Des noms en héritage
Josiane Ouellet, rédactrice en chef
Il y a quelques années, je devais me rendre au Musée canadien des civilisations avec une collègue. Nous avons passé un bon moment à chercher la ville de Hull avant de nous souvenir de la fusion qui faisait de Gatineau notre destination ! Cette anecdote illustre bien une fonction essentielle de la toponymie : situer et orienter. Mais si les noms de lieux constituent un patrimoine, c’est parce qu’ils ont pour autre objectif de témoigner, de commémorer. Ils parlent du territoire et rappellent le passé (personnages, événements, légendes, expressions, industries, etc.).
Plus, on peut aussi donner un sens à la prédominance de certains types de désignations. Au Québec, par exemple, les noms de saints foisonnent, preuves de l’importance de la religion dans notre histoire. L’appellation Sainte-Anne, qui figure à la une du magazine, compte parmi les plus répandues (375 résultats de recherche dans la Banque de noms de lieux de la Commission de toponymie du Québec sur le Web). Voilà qui peut sembler redondant, mais faut-il changer ces toponymes pour autant? Le géographe Henri Dorion croit que non. Dans la conférence qu’il a prononcée au Salon des sociétés d’histoire de Québec en novembre dernier, il rappelait par ailleurs que plusieurs d’entre eux ne renvoient même pas à de vrais saints. Par exemple, il n’existe pas de saint Amable, en dépit de l’ancien nom d’une rue de Québec qui vient d’être rebaptisée Jacques-Parizeau. Celle-ci honorait plutôt Amable Berthelot, dont la famille a vécu sur place.
La toponymie rend également compte de l’évolution de l’occupation du territoire. Aux appellations autochtones ont succédé les françaises, les anglaises. Et selon les valeurs propres aux différentes époques, certaines ont été mises de côté ou transformées. Bref, au fil du temps, nos ancêtres ont créé un riche héritage qui mérite d’être célébré et exploré avec curiosité. Plusieurs outils le mettent en valeur (sur le site Web de la Commission ou de certaines villes comme Montréal, Québec et Gatineau), et il va sans dire que notre dossier participe à cet effort.
Mais ce n’est pas tout. Nous avons la responsabilité collective de continuer à nommer les lieux. La photo de notre page couverture évoque d’ailleurs cette tâche qui nous incombe. En captant la fabrication d’une plaque de rue à S-pace signalétique, à Québec, nous avons voulu suggérer par métaphore l’action qui consiste à s’inscrire dans le territoire au moyen de la toponymie. Or, pour mener à bien cette mission, il faut connaître l’état de la situation, s’interroger sur le legs que nous souhaitons transmettre aux générations futures et mettre en place de bonnes pratiques. Avec notre dossier, vous pourrez explorer les enjeux actuels touchant ce patrimoine et, qui sait, décider de prendre part à son devenir.
Quelques images de notre visite chez S-pace signalétique, où on réalise les plaques de rue de la ville de Québec, notamment. Photos: Guillaume D. Cyr