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Bouteille de champagne datant de la Nouvelle-France

Photo : Émilie Deschênes, Pointe-à-Callières, cité d'architecture et d'histoire de Montréal

Du champagne en Nouvelle-France

Une bouteille de mousseux a été retrouvée sur le site du Palais-de-l’Intendant, à Québec. Preuve que les notables locaux apprécient depuis des siècles les produits importés d’Europe !

Ah ! Le son d’un champagne qu’on débouche ! Ce signal de plaisir retentit au pays depuis l’époque de la Nouvelle-France. Voilà ce que révèle un artéfact mis au jour en 2004 sur le site du Palais-de-l’Intendant, à Québec. La bouteille en verre, qui aurait contenu du vin mousseux, témoigne des luxes que pouvait s’offrir l’élite coloniale au XVIIIe siècle.

Ce modèle appartient au type « pot de fleurs », qui apparaît en France vers 1730. Mesurant 23,5 cm de hauteur et 9 cm de diamètre à la base, il est plus court et bombé que son équivalent moderne. Il résiste bien aux pressions causées par l’effervescence. Conservé à l’horizontale, il garde humide le liège qui ferme son ouverture, ce qui empêche le nectar de s’oxyder au contact de l’air. Enfin, un muselet maintient en place le bouchon, prêt à sauter pour ravir les festoyeurs. Des encoches sont visibles sur la bague entourant le goulot.

On peut voir des bouteilles de ce genre (et un bouchon en vol !) dans Le Déjeuner d’huîtres, un tableau de Jean-François de Troy peint en 1735 et conservé au musée Condé, à Chantilly. Le champagne s’impose auprès de la noblesse française dès l’époque du régent Philippe d’Orléans, qui décède en 1723.

Malgré sa simplicité, l’objet constitue à l’époque un exploit technique. Le vin mousseux naît tout naturellement en Champagne : la fermentation dans les fûts, interrompue par le froid hivernal, reprend au printemps, entraînant ainsi la production de gaz carbonique. Au milieu du XVIIe siècle, dom Pierre Pérignon — ou l’un de ses contemporains, selon les sources — élabore la méthode champenoise, qui implique une seconde fermentation en bouteille. Or, les bulles font souvent éclater les flacons et sauter les bouchons… Il faut près de 100 ans d’expérimentation pour créer un récipient apte à les contenir.

Une partie de la solution vient d’Angleterre. Ne produisant plus de vin depuis le XVIe siècle, le pays s’en procure en fût partout en Europe, notamment en France. Alors que les verreries françaises sont chauffées au bois, ce qui donne un matériau de qualité médiocre, les fabriques anglaises carburent au charbon et confectionnent des contenants au verre noir, épais et résistant. Les Anglais prennent donc l’habitude de faire vieillir l’alcool en bouteille, ce qui lui permet de se bonifier durant l’entreposage et, dans le cas du mousseux, de bien refermenter. Cette méthode développée dans la seconde moitié du XVIIe siècle se répand ensuite sur le continent. Elle contribue à dynamiser le commerce du champagne.

L’engouement pour ce produit gagne tôt les rives du Saint-Laurent. La bouteille française montrée ici a sans doute servi à régaler la tablée d’un intendant de Québec, possiblement Gilles Hocquart, en poste de 1729 à 1748. Elle a été récupérée entière dans les latrines du second palais, parmi des artéfacts datant entre 1722 et 1768. Elle repose aujourd’hui dans la Réserve d’archéologie du Québec. ◆

Paul-Gaston L’Anglais est archéologue spécialisé en culture matérielle.

Cet article est disponible dans :

Patrimoine et alcool. Boire du pays

Été 2021 • Numéro 169

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