Des citoyens visionnaires
Julie Pineault, agente de développement rural et culturel à la MRC de La Côte-de-Gaspé. Elle a été résidente de L’Anse-au-Griffon de 2011 à 2017.
À L’Anse-au-Griffon, en Gaspésie, un ancien entrepôt frigorifique a échappé à la démolition pour devenir un centre culturel. Une histoire de citoyens déterminés qui ont su reconnaître la valeur et le potentiel de ce bâtiment historique.
En 1942, à l’époque des coopératives de pêcheurs, on construit un entrepôt frigorifique à L’Anse-au-Griffon, petit village de la pointe gaspésienne qui, à l’instar de nombreuses communautés de la région, doit son développement à l’industrie des pêches. Le bâtiment sert à la préparation et à l’entreposage des produits de la pêche avant leur mise en marché. Il est également utilisé par les résidents du village, qui y conservent leur nourriture. Son style architectural vernaculaire gaspésien d’influence néoclassique lui donne une prestance certaine. De plus, il se distingue des autres entrepôts de la péninsule par son plan architectural cruciforme, l’agencement de ses deux types de toitures et la répartition intéressante de ses ouvertures, notamment. Sa situation géographique constitue aussi un avantage : il se dresse au centre du village, en bord de mer.
Le bâtiment est utilisé jusqu’au début des années 1990, moment où la coopérative de pêcheurs cesse ses activités. En 1999, il est à l’abandon, dans un état de décrépitude, et sa démolition s’avère imminente. Certains citoyens du village refusent toutefois catégoriquement cette éventualité, voyant plutôt un grand potentiel dans cet édifice. Ils créent alors un comité provisoire, qui parvient à faire bloquer la démolition.
Une première étape est franchie, mais la partie n’est pas gagnée ! Les membres du comité de sauvegarde de l’entrepôt peinent à rallier des instances décisionnelles à leur projet d’envergure et celui-ci inspire du scepticisme à certains de leurs concitoyens. Une seconde étape est franchie en 2001, lors de la fusion de la Caisse populaire Desjardins de L’Anse-au-Griffon avec celle de la communauté voisine de Rivière-au-Renard. Les membres de la Caisse choisissent d’utiliser leur ristourne afin de constituer la mise de fonds de la collectivité pour le projet de sauvegarde et de restauration de l’entrepôt frigorifique. La recherche de financement se poursuit afin d’amorcer la restauration du bâtiment et sa transformation en centre culturel. C’est ainsi que des investissements de plus de 1 million de dollars se confirment et que des travaux de restauration et de consolidation de la structure débutent, en 2003. Le Centre culturel Le Griffon ouvre officiellement ses portes en 2005, après quoi d’autres travaux d’amélioration des infrastructures en place se succèdent.
Aujourd’hui, le Centre est ouvert à l’année et emploie jusqu’à une vingtaine de personnes en haute saison, dans un village comptant environ 500 résidents. Il comporte une salle de rencontre, une salle d’exposition, une salle de spectacle, une boutique de métiers d’art, un restaurant, une terrasse ainsi qu’un point de service de la Caisse populaire Desjardins. Les effets de la sauvegarde de l’entrepôt frigorifique et le développement de sa vocation de centre culturel sont nombreux pour la communauté et les citoyens de L’Anse-au-Griffon.
Mémoire, développement économique et bien plus
L’ancien entrepôt frigorifique constitue un digne témoin de l’histoire maritime et industrielle du village. L’impact de sa sauvegarde sur la mémoire collective sera important, notamment pour les jeunes générations qui n’auront pas connu les années où la pêche était en plein essor et représentait un moteur économique majeur.
Le Centre culturel propose un modèle intéressant puisqu’il crée des emplois durables en milieu rural. Cette entreprise d’économie sociale fournit des services aux citoyens tout en mettant l’accent sur la personne avant le profit.
Le Centre et ses infrastructures permettent aux citoyens d’accéder, dans leur village, à une offre culturelle diversifiée et de qualité. Citons notamment les Tournées Découvertes du Réseau des organisateurs de spectacles de l’est du Québec (ROSEQ), des conférences historiques, des expositions thématiques et des ateliers de création. Le lieu constitue également une vitrine importante pour des artistes et artisans du village et des environs.
On observe une synergie particulière dans le village de L’Anse-au-Griffon. Plusieurs organisations travaillent en collaboration sous le chapeau du Circuit culturel Griffon’art. Ce regroupement fédère des organismes à but non lucratif et des intervenants culturels et touristiques autour de préoccupations partagées. Les partenaires, dont le Centre culturel, ont mis en place une signature visuelle commune, une programmation d’animation, une tournée d’ambassadeurs touristiques, etc.
S’il est difficile de mesurer l’influence du Centre culturel sur le sentiment d’appartenance et la fierté collective, on peut noter des manifestations qui démontrent l’ancrage du lieu dans sa communauté : fréquentation des lieux par la population locale, participation des citoyens aux activités proposées, implication de bénévoles dans la vie démocratique du Centre, etc.
Le mérite revient aux citoyens de L’Anse-au-Griffon qui ont vu un potentiel de développement là où d’autres ne voyaient plus rien. Ils n’ont pas jugé le bâtiment à son état de conservation ou à son environnement immédiat. Ils ont mis à profit leur créativité pour trouver une nouvelle façon d’occuper un édifice qui s’élevait parmi eux depuis des décennies. D’autres défis de taille attendent cet ancien entrepôt frigorifique, notamment l’érosion des berges. Souhaitons que la communauté poursuive sa mobilisation et que le Centre culturel Le Griffon soit présent dans le paysage du village pour de nombreuses années encore.