Choisir la voie durable
Renée Genest, Directrice générale d'Action patrimoine
La chronique Point de mire reflète la position d’Action patrimoine dans certains dossiers chauds. Cet hiver, elle explore les solutions qui font du patrimoine un outil précieux pour le développement durable.
Au milieu d’ardentes couleurs automnales, le village estrien de Saint-Camille s’est laissé découvrir par les participants au colloque annuel d’Action patrimoine, le 19 octobre dernier. Dans le centre de conférence Le Camillois, ancienne église et bel exemple de reconversion, près de 130 personnes étaient réunies, sur place et en ligne, pour échanger sur la thématique « Patrimoine bâti et paysages, choisir la voie durable ». Un sujet plus pertinent que jamais.
Le patrimoine est non seulement un « ressenti émotif », mais il a également des répercussions économiques positives sur la société, comme le rappelait en conférence d’ouverture le journaliste, chroniqueur et auteur Mickaël Bergeron. Alors que la préservation du patrimoine bâti est trop souvent campée dans un rôle de second ordre, derrière les problèmes économiques et sociaux, comment est-il possible d’en faire une solution d’avant-plan ?
Il ne fait aucun doute que la réhabilitation ainsi que l’adaptabilité et la résilience face aux changements climatiques feront partie intégrante des solutions dans les années à venir. Devant ces enjeux, additionnés aux nombreuses démolitions patrimoniales qui défraient les manchettes, nous devons démystifier ce que signifie, aujourd’hui, « choisir la voie durable ».
Dans le contexte actuel, nous sommes convaincus qu’il est essentiel de poursuivre l’exploration des liens existants entre la conservation du patrimoine et le développement durable. Ces deux champs d’action se profilent de plus en plus comme la voie vers une solution commune aux défis et aux enjeux de notre société.
La réhabilitation, une seconde vie
Lorsque nous pensons à la réhabilitation, à un changement d’usage, nous pensons au Monastère des Augustines à Québec, à la fromagerie du Presbytère à Warwick, au Musée Boréalis à Trois-Rivières, au Siboire microbrasserie à Sherbrooke ou encore au Sanatorium du lac Édouard. Ces exemples de restauration, de reconversion et de réutilisation d’un lieu patrimonial pour un autre usage que sa vocation d’origine s’inscrivent parfaitement dans une logique de développement durable en utilisant le bâti existant.
Trois termes mentionnés par Ève Wertheimer, architecte chez ERA Architectes, lors du colloque ont retenu l’attention du public. Ces mots auraient tout intérêt à être mis de l’avant lors de projets de réhabilitation : entretenir, anticiper et planifier.
Entretenir un bâtiment passe notamment par des soins réguliers à ses composantes d’origine comme sa toiture ou ses fenêtres en bois. Cela contribue à leur durabilité et permet certainement d’éviter les remplacements inutiles.
D’ailleurs, il est essentiel que, du côté des assureurs, on analyse certaines composantes spécifiques en fonction de leur état réel et non pas de leur âge. Dans le cas contraire, cela peut poser des problèmes aux propriétaires. Noémie Nadeau, directrice générale des Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec (APMAQ), a démontré que certaines conditions d’assurances sont une menace à la pérennité du patrimoine bâti et peuvent avoir un effet sur le montant à débourser pour s’assurer. La mesure qui incite à opter pour des composantes modernes engendre souvent un coût environnemental inutile et la perte d’éléments caractéristiques du bâtiment. Il y a donc un travail de sensibilisation à poursuivre sur ce plan.
Anticiper et planifier
Certes, l’entretien joue un rôle essentiel dans la préservation et la mise en valeur de notre patrimoine bâti. Cela dit, lors d’une réhabilitation, encore faut-il trouver la bonne vocation pour le bon bâtiment. Il est parfois nécessaire de jongler entre la mise aux normes, le potentiel des constructions existantes et les besoins des communautés.
Le projet de conception d’un pôle communautaire dans l’église Sainte-Christine-d’Auvergne dans Portneuf permet d’illustrer le travail effectué en collaboration avec la collectivité. Il démontre également la nécessité de réfléchir en amont à l’utilisation future du lieu. Ici, le projet a bénéficié d’un accompagnement par Écobâtiment dans le cadre du programme Patrimoine religieux pour le climat. Les résultats obtenus démontrent que la requalification d’un lieu patrimonial est moins coûteuse sur le plan environnemental qu’une démolition suivie d’une reconstruction. En effet, une démolition implique le transport (source de GES) et l’enfouissement de matériaux en plus de tous les coûts environnementaux liés à la reconstruction (matériaux neufs, transport, etc.).
Qu’il s’agisse d’entretenir, d’anticiper, de planifier, de rénover ou de transformer en préservant les composantes existantes du patrimoine bâti, ces gestes ont certainement un effet positif sur l’environnement. Ainsi, c’est l’ensemble du territoire québécois qui bénéficie de la préservation de notre patrimoine collectif.
Malgré cela, encore trop souvent, des édifices patrimoniaux se dégradent et sont ensuite démolis. Nombreux sont ceux qui défraient les manchettes. Citons ici le cas de la maison Bignell, située dans le site patrimonial de Sillery, à Québec, abandonnée depuis des décennies. Bien que sa valeur patrimoniale soit exceptionnelle selon la Ville de Québec, cette maison n’a pas été protégée au cours des années, ce qui fait craindre une probable démolition. L’argument avancé par le propriétaire et la Ville est l’état de dégradation avancé de la maison, résultat de décennies d’inaction.
Faire face aux changements climatiques
Les changements climatiques se font de plus en plus sentir. Au Québec, pensons aux grandes inondations qui ont marqué les printemps 2017, 2019 et, plus récemment, 2023. Dans le Point de mire publié au printemps 2022 dans Continuité, nous abordions la question des crises environnementales en croissance et des phénomènes météorologiques extrêmes. Nous y affirmions que le patrimoine pouvait jouer un rôle important en vue de créer un monde plus durable. Force est de constater que ce discours est encore d’actualité et le sera pour de nombreuses années à venir. Dans un tel contexte, la réflexion en amont sur ce rôle est d’autant plus fondamentale.
Par ailleurs, en patrimoine, il est souvent question de la responsabilité partagée entre gouvernements, municipalités et citoyens. Afin de mieux comprendre la spécificité des dossiers patrimoniaux, il faut également aborder la nécessité d’une plus grande cohésion interministérielle.
Avec les changements climatiques qui se font de plus en plus sentir et les nombreuses inondations, pensons ici notamment à celles en Beauce ou dans Charlevoix, certaines mesures ont déjà montré leur efficacité. C’est le cas des aboiteaux du Kamouraska, dont a discuté Catherine Langlois, directrice du Service de l’aménagement et de la mise en valeur du territoire à la MRC de Kamouraska. Ces kilomètres linéaires, construits par le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ), sont une digue protégeant des inondations en permettant le drainage des terres agricoles. La particularité des aboiteaux est que divers ministères peuvent intervenir dans le dossier : Environnement, Affaires municipales, Culture et Communication, Sécurité publique, etc. En patrimoine bâti et paysages culturels, d’autres intervenants peuvent aussi entrer en jeu, comme le ministère des Transports, ou de la Santé et des Services sociaux, ajoutant ainsi une couche de complexité dans certains dossiers, surtout lorsque les différentes instances ont des exigences particulières qui ne concordent pas avec celles des autres ministères. D’où l’importance de rechercher une plus grande cohésion.
Agir en mode solution
En résumé, en ce qui concerne la préservation du patrimoine bâti et des paysages, chaque cas est unique et mérite qu’on développe une solution adaptée. Reprenons ici les trois termes précédemment mentionnés : entretenir, anticiper et planifier. Un bon entretien permet de préserver tout en étant à jour quant aux travaux à prévoir, l’anticipation permet pour sa part de voir venir les choses et la planification permet de mieux s’organiser à moyen et à long terme. Choisir la voie durable, c’est non seulement se projeter dans l’avenir, mais c’est aussi tenter de prévoir. Cela n’empêche pas qu’il est possible d’être pris de court parfois, notamment lors de catastrophes naturelles. On doit alors réagir aux événements.
Le colloque annuel d’Action patrimoine l’a bien démontré, le patrimoine bâti et les paysages culturels sont des alliés pour la voie durable. Tous les paliers doivent agir ensemble pour concrétiser ce choix d’avenir : citoyens, organismes, municipalités et gouvernements. Rappelons-nous que le bâtiment le plus vert est celui qui est déjà construit et que le point fort des bâtiments anciens se trouve dans leur sobriété carbone. Ainsi, nous devons collectivement réfléchir à des solutions adaptées et nous assurer non seulement de préserver notre patrimoine, mais également de diminuer notre impact sur l’environnement. En résumé, choisir la voie durable, c’est préserver et adapter notre patrimoine existant, et mieux construire les bâtiments à venir ! ◆
Renée Genest est directrice générale d’Action patrimoine