Benoit Côté (1929-2018). L’homme qui parlait au vent
Michel Lessard, historien
Décédé l’été dernier, l’artiste peintre Benoit Côté a joué un rôle important dans le domaine du patrimoine. L’historien Michel Lessard a tenu à lui rendre hommage.
Cet été, en juin, Benoit Côté est parti rejoindre les voiliers de bernaches qui, par milliers, chantaient en survolant sa vieille maison de l’île d’Orléans chaque printemps et chaque automne.
En 1959, cet artiste peintre de Québec jouissant déjà d’une certaine notoriété est l’un des premiers à choisir et à promouvoir ce berceau du pays qu’est l’île de Bacchus. Il y restaure une chaumière ancestrale presque en ruine, celle des Leclerc, et y aménage finalement une sorte de petit domaine exemplaire pas loin de l’évocation du paradis. Les journaux et les magazines suivent cette entreprise fort séduisante. Les plus sensibles souhaitent à l’époque toucher du vrai bois et de la vraie pierre et s’installer dans la sueur et dans l’âme des aïeux. Cet aménagement identitaire qui louvoie dans la fierté de l’invention d’un pays fait boule de neige et déclenche un mouvement surprenant de mise en valeur patrimoniale de l’île. Félix aurait bien aimé finir ses jours dans cette terre bénie de ses ancêtres.
Benoit Côté appartient à la bohème d’après-guerre de la capitale. L’homme tient sa première exposition solo en 1958, au Palais Montcalm. Suit une étonnante présentation du Groupe des Cinq avec Edmund Alleyn, Jean Paul Lemieux, Claude Picher et Aristide Gagnon, qui conquiert le public. La journaliste Paule-France Dufaux du Soleil, critique d’art respectée et fort engagée dans la défense des artistes, ne peut retenir son admiration pour le travail original de Côté, qui donne totalement dans l’abstraction, souligne-t-elle.
À Saint-Pierre-de-l’Île-d’Orléans, Côté aménage son vaste atelier sous les combles pentus de sa vieille maison, dans l’espace qui servait à l’origine de grenier à grains. Pour profiter de la vue émouvante et spectaculaire donnant sur le grand bleu et sur la chute Montmorency, il ouvre une vaste fenêtre zénithale dans l’arrière du toit qu’il vient de refaire. Du coup, il lie dans un même souffle la terre à la mer et aux cieux dans un panorama éblouissant. Bénéficiant de la lumière du nord, la meilleure pour un artiste de la palette et de la spatule, il peut suivre la faune ailée s’agitant au-dessus de sa tête, inspirant ses grands tableaux naturalistes frisant l’abstraction. « Je peins la joie, le vent, l’énergie et le mouvement », me répète-t-il à plusieurs reprises. Chaque été, lui et sa compagne Britt tiennent des vernissages courus dans les jardins du domaine.
La renommée de Benoit ne vient pas seulement de ses talents reconnus d’artiste peintre et de sa passion pour le patrimoine national en ces débuts de Révolution tranquille. Les boutiques d’antiquaires poussent alors comme des champignons. Chantre du Vieux-Québec dans ses premiers tableaux, il s’implique fort dans la résurrection de la Petite rue Champlain avec les de Blois, Paré, Vilandré, Robitaille. Comme l’homme détient une maîtrise en administration, il ouvre en 1961, rue Saint-Paul, un important magasin de meubles : Le mobilier international. Jusqu’en 1985, le commerce sera le cénacle des amateurs de meubles design signés par les plus grands noms européens et étatsuniens. Benoit Côté introduit et révèle ici le mobilier scandinave, les créateurs d’avant-garde français, italiens et californiens. Plus encore, les planchers de l’édifice commercial marient avec talent l’ancien québécois et le moderne international. Dès lors, les plus belles armoires du pays dans leurs couleurs originales, des commodes bombées toujours dans leur jus, comme on dit, y voisinent avec des fauteuils et sofas griffés Le Corbusier-Perret, des buffets danois en teck aux lignes épurées et le design scandinave en verrerie, en coutellerie, en services de table. Et tous les universitaires comme moi, qui sortent de Laval entre 1965 et 1975, trouvent le chic de leur appartement dans ce remarquable mélange d’un Québec enraciné déjà en route vers la mondialisation du beau. « Our spaceship Earth », disait alors Walt Disney, chaque semaine, à la télévision. Et la Lune ne pourrait plus nous cacher ses mystères.
Merci Benoit! Tous les amoureux de la sauvagine t’attendent dans l’au-delà pour continuer à voler toujours plus haut…