Des lichens, pas des saletés
France Rémillard, restauratrice du Centre de conservation du Québec à la retraite
Comment retirer les lichens qui s’accumulent sur les pierres tombales ? La question n’est pas là. Il faudrait plutôt s’interroger sur leur nature et la pertinence de les déloger.
Mon cœur d’ex-restauratrice bondit toujours quand j’entends que des gestionnaires de cimetière proposent encore et toujours à leur clientèle des nettoyages de stèle au jet de sable. Aoutche ! Surtout que cette opération de grand nettoyage, dont l’objectif est la plupart du temps de se débarrasser de malencontreux lichens, vise habituellement les pierres poreuses, donc les plus anciennes, celles en marbre. Combien de fois l’ai-je dit, répété et publié ? Il s’agit d’un travail inutile et dangereux ! Je peux comprendre que la tentation soit forte de se débarrasser une fois pour toutes de cette végétation malvenue. Ne vivons-nous pas dans une société du tout beau tout propre ? Encore faut-il savoir à quoi on s’attaque.
Qui a peur du gros méchant lichen dans les cimetières ?
D’abord, les lichens ne sont pas de la saleté. Au contraire, il s’agit d’espèces anciennes très sophistiquées qui ont développé un mode de vie bien particulier, celui de parasite symbiotique. Ce qu’il faut comprendre par cette appellation, et là c’est le Petit Robert qui parle, c’est qu’un parasite est « un être qui vit en association avec un autre dont il se nourrit, sans le détruire ni lui apporter aucun avantage ». Une sorte de Tanguy, quoi ! Toujours selon le même dictionnaire, une symbiose « est une association durable et réciproquement profitable de deux ou plusieurs êtres vivants ». Pas loin du mariage !
Pour se perpétuer, les lichens ont développé une double nature : ils sont à la fois champignon et algue. Une association mutuellement profitable qui permet au mariage de durer. Le champignon vit en surface et l’algue à l’intérieur de la pierre. Dans leur entente consentie, le champignon apporte la lumière, l’eau et les minéraux tout en assurant à l’algue une protection contre les éléments environnementaux qui pourraient lui être fatals. En contrepartie, l’algue prépare les repas du champignon. Comme elle est capable de fixer le carbone par photosynthèse, elle en régurgite la majeure partie à son partenaire, qui s’en nourrit.
Vous aurez compris que ce qu’on voit sur la surface des pierres n’est que la pointe d’un iceberg… Il s’agit du thalle du champignon. Il est constitué de cellules fertiles servant à la dispersion et à la reproduction du lichen et de cellules végétatives qui participent aux autres fonctions vitales. Sous la surface se concentrent les algues et, plus en profondeur encore, les hyphes, qui constituent le système rhizoïde ou racinaire de ce couple parasitique. En le délogeant, un peu de la pierre à laquelle il est incorporé partira forcément avec lui.
Du respect pour le grand âge
Il est rassurant de savoir que la croissance des lichens est très lente : 1 mm par an. Ainsi, les lichens présents sur les stèles peuvent être très vieux, mais bien vivants. Dans certains pays, ils sont même protégés par la loi à cause de leur longévité et de leur rareté. Puis, avec leur variété de formes et de couleurs, les lichens sont de belles et naturelles références à l’âge de la pierre, un peu comme les rides sur la peau… pas toujours si laides.
Et puis, sont-ils si méchants ?
Bien sûr, les lichens sont visuellement dérangeants et nuisent à la lecture des inscriptions et des dessins gravés dans la pierre qu’ils parasitent. Mais quel est leur effet réel sur le processus de détérioration ?
Avec les lichens, la détérioration de la pierre s’opère de différentes façons :
1. pénétration et expansion du système racinaire ;
2. expansion et contraction du thalle ;
3. gonflement des sels et des acides organiques ;
4. incorporation de fragments de pierre dans le thalle.
En contrepartie, ils comportent un avantage. Parce que les lichens sont durs et résistants, ils offrent une certaine protection de surface à la pierre sous-jacente. Ils agissent comme bouclier contre l’érosion par les éléments naturels que sont le vent, la pluie acide et le gel. Ils ne sont donc pas si méchants que ça.
Que faire alors avec les lichens ?
Les stèles des cimetières au Japon sont toutes bien propres et exemptes de lichens. Et pour cause : tous les cimetières japonais offrent aux visiteurs des seaux, des brosses et de l’eau. C’est un geste de respect que de procéder au grand ménage du monument quand on visite son ancêtre. Régulièrement nettoyées, les stèles japonaises offrent peu de prise aux lichens et aux mousses.
Mais quand le lichen est implanté, toute action mécanique ou chimique visant son retrait ne peut être que destructive, partielle et temporaire. Pour cette raison, la non-intervention ou l’intervention minimale sont de loin préférables.
Pour révéler les inscriptions logées sous les lichens, il suffit alors d’en mouiller la surface, ce qui les rend transparents. Sans endommager les pierres ni déranger les lichens, on peut alors enregistrer les inscriptions en les photographiant, si possible sous un éclairage rasant. Dans certains cas, la photographie laser 3D permet, par traitement de l’image, de déchiffrer les inscriptions dissimulées sous le lichen et très érodées.
Aussi, mieux vaut prévenir que guérir. Les lichens ont une prédilection pour les pierres poreuses et peu denses. Il est donc souhaitable d’éviter les marbres. Quand il s’agit d’une pierre patrimoniale et qu’elle est de nature poreuse, il est possible de ralentir la croissance des lichens ou de prévenir leur apparition en réduisant la végétation dans le périmètre immédiat de la pierre ; en débroussaillant, en éloignant des plantes situées trop proche, en élaguant une branche d’arbre qui fait de l’ombre, par exemple. Un brossage de la pierre à l’eau savonneuse ou avec solvant suivi d’un rinçage exhaustif à l’eau représente une option de rechange qui, bien que destructrice, peut donner les résultats attendus si l’implantation des lichens n’est pas très profonde et si la surface de la pierre n’est pas friable. Mais il faut s’attendre à ce que, de toute façon, l’effet obtenu ne soit que temporaire.
La non-intervention directe est l’avenue que nous privilégions. Il faut regarder la croissance des végétaux comme faisant partie du vieillissement normal d’une pierre en milieu extérieur.
Ce sont les recommandations qui apparaissent dans le Guide pour préserver son cimetière, disponible gratuitement sur le site du Centre de conservation du Québec. Ce document, préparé en 1995 et réédité en 2012, est toujours d’actualité et contient tout plein d’informations utiles, dont certaines concernant le nettoyage dans le chapitre sur la restauration. Pourquoi s’en passer ?