Ancestrales et assurées
Josiane Ouellet, rédactrice en chef de Continuité
Généralement, les assureurs québécois se montrent réticents envers les maisons anciennes. La raison ? Ils prétendent qu’elles sont plus à risque que les constructions récentes, peu importe leur état. Quand ils acceptent de les assurer, ils garantissent une reconstruction avec les techniques et les matériaux actuels, et non une reconstruction d’époque.
Les polices standards ne tiennent pas non plus compte des coûts supplémentaires que peut entraîner le respect de certains règlements municipaux. Si, par exemple, le propriétaire a l’obligation de démolir sa résidence à la suite d’un sinistre qui n’a affecté que 40 % du bâtiment, l’assureur ne couvre que ces 40 %. Il est toujours possible d’ajouter des avenants pour parer à ces éventualités et garantir une reconstruction d’époque, mais le coût de la prime devient alors exorbitant. Sans compter que l’estimation du coût d’une telle reconstruction, responsabilité du propriétaire, s’avère complexe.
« Nous travaillons sur une police d’assurance adaptée aux maisons anciennes depuis une douzaine d’années », raconte Louis Patenaude, président de l’association des Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec (APMAQ). Au début des années 2000, plusieurs propriétaires leur ont lancé un appel à l’aide. Le téléphone a aussi sonné au ministère de la Culture et des Communications et à la Commission des biens culturels du Québec. Si bien qu’en 2002, cette dernière publiait L’assurance des bâtiments anciens : situation actuelle et pistes de réflexion.
Aussitôt, l’APMAQ a saisi la balle au bond en créant un comité des assurances. Avec Gilles Bernier, à l’époque titulaire de la Chaire d’assurance et de services financiers L’Industrielle-Alliance de l’Université Laval, et Jacques Bélanger, du programme d’études Conseil en assurances et services financiers du Cégep de Sainte-Foy, le comité a produit en 2005 le document L’assurance habitation pour les propriétaires de maisons anciennes du Québec. On y fait notamment une distinction entre cinq types de maisons : vétuste (en trop mauvais état pour être assurée), rénovée (en bon état et dont la reconstruction peut se faire avec les techniques et matériaux actuels en cas de sinistre), bien conservée, restaurée et historique (en bon état, mais nécessitant une reconstruction d’époque en cas de sinistre). Dans les trois derniers cas, une assurance standard ne suffit pas, si tant est qu’une compagnie accepte d’en vendre une.
Travail d’équipe
« Il est important de faire des études, mais on n’arrivait pas à déboucher sur du concret », se souvient M. Patenaude. Jusqu’à ce que Serge Meloche, directeur relations clients et développement chez le courtier d’assurances Dale Parizeau Morris Mackenzie (DPMM), et son collègue Jacques Bigaouette s’intéressent à la question. « Un soir, j’ai vu un reportage sur la difficulté d’assurer une maison ancienne à l’émission La facture, raconte M. Meloche. En regardant la maison présentée, je me suis dit : “Ça n’a pas de sens ! Comment les propriétaires peuvent-ils avoir de la difficulté à assurer cette résidence ?” » Il a donc suggéré au comité de développement de l’entreprise de créer un nouveau programme pour les maisons anciennes. Drôle de coïncidence, M. Bigaouette est arrivé avec la même proposition, mais après avoir vu un reportage à l’émission Passion maisons.
Habituellement, il faut entre cinq et six mois pour bâtir un programme chez DPMM. Heritas a nécessité deux ans de collaboration entre le cabinet et les gens de l’APMAQ. « Notre rôle a été d’expliquer à DPMM ce qu’est une maison ancienne, c’est-à-dire une maison qui a une histoire. Quand on demande l’année de construction d’une telle résidence, la réponse n’est pas toujours simple. On peut dire que les fondations remontent au XVIIe siècle, qu’elle a été construite en bois au XVIIIe et qu’après, on l’a reconstruite en pierre, puis qu’on l’a agrandie, etc., indique M. Patenaude. On a aussi fait valoir que les propriétaires d’une maison ancienne sont souvent amoureux de leur demeure, qu’ils la traitent aux petits oignons. Tellement que certaines maisons anciennes sont en meilleur état que des maisons récentes. L’assureur doit évaluer l’état de santé réel du bâtiment en faisant abstraction, jusqu’à un certain point, de son année de construction. »
« Il fallait corriger les fausses perceptions des assureurs, ajoute M. Meloche. Par exemple, en analysant les rapports d’incendie des dernières années au Québec, on a réalisé qu’il n’y avait pas de corrélation entre l’âge des maisons et le nombre de feux qui s’y déclaraient. » Le sondage qu’ils ont réalisé auprès des membres de l’APMAQ leur a aussi permis de déterminer que, contrairement aux idées reçues, les maisons anciennes sont généralement rénovées ou bien entretenues.
À chacun sa formule
Destiné aux membres de l’APMAQ, le programme Heritas se décline en trois formules : argent, or et platine. Le propriétaire souhaitant recevoir une soumission d’abord remplir un formulaire de présélection en ligne. Ensuite, un courtier évaluera sa demeure par téléphone. Des photos de l’avant et de l’arrière de la résidence lui permettront aussi de déterminer la formule à laquelle elle est admissible (argent ou or ; pour la formule platine, il faut que le coût de reconstruction à l’identique soit évalué par un spécialiste, et c’est à partir de ce montant que la prime est calculée).
Ce qui varie entre les formules, c’est d’abord la couverture des meubles et des objets anciens (qui va de 2000 $ et 1000 $ respectivement jusqu’à 5000 $ et 2000 $). Les montants sont établis en fonction de la valeur agréée des meubles et des objets (pièce semblable chez un antiquaire), et non de leur valeur à neuf (pièce semblable chez IKEA). La formule or garantit également une reconstruction d’époque de l’extérieur de la maison, et la formule platine, de l’intérieur et de l’extérieur. Elles couvrent toutes deux les dispositions légales. « On ne peut pas aller voir quels sont les règlements dans chaque municipalité, explique M. Meloche, mais on donne une garantie [de 25 000 $ ou de 50 000 $] pour les dispositions légales affectant la démolition, la réparation ou la reconstruction du bâtiment. »
Ces deux formules ont aussi l’avantage de prévoir un supplément (de 20 à 25 %) au cas où le coût de la reconstruction d’époque dépasserait le montant pour lequel la maison est assurée. Avec la formule or, par exemple, si la maison est assurée pour 300 000 $, le coût de reconstruction est couvert jusqu’à 360 000 $, et ce, même si le montant de la police est calculé sur 300 000 $.
Peu importe la formule, le taux demeure le même : c’est la valeur de reconstruction qui fait varier le prix de la police. Bien sûr, il faudra attendre que le programme ait passé l’épreuve du marché pour confirmer sa compétitivité, mais un test réalisé par DPMM laisse croire que cette assurance sur mesure ne coûtera pas plus cher qu’une assurance standard – la firme a comparé 24 soumissions de 4 assureurs dans 12 villes du Québec ; elle avait le prix le moins élevé ou le deuxième moins élevé dans 79 % des cas.
« On veut faire d’Heritas un programme de qualité et évolutif, dans le sens où on va l’améliorer », précise M. Meloche. « On espère que les propriétaires vont bien accueillir le produit, renchérit M. Patenaude, et qu’il va faciliter la sauvegarde du patrimoine bâti, parce que c’est de ça qu’il s’agit. » L’avenir nous le dira.