Des statuts de protection à renforcer
Renée Genest et Félix Rousseau, Directrice générale et agent Avis et prises de position chez Action patrimoine
La chronique Point de mire reflète la position d’Action patrimoine dans certains dossiers chauds. Cet hiver, elle s’intéresse aux statuts de protection employés par chaque palier de gouvernement au Québec.
Un lieu historique national, un immeuble classé, un paysage culturel patrimonial désigné, un site patrimonial déclaré : difficile de s’y retrouver ! Ces termes désignent des statuts visant la protection et la mise en valeur du patrimoine bâti et des paysages au Québec, mais chacun avec ses spécificités. Grâce à ces statuts, des milliers de bâtiments et de sites patrimoniaux sont désormais reconnus et protégés aux quatre coins de la province.
Au fil des ans, bien que les bons coups aient été nombreux dans le domaine de la conservation, force est d’admettre que les moins bons l’ont été également. Plusieurs statuts échouent, encore trop souvent, à contrer les menaces qui pèsent sur les biens qu’ils sont censés protéger. Pour que la disparition de notre patrimoine bâti cesse enfin, ces statuts doivent être renforcés. Les gouvernements et les municipalités ont chacun un rôle à jouer afin d’atteindre cet objectif.
Des défis pour le gouvernement québécois
Au Québec, la Loi sur le patrimoine culturel (LPC) encadre la conservation du patrimoine bâti depuis son entrée en vigueur en 2012. Descendante de la première Loi sur les monuments historiques ou artistiques adoptée en 1922, la LPC codifie l’usage de la plupart des statuts de protection utilisés au Québec. Elle partage en outre la responsabilité de la protection entre le gouvernement du Québec, le ministre de la Culture et des Communications, les municipalités régionales de comté (MRC) et les municipalités locales.
Ainsi, c’est le gouvernement provincial qui a le pouvoir de déclarer des sites patrimoniaux. Il s’agit de territoires, de villes, de villages ou de quartiers dont la valeur patrimoniale est exceptionnelle à l’échelle du Québec. On compte actuellement 13 sites patrimoniaux déclarés, dont l’île d’Orléans, le Vieux-Québec et Percé. Nouvellement nommé ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, quant à lui, a le pouvoir de classer des immeubles et des sites patrimoniaux. Le classement vise des biens dont la protection et la mise en valeur présentent un intérêt public. En date de 2022, leur nombre s’élève à 695. Des immeubles tels que Habitat-67, à Montréal, ou des sites comme celui de La Grave, aux Îles-de-la-Madeleine, font partie de ces biens protégés.
Malheureusement, ces protections gouvernementales ne sont pas infaillibles. À ce sujet, il faut rappeler les tristes événements survenus à Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson en mai dernier, alors que le bâtiment de l’ancien centre commercial du Domaine-de-l’Estérel est tombé sous le pic des démolisseurs. La destruction de ce bien patrimonial classé, réalisée sans permis par le propriétaire, a créé une véritable onde de choc dans le milieu de la conservation. Nathalie Roy, alors ministre de la Culture et des Communications, a qualifié ce geste d’illégal et confirmé qu’une enquête est en cours pour faire la lumière sur cette affaire.
D’autres biens patrimoniaux classés ont disparu ou ont été négligés durant les dernières années au Québec. C’est notamment le cas du moulin du Petit-Sault, à L’Isle-Verte. Classé en 1962, le bâtiment est à l’abandon depuis plusieurs décennies. Cette situation a mené à sa démolition partielle en 2019 pour des raisons de sécurité. La structure restante, quant à elle, continue de se détériorer.
Comment se fait-il que la Loi ne parvienne pas à contrer de telles situations ? D’une part, il semble que les amendes qu’elle prévoit n’ont pas l’effet dissuasif escompté auprès des fautifs. Dans le cas de l’Estérel, si le propriétaire – un promoteur immobilier – est reconnu coupable, l’amende maximale qui pourrait lui être imposée est de 1 140 000 $. Plusieurs sont d’avis qu’une telle somme ne reflète pas la gravité du geste commis. D’autre part, bien que l’article 76 de la Loi sur le patrimoine culturel donne au ministre le pouvoir d’ordonner toute mesure qu’il estime nécessaire pour empêcher que ne s’aggrave la menace pour un bien classé, ce pouvoir demeure peu utilisé. À ce sujet, n’eût été l’inaction du ministère, le destin du moulin du Petit-Sault aurait pu être bien différent.
Des pouvoirs à assumer par les municipalités
Depuis 1986, les municipalités québécoises peuvent citer un immeuble ou un site et, l’an dernier, les MRC ont également obtenu ce pouvoir. À ce jour, le Répertoire du patrimoine culturel du Québec indique que 1241 biens sont cités au Québec.
Ce statut est toutefois utilisé de manière inégale par le milieu municipal. Par exemple, des élus peuvent décider d’abroger un règlement de citation adopté sous une administration précédente. Un cas ayant récemment fait la manchette est celui de l’édifice Wilder-Pierce, à Stanstead. Cité en 2009, il est considéré comme le plus vieil édifice ayant été utilisé comme bureau de douane toujours existant au pays. Or, le conseil municipal souhaite désormais retirer cette protection et procéder à la démolition du bâtiment, étant donné son état de dégradation.
En abrogeant ce règlement de citation, la Ville de Stanstead se prive de pouvoirs offerts par la Loi qui lui permettraient de restaurer l’édifice. Une municipalité peut notamment exiger du propriétaire d’un bien cité que des travaux d’urgence soient effectués. Dans les cas les plus critiques, il est même possible de procéder à l’expropriation d’un propriétaire récalcitrant.
On constate cependant que la plupart des pouvoirs mentionnés au paragraphe précédent sont ignorés par le milieu municipal. On peut présumer que de telles actions, qui impliquent parfois des démarches judiciaires, peuvent être longues et coûteuses. Il n’en demeure pas moins que ces pouvoirs méritent d’être davantage utilisés.
Quel rôle pour le gouvernement fédéral ?
Le gouvernement fédéral a, lui aussi, une part de responsabilité dans la protection du patrimoine bâti. D’abord, il peut désigner tout lieu ayant une importance historique nationale. Il faut remonter à 1919, lors de la création de la Commission des lieux et monuments historiques du Canada, pour retracer les débuts de ce programme de reconnaissance patrimoniale.
Au fil des ans, le gouvernement s’est aussi doté d’autres mécanismes de protection. Ainsi, depuis 1982, le Bureau d’examen des édifices fédéraux du patrimoine fournit une évaluation de la valeur patrimoniale de certains bâtiments appartenant à l’État. Finalement, le gouvernement fédéral a le pouvoir de protéger les édifices qui relèvent de l’un de ses champs de compétence. C’est pourquoi des lois assurent la protection des phares et des gares. Au total, le Québec compte 475 biens reconnus par une désignation patrimoniale fédérale.
Cependant, en 2017, un rapport du Comité permanent de l’environnement et du développement durable a rappelé que le Canada est le seul pays du G7 qui ne dispose pas d’une loi spécifique pour protéger les lieux historiques dont il est le propriétaire. Ce vide législatif n’est pas sans conséquence. Au cours des dernières années, Action patrimoine s’est d’ailleurs inquiété de certaines propriétés fédérales en danger, notamment l’ancien pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul à Laval, qui appartient aux services correctionnels du Canada.
En 2019, notre organisme a écrit au ministre de l’Environnement et du Changement climatique, responsable du patrimoine au niveau fédéral, pour le conscientiser à l’importance de protéger ce bâtiment.
Quant aux gares et aux phares patrimoniaux, les lois en vigueur n’ont pas toujours donné les résultats attendus. De fait, les phares ayant une valeur patrimoniale ne sont pas tous protégés. C’est la situation dans laquelle se trouve celui de Cap-des-Rosiers, à Gaspé. En 2017, Action patrimoine avait interpellé la ministre de Pêches et Océans Canada pour la sensibiliser à cette question. Les gares patrimoniales ne sont pas non plus épargnées par les menaces. En 2021, la gare ferroviaire de Masson-Angers s’est effondrée, et celle de L’Épiphanie a été la proie des flammes. Ces deux gares ont été négligées pendant de nombreuses années, et ce, malgré leur statut de protection. D’ailleurs, au lendemain du sinistre à L’Épiphanie, la Ville a déploré les faiblesses de ce statut patrimonial, soulignant que rien n’obligeait le propriétaire de la gare, le Canadien Pacifique, à entretenir le bâtiment.
Le ministre de l’Environnement et du Changement climatique a récemment annoncé son intention de créer une nouvelle loi pour protéger le patrimoine dont le gouvernement canadien est propriétaire. Il reste à voir si celle-ci verra le jour et dans quelle mesure elle permettra d’éviter des situations comme celles soulevées plus haut.
Un devoir d’exemplarité
On le voit, la protection du patrimoine bâti est une tâche où chaque palier de gouvernement a un rôle à jouer. Tous les statuts de protection contribuent à la connaissance, à la protection et à la mise en valeur de notre héritage collectif.
Néanmoins, beaucoup de travail reste à faire pour que les autorités publiques soient enfin irréprochables dans la gestion du patrimoine bâti dont elles ont la responsabilité. Ce devoir d’exemplarité est essentiel pour convaincre la population d’adopter, à son tour, les meilleures pratiques en matière de protection et de mise en valeur du patrimoine. ◆
Renée Genest et Félix Rousseau, sont respectivement directrice générale et agent Avis et prises de position chez Action patrimoine.