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Photo: Pierre-Étienne Vachon

Au rythme de la réactualisation

Alliant créativité et passion, ès TRAD – CVPV ne cesse d’impressionner par l’originalité de ses nombreuses initiatives. Portrait d’un organisme fondateur, dévoué et nécessaire à la mise en valeur du patrimoine vivant.

 

En septembre 2019, des citoyens de Québec ont participé à six ateliers de tricot et de crochet à l’occasion d’une activité intitulée Maillages. Avec les artisans qui les supervisaient, ils ont réalisé un tricot géant. Ce faisant, des artistes numériques les ont filmés afin de documenter la passation de ce savoir-faire, des mentors aux néophytes, et d’immortaliser la force de leur geste créateur dans des courts-métrages. Des musiciens trad ont également contribué au projet en composant et en interprétant la musique qu’on entend dans ces réalisations cinématographiques. Et pour boucler la boucle, les films ont été projetés sur l’immense ouvrage de laine.

Plus de 100 personnes ont pris part à ce projet collectif participatif, lauréat du prix Citoyen de la culture Andrée-Daigle 2020 du Réseau Les Arts et la ville. Au carrefour de l’artisanat, des arts numériques et de la musique trad, cette initiative a permis de resserrer les liens entre diverses pratiques traditionnelles et d’explorer la dimension performative de l’artisanat. Grâce à elle, le public local a vécu une expérience inoubliable, tandis que les porteurs de traditions ont pu en apprendre davantage sur la pratique de certains de leurs pairs.

 

ès TRAD et le patrimoine vivant

Ce projet, mis sur pied par l’équipe d’ès TRAD – Centre de valorisation du patrimoine vivant (CVPV), illustre bien la philosophie de cette dernière. La meilleure façon de comprendre le patrimoine vivant, c’est de le vivre, croit Cassandre Lambert-Pellerin, qui codirige l’organisme avec Kathleen Pouliot. Fondé en 1981 sous le nom Les danseries de Québec, cet OSBL a d’abord valorisé la danse traditionnelle avant d’élargir sa portée à la musique, au conte et à l’artisanat. Il est le seul au Québec à mettre en valeur ces quatre pratiques et à tenter de les faire se rencontrer à l’intérieur d’événements rassembleurs.

«Le patrimoine vivant, c’est ce qui reste d’avant, mais qui veut encore dire quelque chose maintenant», poursuit Cassandre Lambert-Pellerin. En effet, les connaissances et le savoir-faire se transmettent de génération en génération et évoluent au fur et à mesure que les porteurs de tradition se les approprient, au gré des rencontres entre public, artistes et artisans. En constant changement, cet héritage a besoin qu’on le réactualise sans cesse pour exister; il doit vibrer au rythme de la société contemporaine pour avoir un sens. «Il faut éviter de voir le patrimoine vivant comme quelque chose de figé, qui rappelle le passé. Au contraire, ça parle du présent», ajoute Mme Lambert-Pellerin à propos d’un des mots d’ordre d’ès TRAD.

 

Un impact réel… et virtuel

Depuis 40 ans, ès TRAD – CVPV s’intéresse à la dimension et à l’expression artistiques du patrimoine culturel immatériel en créant des projets de recherche, de conservation et de diffusion liés au travail des porteurs de tradition du Québec. Par exemple, l’organisme est à l’origine d’une série de soirées de danse qui existe depuis 1981. Il présente aussi, depuis 1991, le festival Les Rendez-Vous ès TRAD, qui propose cinq jours de musique, de chansons, de danse et d’ateliers. Les activités de cet organisme permettent de réunir public, praticiens amateurs et porteurs de tradition. «C’est la rencontre de tout ce monde-là qui permet au patrimoine vivant de continuer de se développer et d’évoluer.» Et ce n’est pas tout! L’OBNL offre également des espaces de création et de production, comme Les P’tits Rendez-Vous ès TRAD, une série de concerts acoustiques présentés de septembre à avril. Sans compter L’Atelier du patrimoine vivant, où on mise sur la médiation culturelle pour faire connaître le travail d’artisanes et d’artisans grâce à des démonstrations données dans les voûtes de la Maison Chevalier, dans le Vieux-Québec.

On le voit bien, la plupart des activités d’ès TRAD – CVPV impliquent des rassemblements. Comment, alors, dans le contexte de la crise sanitaire de la dernière année, l’équipe est-elle parvenue à poursuivre sa mission? En réalisant de nouveaux projets et en en numérisant d’autres. Comme l’explique la codirectrice, l’important, c’est «d’être présent où les gens sont!» Les traditions ne demandent qu’à être transmises ou partagées; il faut simplement comprendre le numérique pour l’utiliser à son plein potentiel. L’objectif est de rendre le contenu éducatif accessible à tous. Pour ce faire, l’équipe d’ès TRAD – CVPV a décidé de rester ouverte aux nouvelles possibilités que le numérique lui offre.

Par exemple, elle a imaginé et développé Porter la tradition – le balado d’ès TRAD durant le confinement hivernal. Les artisanes de L’Atelier du patrimoine vivant y discutent de leurs parcours inspirants en 23 épisodes d’environ 25 minutes chacun. Puisque les normes sanitaires indiquaient que les voûtes de la Maison Chevalier ne pouvaient accueillir que quatre personnes, l’équipe est allée à la rencontre des dames âgées pour la première saison de la série. Il n’était pas question de mettre les artisanes en danger. ès TRAD prévoit déjà quatre saisons de plus.

En outre, l’accessibilité en ligne ouvre plusieurs possibilités. Le 21 novembre dernier, Les 12 heures du chant 2020 – édition virtuelle a attiré plus de 350 personnes à travers le monde entre 13h et 1h. Elles ont interprété 166 chansons dans plus de 10 langues différentes. La participation enthousiaste illustre bien le besoin des gens de se rassembler autour du patrimoine vivant, et ce, malgré la distance physique et virtuelle. Évidemment, les veillées de danse seront les dernières activités à reprendre, mais ès TRAD – CVPV trouvera toujours des façons de diffuser et de partager la culture trad.

 

Relever les défis avec enthousiasme

Outre les difficultés entraînées par la COVID-19, plusieurs défis pimentent le quotidien de l’organisme. Force est d’admettre que le patrimoine vivant demeure trop méconnu. Il reste encore beaucoup de travail à faire pour vulgariser ce concept auprès de la population québécoise. Selon Cassandre Lambert-Pellerin, le plus grand défi d’ès TRAD – CVPV est de dépasser les stéréotypes, de faire reconnaître les talents artistiques et d’expliquer que le legs que l’organisme met en valeur se situe au cœur de la culture actuelle.

Par exemple, les veillées de danse ne sont pas une activité du passé. Certes, on en vit de moins en moins au sein des familles, mais elles sont toujours bien présentes dans la sphère publique. Il faut combattre les souvenirs d’enfance des personnes âgées, explique la codirectrice. Chez les jeunes, il y a une grande ouverture et un entrain à participer à ces activités nouvelles pour eux.

En plus de travailler fort à démystifier le patrimoine vivant auprès de la population, l’équipe d’ès TRAD a dû redoubler d’inventivité depuis 2015. En effet, l’organisme a eu à revoir ses façons de faire après la perte de sa subvention au fonctionnement. Depuis, les codirectrices développent constamment de nouvelles initiatives, qu’elles financent en répondant à différents appels de projets. Résultat : elles doivent déployer des trésors d’imagination, car une même activité ne peut être soutenue plus d’une fois… N’empêche, malgré les épreuves, l’équipe ne chôme pas. Comme le note Cassandre Lambert-Pellerin avec beaucoup d’enthousiasme, le patrimoine vivant offre une intarissable source d’inspiration.

Cet article est disponible dans :

L'héritage de l'hiver. Forgé dans la glace

Hiver 2021 • Numéro 167

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