de la banque trop près de la chaussée. À la suite d’une collision mortelle entre une personne et un véhicule lourd survenue à cette intersection en 2016, la municipalité de Bedford a pressé le MTQ de démolir l’ancienne banque. Cela a finalement été fait en juillet 2017, sans qu’une étude sur le bâtiment n’ait été menée.

 

Vers plus de souplesse

Une vision de l’aménagement qui permet de concilier le patrimoine bâti à des critères actuels de gestion des risques demande davantage de flexibilité et de souplesse ainsi qu’une réflexion allant au-delà des considérations de mobilité. On ne peut intervenir dans des milieux dont le cadre bâti se caractérise par son ancienneté en y appliquant une grille de critères rigides, au détriment du bâti existant et de l’histoire des lieux.

Sans pour autant mettre de côté les principes directeurs des aménagements du MTQ que sont la sécurité, la visibilité et la fluidité, une meilleure considération du cadre bâti existant et une lecture améliorée des milieux d’insertion sont nécessaires dès les premières étapes de planification d’un projet. Il est illogique de prévoir l’élargissement d’une voie de circulation pour ensuite invoquer l’emplacement problématique d’un bâtiment centenaire adjacent afin de le démolir. Ce genre d’intervention devrait être planifié d’autant plus soigneusement et respectueusement quand elle est pratiquée dans d’anciens noyaux villageois qui comportent une valeur d’ensemble.

En revanche, le MTQ a récemment démontré qu’il est aussi capable de bons coups. On apprenait en janvier qu’il allait investir 5,1 millions de dollars pour les travaux de réfection du pont couvert classé Félix-Gabriel-Marchand, en Outaouais. L’entente récente qu’il a conclue avec la MRC de la Mitis est également un bon exemple de concertation avec le milieu local mettant en valeur le patrimoine. Après des travaux de réfection de 2 millions de dollars financés par le ministère, le pont Arthur-Bergeron, construit en 1929 entre Grand-Métis et Sainte-Flavie, un élément paysager visible depuis les Jardins de Métis, sera cédé à la MRC. Le montant de la réfection étant estimé équivalent à celui de la démolition, le MTQ a accepté d’investir dans la première option. Un nouveau pont sera aussi construit pour la circulation automobile alors que le projet de parc régional de la MRC destine l’ancien pont aux piétons et aux cyclistes.

Cette concertation entre le milieu local et le ministère atteste de l’importance de trouver des terrains d’entente où chaque palier s’engage pour valoriser l’héritage collectif. De plus, elle démontre que des mesures d’accompagnement pour aider les acteurs locaux sont possibles et bénéfiques.

 

Des actions coordonnées

Dans le but de remplir son rôle de fiduciaire du patrimoine bâti, il est important que le gouvernement se dote de moyens pour orchestrer une vision interministérielle globale. L’un de ces moyens serait l’adoption d’une politique nationale de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, une mesure défendue par Action patrimoine et par les autres membres de l’Alliance Ariane. Cette politique, dont l’application concernerait les municipalités et les ministères en lien avec l’aménagement du territoire, permettrait de coordonner les actions selon des objectifs communs. Parmi ces objectifs, les pratiques durables ainsi que la pérennité et la qualité des milieux de vie touchent directement la sauvegarde du cadre bâti.

De plus, Action patrimoine a fait des recommandations concernant le plan d’action qui accompagnera le renouvellement de la Politique culturelle du ministère de la Culture et des Communications attendu ce printemps. Parmi ces celles-ci, nous suggérons d’identifier tous les ministères que l’application de la politique culturelle interpelle, dont le MTQ. Il s’agirait de souligner les rôles qu’ont à jouer d’autres instances gouvernementales dans la protection et la valorisation du patrimoine.

En début de chronique, nous mentionnions le partenariat entre le MTQ et le ministère des Affaires culturelles, conclu en 1972, qui a permis de préserver certains ponts couverts d’intérêt. Ces arrimages entre la politique culturelle et la politique de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme constituent de bons moyens de paver la voie à d’autres ententes et partenariats favorables à la mise en valeur des milieux de vie du Québec.

Action patrimoine

Action patrimoine est un OBNL qui agit à l'échelle nationale pour protéger et mettre en valeur le patrimoine québécois. Depuis 1975, l'organisme poursuit sans relâche une mission de sensibilisation, de diffusion de la connaissance et de prise de position publique pour la sauvegarde du patrimoine bâti et des paysages cultruels du Québec. Le contenu de la chronique Point de mire relève du comité Avis et prises de position, composé d'au moins cinq professionnels de l'aménagement du territoire qui se réunissent chaque mois.

Cet article est disponible dans :

Patrimoine et changements climatiques. Contre temps et marées

Printemps 2018 • Numéro 156

Tenir tête au temps

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