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Comment arriver à bon port?

Alors que la Loi sur la protection des phares patrimoniaux fête son dixième anniversaire, nous vous proposons un retour sur la situation de ces bâtiments historiques, d’abord publié dans le magazine Locale de la Fiducie nationale du Canada.

 

 

Dix ans plus tard, 100 phares ont été désignés en vertu de la Loi ; 58 d’entre eux ont été transférés à de nouveaux propriétaires, alors que 42 demeurent la propriété du gouvernement fédéral.

 

Le phare de l’île Sambro se dresse telle une sentinelle sur une falaise rocheuse du havre de Halifax depuis deux siècles et demi. Érigé en 1758, il est mentionné dans les écrits du capitaine James Cook ; 12 000 loyalistes l’ont vu avant de débarquer à Halifax en 1783. Pour d’innombrables soldats qui sont partis par bateau dans le but de servir leur pays lors de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, le phare a été le dernier paysage canadien qu’ils ont aperçu. Pour plusieurs immigrants, il a plutôt été leur première vision de leur nouveau pays – la statue de la Liberté du Canada.

Deux cent soixante-deux ans plus tard, le phare de l’île Sambro est toujours debout ; il est le plus vieux en fonction d’Amérique du Nord. C’est une ancre pour la communauté et, encore aujourd’hui, il est une aide précieuse à la navigation. Grâce à un récent projet de restauration (avec un budget de 1,5 million $), il continuera à en être ainsi dans un avenir rapproché.

Quatre cents kilomètres plus loin, à Chéticamp, sur la côte ouest de l’île du Cap-Breton, le phare de la Pointe Enragée a attiré l’attention l’an dernier lorsqu’il a été désigné 100e structure protégée par la Loi sur la protection des phares patrimoniaux.

Néanmoins, les défenseurs du patrimoine s’inquiètent de l’avenir des phares. Ils craignent que la Loi n’aille pas assez loin et demandent que le gouvernement fédéral affecte des sommes supplémentaires pour préserver ces bâtiments.

La chance est peut-être de leur côté : à la fin de 2019, à la veille du 10e anniversaire de la Loi sur la protection des phares patrimoniaux, deux membres du cabinet fédéral ont été chargés d’examiner comment les lieux patrimoniaux nationaux détenus par le gouvernement fédéral devraient être désignés. Ils ont aussi été mandatés pour élaborer une loi détaillée afin de les protéger. Ce sont de bonnes nouvelles. Et pourtant, l’avenir des phares canadiens ne sera peut-être pas un long fleuve tranquille.

 

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Traditionnellement, les phares canadiens ont presque tous été la propriété du ministère des Pêches et des Océans (MPO) ; seulement quelques-uns étaient détenus par Parcs Canada. En 1970, le MPO a commencé à les automatiser, rendant les phares traditionnels superflus. Étant moins supervisés et moins utiles, plusieurs se sont détériorés, dont le plus vieux phare en bois du Canada, situé sur l’île Seal, en Nouvelle-Écosse. D’autres ont été délibérément éliminés : le phare de bois situé sur l’île Mosher, en Nouvelle-Écosse, a été mis à terre à l’aide de câbles, puis brûlé.

Ces pertes ne sont pas passées inaperçues auprès de communautés passionnées qui se sont unies pour former des groupes de défense tels que la Nova Scotia Lighthouse Preservation Society (NSLPS). Après plus d’une décennie de plaidoyers de la Fiducie nationale, de la NSLPS, de députés et de la sénatrice Patricia Carney, la Loi sur la protection des phares patrimoniaux a été adoptée afin de protéger les phares détenus par le gouvernement fédéral qui ont une valeur patrimoniale significative.

Toutefois, les célébrations ont été de courte durée. Peu après l’adoption de la Loi, le MPO a déclaré que presque tous ses phares étaient des « surplus » par rapport à ses besoins. La clause stipulant qu’un phare en surplus peut être désigné en vertu de la Loi seulement si une association communautaire assume la responsabilité de sa protection à long terme a alors été invoquée.

Selon des membres de ces groupes de défense, cette liste de surplus a fait de la Loi un outil de cession de biens en forçant les communautés locales à assumer la responsabilité des phares.

Joe Flemming, dont la résidence se trouve à une balade en bateau de l’île Sambro et qui est maintenant président de la NSLPS, a été déçu que des phares importants comme celui de l’île Sambro soient inclus sur la liste des surplus.

« En réalité, le MPO dispose d’un certain budget pour s’occuper des phares et assurer la sécurité sur les voies navigables ; protéger des bâtiments patrimoniaux ne fait pas partie de son mandat. »

Au cours des deux années qui ont suivi, les communautés se sont empressées de déposer des pétitions pour sauvegarder les phares qui leur importaient ; des groupes ont préparé des plans d’affaires détaillant les moyens par lesquels ils s’assureraient de garder les phares ouverts au public. Finalement, 348 pétitions ont été soumises.

Norman Shields, alors gestionnaire du programme des phares patrimoniaux chez Parcs Canada, estime que le nombre de pétitions était révélateur du sentiment des Canadiens.

« À mes yeux, ça démontrait à quel point il est important pour les communautés côtières de protéger les phares », dit Shields.

Cependant, les défenseurs du patrimoine avaient toujours le sentiment que les phares ne bénéficiaient pas du financement qu’ils méritaient. En 2015, la Fiducie nationale a lancé le concours Ce phare importe, en partenariat avec la NSLPS, recueillant près de 300 000 $ pour soutenir les initiatives de réhabilitation et de conservation visant 26 phares. Il s’agissait du premier projet du genre.

 

Où en sommes-nous maintenant ?

Dix ans plus tard, 100 phares ont été désignés en vertu de la Loi ; 58 d’entre eux ont été transférés à de nouveaux propriétaires, alors que 42 demeurent la propriété du gouvernement fédéral. Certains des phares protégés sont parmi les plus riches architecturalement et historiquement : c’est le cas de celui de Triple Island, en Colombie-Britannique, du phare des Îles-du-Pot-à-l’Eau-de-Vie, au Québec, et de celui du cap Spear, à Terre-Neuve-et-Labrador.

Environ 250 phares en surplus qui ne sont pas désignés en vertu de la Loi sont toujours la responsabilité du MPO. Comme le rapporte une étude du Comité des pêcheries produite en 2011, détenus par le gouvernement fédéral, ils ont fait l’objet de très peu d’entretien, voire pas du tout, au cours des dernières décennies. Joe Flemming, de la NSLPS, dit que certains phares nécessitent des travaux d’entretien coûteux, ce qui n’encourage pas les communautés locales à les prendre en charge, même si elles ont des plans d’affaires robustes.

Plusieurs phares sont situés dans des endroits reculés ou de petites localités où le potentiel de développement est limité. D’après Flemming, un financement d’amorçage sera nécessaire afin de continuer à raconter l’histoire de ces phares et faire en sorte qu’ils continuent à être des symboles de l’identité locale.

En exigeant qu’une communauté devienne propriétaire avant que la structure ne soit désignée bien patrimonial, on risque que seuls les phares qui représentent la crème de la crème soient entretenus alors que ceux ne pouvant être soutenus par la communauté tombent en ruine, remarque Charles Hazell, cofondateur et directeur chez THA Architects (la firme ayant participé au projet d’une valeur de 1,5 million $ pour restaurer le phare Sambro). « Je pense que c’est une faille dans la Loi : elle se limite aux phares qui sont vraiment remarquables et qui ont le potentiel de devenir intéressants au point de vue politique, dit Hazell. Certains phares sont ainsi éliminés de la course et ce n’est pas le but. »

Le MPO n’était pas disponible pour une entrevue lors de la rédaction de cet article ; dans un courriel, cependant, le Ministère mentionne dépenser environ 1 million $ annuellement pour faire avancer les dossiers de cession à travers le pays. Cet argent sert à financer des réparations et d’autres activités nécessaires afin de retirer de l’inventaire du MPO ces biens, par exemple des travaux d’arpentage et d’assainissement ou les honoraires d’experts-conseils et les frais juridiques.

Depuis 2016, les phares désignés en vertu de la Loi sont admissibles au Programme national de partage des frais pour les lieux patrimoniaux de Parcs Canada. Du financement a ainsi été offert pour la préservation de phares comme celui de Sheringham Point, près de Victoria, en Colombie-Britannique.

Certains phares pris en charge par la communauté représentent des exemples de succès. Dans certains cas, des groupes assurent le maintien de l’aide à la navigation pour le compte du MPO. Dennison Tate, enseignant dans la région du cap Enragé, au Nouveau-Brunswick, a lancé le projet de préservation du phare local en 1992. Il estime que la prise en charge des phares par la localité constitue une attente raisonnable. Le phare du cap Enragé est l’un des rares qui ont été transférés aux mains d’une communauté bien avant l’adoption de la Loi.

Bien que Tate dise juger que les gouvernements devraient être responsables d’une partie du financement, il considère que la participation de la communauté permet des développements à l’échelle locale qui seraient impossibles autrement.

« Une fois que nous n’avons plus craint que les bâtiments soient détruits, nous avons développé une entreprise vouée à la formation des jeunes, rapporte Tate. Les jeunes ont maintenu le phare en bon état, et nous avons trouvé des moyens financiers pour soutenir le projet. Les élèves se le sont approprié. »

Le site reçoit un soutien du gouvernement. Cependant, Tate affirme que les communautés doivent être créatives quand vient le temps de trouver du financement. Tate, sa femme et ses élèves ont débuté avec des dons et ont bâti un petit restaurant. « On ne peut pas dépendre du gouvernement pour tout financer. »

 

À l’horizon des phares patrimoniaux

Présentement, le MPO et Parcs Canada travaillent tous deux à céder davantage de phares aux communautés locales afin qu’ils puissent obtenir une désignation en vertu de la Loi. Cent phares, voire plus, sont visés dans le cadre de cette initiative. Ils sont désignés en vertu de la Loi par le ministre d’Environnement et Changement climatique Canada, sur recommandation de la Commission des lieux et monuments historiques du Canada (CLMHC).

Cependant, la pandémie de Covid-19 accroît la pression sur les communautés qui dépendent du tourisme estival pour entretenir leur phare. Cap Enragé, par exemple, a dû renoncer à ouvrir ses portes cette année.

« Les gouvernements travaillent dans l’urgence pour répondre à d’énormes besoins sociaux, dit Richard Alway, président de la CLMHC. Le fait est que les phares, comme toutes les autres ressources patrimoniales, pourraient bénéficier d’un soutien financier plus important de la part de tous les ordres de gouvernement, affirme Alway. La meilleure façon d’y parvenir est de démontrer que le grand public nous appuie. »

L’occasion est idéale pour sensibiliser les élus à ce soutien alors que le gouvernement examine la manière dont les lieux historiques nationaux devraient être désignés et préservés.

« Quand on y pense, l’histoire est à la nation ce que la mémoire est à l’individu, dit Alway. Ça donne un sens, un contexte, une identité – et c’est important pour nous tous. »

 

 

Cet article est disponible dans :

L'héritage de l'hiver. Forgé dans la glace

Hiver 2021 • Numéro 167

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