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Louise Mercier

Déménagement du phare de l’Anse-à-la-Cabane. Soulevé par la passion

Louise Mercier et Pierre Lavallée ont pris les grands moyens pour protéger le phare de l’Anse-à-la-Cabane aux îles de la Madeleine. Menacé par l’érosion côtière, ce bâtiment patrimonial a été déplacé en 2013. Toute une aventure de sauvegarde!

 

Notre premier voyage en famille aux îles de la Madeleine remonte à 1993. Le charme de ces îles sablonneuses du golfe Saint-Laurent nous a subjugués et nous y sommes revenus de nombreuses fois. Comme pour plusieurs, notre coup de cœur s’est traduit par l’achat d’une maison de vacances en 1999. La maison du gardien du phare de l’Anse-à-la-Cabane à Bassin était en vente depuis quelque temps. Nous l’avons acquise de même que des terrains situés en face, car le site sur lequel elle se trouvait appartenait toujours à Pêches et Océans Canada, qui nous le louait par contrat renouvelable, un fait rare dans la propriété des phares canadiens. Dès lors, il était prévisible que la maison et ses bâtiments seraient un jour déplacés.

 

Notre volonté de préserver ce patrimoine maritime et paysager

Notre sensibilité à la valeur patrimoniale de ces immeubles – le phare, la maison du gardien, le hangar à pétrole et la bécosse – et de l’ensemble paysager qu’ils forment sur les caps sableux de l’île du Havre-Aubert nous a amenés à nous comporter comme les « gardiens » du phare. Désireux que ce paysage maritime soit pérenne, nous avons investi pour entretenir les bâtiments et inciter le gouvernement fédéral à faire de même pour le phare, qui était toujours sa propriété. Nous avons toutefois constaté que son intérêt déclinait au fil des années. Même si le phare fonctionnait encore comme aide à la navigation (il a été éteint en 2011), on entendait de plus en plus dire que le gouvernement se départirait des phares à brève échéance.

Deux mesures de protection, la reconnaissance de l’intérêt patrimonial du phare par le gouvernement fédéral en 1991 et la citation du secteur du phare de l’Anse-à-la-Cabane en 2006 par la Municipalité des Îles-de-la-Madeleine, donnaient déjà le signal de l’importance du site et établissaient les mesures de protection nécessaires à sa sauvegarde.

Nous connaissions déjà bien tous les processus de protection du patrimoine et les obligations qui en découlent pour les propriétaires. En 2002, nous avions entrepris une autre aventure folle, cette fois sur le « continent », comme le disent les Madelinots : la restauration du relais de poste de Deschambault, un bâtiment datant du début du XVIIIe siècle. Notre première action avait été de demander le classement du bâtiment selon la Loi sur les biens culturels du Québec (depuis 2012, Loi sur le patrimoine culturel du Québec) vu son importance historique pour le Québec.

Nous entendions donc prendre toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde du patrimoine du site des Îles.

 

L’urgence se précise

Avec vigilance, à chacun de nos séjours et selon les indications de nos amis madelinots, nous avons observé tout ce qui pouvait fragiliser le site et ses falaises. La vigueur des tempêtes à l’automne, le manque de couvert de glace pour protéger les falaises de l’assaut des vagues l’hiver, la force des vents qui érodent les falaises de grès rouge et qui creusent des grottes dans les parois, tout cela nous révélait l’accélération des changements climatiques et leur impact sur un milieu aussi fragile que celui des Îles.

En dix ans, nous avons observé : l’effondrement de grands pans de falaises du port de Bassin jusqu’à l’extrémité du chemin de l’Étang-des-Caps ; une érosion préoccupante à proximité de la voie sud du chemin du Phare ; un rétrécissement du terrain initial du phare ; la formation d’une profonde cuvette à la surface du terrain mitoyen, signe de la présence d’une grotte souterraine. Nos appréhensions se sont confirmées lors d’une excursion en embarcation au bas de la falaise en 2012 : le site se dégradait rapidement. Les échancrures dans la falaise se rapprochaient dangereusement du phare.

En outre, le phare perdait peu à peu de son lustre : les tempêtes d’hiver emportaient des bardeaux, les haubans servant à le stabiliser se fragilisaient puis cassaient, la peinture s’écaillait de la lanterne jusqu’au bas de la structure. Et le sable rouge des falaises, soulevé par les tempêtes, salissait son éclat. Pour tout dire, les visiteurs trouvaient le phare moche. Dans son processus de délestage, le gouvernement fédéral n’entendait plus investir pour maintenir le bien en bon état. Nous avons donc pris sur nous de faire réparer les haubans et de remplacer les bardeaux perdus qui permettaient aux pluies violentes de pénétrer la structure et de l’abîmer. Là s’arrêtait ce que nous pouvions faire.

Nos appréhensions se sont vues confirmées par les études sur l’érosion des côtes des îles de la Madeleine produites par les chercheurs de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR). Dans son rapport de 2008, le Laboratoire de dynamique et de gestion intégrée des zones côtières de cette université nomme, entre autres phénomènes provoqués par les changements climatiques : une hausse du niveau de la mer aux Îles qui amène un déplacement des sédiments ; un littoral plus exposé à la suite de la diminution du couvert de glace ; une augmentation de l’amplitude des vagues lors de tempêtes. Les études et les cartes du consortium Ouranos-UQAR indiquent que l’érosion dans le secteur du phare de l’Anse-à-la-Cabane et du chemin du phare est bien réelle et qu’elle progresse inexorablement. Une carte de l’érosion du littoral à l’horizon 2050 montre un recul de la côte de 40 mètres en certains points, entre autres au site du phare. Voilà qui a été pour nous un signal déterminant : une action devait être entreprise à brève échéance pour protéger le site du phare de l’Anse-à-la-Cabane !

 

Passer à l’action avant qu’il ne soit trop tard

Sanctionnée par le gouvernement fédéral en 2008, la Loi sur la protection des phares patrimoniaux laisse à partir de ce moment la porte ouverte à des individus et à des organismes prêts à acquérir des phares excédentaires, moyennant l’assurance de leur protection. La Municipalité, dont le territoire comporte six phares, ne souhaitait pas les prendre en charge puisque leur piètre état nécessitait des investissements rapides et importants et que la cession ne venait pas avec des fonds à hauteur des besoins. La Municipalité a cherché des partenaires locaux, mais aucun organisme du milieu n’estimait avoir les reins assez solides pour prendre la responsabilité du phare. Nous avons donc décidé de poursuivre notre engagement en nous en portant acquéreurs. Nous avons formulé et documenté notre intention, qui s’avérait une solution intéressante pour la petite communauté des Îles (population de 12 585 personnes en 2013) puisque des fonds privés viendraient préserver le phare. Ainsi, elle n’aurait pas à débourser un sou pour conserver toutes les caractéristiques de ce patrimoine.

Nous avons pris grand soin de garder intact le coup d’œil sur le site. Maintenir la qualité de ce paysage identitaire était pour nous fondamental. Nous avons donc fait arpenter le terrain de l’autre côté du chemin du Phare pour que tous les bâtiments du site s’y retrouvent dans une position identique les uns par rapport aux autres. Au terme de l’opération, leur nouvel emplacement serait situé 75 mètres plus au nord que leur localisation initiale.

 

Le déplacement et les travaux de restauration

À l’automne 2013, l’étape la plus délicate prenait forme. Pour réussir le transport d’un bâtiment aussi haut et étroit qu’un phare, nous nous sommes assurés de disposer des meilleures compétences. La route d’accès permettait encore de circuler avec des camions lourdement chargés des blocs de béton qui feraient contrepoids au poids en hauteur du phare. Deux équipes se complétaient, celle de Héneault et Gosselin, spécialiste en déplacement de bâtiments hors normes, et celle de Constructions Renaud et Vigneau inc., l’entrepreneur général responsable de l’ensemble des travaux. Nous sommes heureux que les travailleurs des Îles aient pu démontrer tout leur savoir-faire dans un projet aussi unique.

Après une journée de forts vents qui a imposé un temps d’arrêt, les équipes se sont activées durant trois jours. En résumé, les travailleurs ont dû : placer tous les poids nécessaires ; détacher le fût du phare de ses pieds de fonte ; détacher les haubans pour les rattacher à la structure de déplacement ; transporter le phare d’un côté à l’autre du chemin, puis le redéposer.

Au soulèvement du phare, surprise ! Trois des six jambes de support étaient pourries et devaient être réparées avant d’être redéposées sur leurs pieds de fonte. Dès quatre heures, le matin suivant le déplacement, les travailleurs étaient à l’œuvre pour rapidement enlever la pourriture et refaire une structure saine. Le phare a finalement été déposé sur une fondation neuve et attaché aux nouveaux haubans ancrés sur des pieux vissés dans le sol. Il regagnait ainsi toute sa solidité et sa capacité à affronter à nouveau les éléments rigoureux.

Alors a commencé un bon travail de restauration du phare, qui se déroulerait jusqu’en 2015. L’essentiel a consisté à : réparer les éléments fragilisés de la structure ; refaire en entier le recouvrement de bardeaux ; réparer les fenêtres ; déposer la lanterne et la restaurer en atelier. Enfin, au printemps 2015, la lanterne a été posée sur le fût. Le feu du phare, qui était éteint depuis 2011, a été rallumé à titre de feu privé, non utilisé pour la navigation. La peinture de l’ensemble des bâtiments et l’aménagement du terrain ont bouclé les travaux de mise en valeur du site.

 

Un résultat concluant

Nous sommes satisfaits du résultat. Notre investissement personnel, tant en expertise qu’en argent, en valait la chandelle : les Madelinots et les visiteurs sont aujourd’hui à même d’apprécier toute la beauté de ce paysage maritime à Bassin sur l’île du Havre-Aubert.

 

Cet article est disponible dans :

Patrimoine et changements climatiques. Contre temps et marées

Printemps 2018 • Numéro 156

Tenir tête au temps

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