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Photo: Lévis Martin, 1963

Église Saint-Marc de Bagotville. Aux sources de l’innovation

L’église Saint-Marc de Bagotville a lancé un courant de l’architecture moderne : celui des églises blanches, dont la plupart se trouvent au Saguenay–Lac-Saint-Jean. Portrait de cette pionnière, et survivante.

 

Dure année pour l’œuvre de l’architecte Paul-Marie Côté. Inscrits dans le paysage saguenéen depuis le milieu des années 1950, les bâtiments qui la composent ont récemment été la cible d’un fâcheux massacre. Tout d’abord, l’église Saint-David-de-Falardeau, située dans la municipalité du même nom, a été détruite au printemps 2016. Au moment d’écrire ces lignes, le pic des démolisseurs ravageait la robuste coque blanche de béton armé de l’église Notre-Dame-de-Fatima, dans le but de faire place à des résidences. Signal visuel remarquable du secteur Jonquière de la ville de Saguenay, ce bâtiment était pourtant protégé en vertu des lois provinciales et des règlements municipaux il y a de cela quelques années à peine, jusqu’en 2015. Ces deux églises, respectivement construites en 1967 et en 1962, s’inscrivaient dans la lignée des « églises blanches », un courant mineur de l’architecture moderne dont les constructions se concentrent essentiellement dans la région du Saguenay. Elles étaient sœurs de l’église Saint-Marc de Bagotville, dans l’arrondissement de La Baie, sans doute la plus illustre de toutes.

C’est vers Saint-Marc de Bagotville que les regards se tournent aujourd’hui. Pionnière des églises blanches, elle a été construite en 1955-1956, près d’une demi-décennie avant la deuxième du lot, soit l’église Saint-Raphaël, érigée à Jonquière en 1960 selon les plans de l’architecte Evans St-Gelais. Afin d’éviter qu’elles soient décimées une à une, l’heure de la reconnaissance patrimoniale par le public a sonné pour ces modernes, qui ont parfois perdu leur vocation initiale et qui auront tôt ou tard besoin d’une cure de rajeunissement. À ce sujet, rappelons au passage les actions récentes du ministère de la Culture et des Communications quant à la reconnaissance de l’intérêt architectural des églises construites entre 1945 et 1975. Bien que Saint-Marc soit dans un excellent état de conservation, la nouvelle est bonne tant pour ses sœurs de béton que pour ses cousines aux structures élancées de bois lamellé-collé et pour les autres membres de la famille des modernes.

L’architecte, Paul-Marie Côté

C’est à Paul-Marie Côté, né en 1921 à Chicoutimi, que les Baieriverains doivent la construction de forme expressive qu’est Saint-Marc dans le paysage du secteur Bagotville. Diplômé de l’École des beaux-arts de Montréal en 1950, l’architecte entreprend en 1954 une courte, mais prolifique carrière, qui s’arrêtera avec sa mort prématurée en 1969. C’est après un stage pour la firme chicoutimienne aux idéaux modernistes de Léonce Desgagné et Paul Boileau, suivi d’un voyage en Europe, que Paul-Marie Côté, l’imaginaire plein d’idées novatrices, conçoit son premier projet d’envergure : l’église Saint-Marc de Bagotville. Cette œuvre est celle qui a valu à l’architecte, alors âgé de 34 ans seulement, d’être reconnu pour son avant-gardisme bien au-delà de sa région natale.

 

Essor de Bagotville et genèse du projet

Au début des années 1950, le secteur de Bagotville est en plein essor en raison des industries de l’aluminium, du port en eaux profondes, de la base militaire ainsi que de l’aéroport récemment ouvert à proximité. Trop entassés dans l’église Saint-Alphonse, les résidents de la paroisse réclament alors une église au cœur du nouveau noyau résidentiel, s’étendant vers l’ouest. Le curé Charles-Auguste Boily, reconnu pour son avant-gardisme, choisit le jeune Paul-Marie Côté comme architecte du projet. Réalisée en un temps record de huit mois, la construction de l’église a permis un renouveau dans les pratiques de l’architecture. Véritable laboratoire, le chantier a nécessité dès la conception une étroite collaboration entre l’architecte, qui voulait donner à son église une forme inédite, les ingénieurs Dauphinais et Bélanger et l’entrepreneur Xavier Néron et Fils. La dalle de béton plissée d’une épaisseur de 10 cm formant à la fois le toit et les murs de l’église constitue le plus grand exploit de ce chantier et démontre le bien-fondé de l’association des différents champs d’expertise. Cette dalle a d’ailleurs été mise en place en seulement trois jours, en une coulée ininterrompue. À ce propos, Lucie K. Morisset et Luc Noppen rapportent, dans L’église Saint-Marc-l’Évangéliste de Bagotville (ville de La Baie) : analyse historique et architecturale, que Côté a dû, afin d’éviter la mise en péril de la réalisation du bâtiment, obtenir l’autorisation du curé Boily pour poursuivre le travail le dimanche ! Dans une région où l’industrie était florissante et la main-d’œuvre, expérimentée dans la construction des bâtiments robustes nécessaires à son essor, le béton était le matériau tout indiqué pour innover en matière d’architecture religieuse.

 

Noyau paroissial et valeur urbanistique

Paul-Marie Côté a le mandat de concevoir, en plus de l’église Saint-Marc, le presbytère adjacent, qu’il dispose en « L », perpendiculairement au volume de l’édifice de culte. Dès lors, l’architecte imagine plusieurs possibilités quant à l’implantation des bâtiments sur la parcelle de terrain. Le Répertoire du patrimoine culturel du Québec mentionne que Côté se soucie de doter le site d’une valeur urbanistique, c’est-à-dire d’un aménagement urbain constituant l’extension de sa vision de concepteur pour les bâtiments. Il planifie ainsi un grand parc devant l’église afin de dégager la vue sur celle-ci et d’offrir un lieu de loisir aux résidents du quartier. 

Deux écoles primaires apparaissent déjà sur ses plans, l’une pour filles et l’autre pour garçons. En 1960, Côté verra sa proposition se concrétiser quant au parc. Pour ce qui est des écoles, une première, l’école Saint-Marc, sera construite sur le terrain au nord du parc selon des plans standardisés communs dans le paysage québécois. Ouverte en 1955 par les Sœurs du Bon-Conseil, elle sera rapidement surpeuplée. On fera alors à nouveau appel à Paul-Marie Côté pour concevoir les plans d’une deuxième école en 1962, sur le terrain au sud du parc cette fois-ci. Il en naîtra l’école Georges-Vanier, un bâtiment de béton armé aux traits modernes caractéristiques de l’architecture de Côté, balbutiement miniature de ce que sera l’aile Huard du cégep de Chicoutimi l’année suivante. Le Répertoire du patrimoine culturel du Québec indique que l’unité architecturale de ses bâtiments modernes fait de ce site un témoignage exemplaire des noyaux institutionnels des années 1950 au Québec. Le site du patrimoine du Noyau-Institutionnel-de-Saint-Marc-de-Bagotville est d’ailleurs constitué en 1991. Cité « site patrimonial » depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur le patrimoine culturel en 2012, il comprend l’église Saint-Marc (immeuble classé patrimonial en 2009), l’école Georges-Vanier, le presbytère ainsi que l’îlot végétalisé devant l’église. Il incluait également l’école Saint-Marc (devenue l’Atelier des Arts en 1973), jusqu’à ce que celle-ci soit la proie des flammes le samedi 14 janvier 2017.

Caractéristiques architecturales

Pour ce qui est plus précisément de l’architecture de l’église Saint-Marc, son volume se profile par une silhouette qui n’est pas sans rappeler celle d’une tente. En plan, l’église prend la forme d’une croix latine, c’est-à-dire que le transept et la nef se croisent là où se trouve le chœur. Cela résulte davantage du besoin d’éclairer le chœur par les parties supérieures vitrées des transepts que de l’héritage de la tradition. Mis à part la façade principale triangulaire entièrement vitrée par un mur-rideau composé de rectangles de verre tantôt clair, tantôt bleu, tantôt jaune, les ouvertures du transept sont les seules fenêtres du bâtiment. En effet, la dalle de béton autoportante en forme d’accordéon s’élance du sol jusqu’au faîte. Sa hauteur, de 21,34 m (70 pieds) en façade, diminue à chacune des arêtes, jusqu’à atteindre13,72 m (45 pieds) au chevet. Les confessionnaux sont logés dans les bas-côtés, au creux des arêtes, ce qui évite l’encombrement de l’espace de la nef. Les arêtes se subdivisent ensuite en demi-arêtes afin de solidifier la structure, selon les conseils des ingénieurs. Le nombre d’arêtes passe ainsi de 7 au niveau du sol à 13 au sommet.

Jusqu’à ce que l’on doive la recouvrir d’un revêtement métallique dans les années 1970, par souci d’étanchéité, la dalle de béton nu était visible tant à l’intérieur de l’église qu’à l’extérieur. Selon l’analyse de Morisset et Noppen, les efforts conjugués de conception structurale et esthétique témoignent bien de la pureté souhaitée par Côté pour son bâtiment. Cette épuration traduit également sa vision de l’usage du lieu : un endroit de prière où l’ornementation ne serait qu’objet de distraction. Précurseur du Concile Vatican II, tenu de 1962 à 1965, le lieu de culte conçu par l’architecte devance les prescriptions du renouveau liturgique par son volume modeste. En effet, le Répertoire du patrimoine culturel du Québec indique que réduire l’espace permet d’induire la convivialité entre célébrant et fidèles lors des célébrations, ce qui s’ajoute au fait que la messe est désormais dite face à l’assistance, dans la langue locale. Par son avant-gardisme, l’église Saint-Marc attirera l’attention des publications de l’époque, à travers le Canada et même à l’international. Sa valeur d’exemple marquera le renouveau de l’architecture religieuse des années 1950 et 1960.

 

Legs et pérennité

 

L’église Saint-Marc a maintenu sa fonction de lieu de culte catholique pendant 50 années, jusqu’à la fusion des paroisses Saint-Marc et Saint-Alphonse en 2006. C’est alors que la communauté évangélique La Bible Parle – Saguenay a acquis l’église et le presbytère pour y installer ses activités religieuses et ses bureaux. Malgré quelques adaptations du lieu aux besoins de la pratique cultuelle évangélique, notamment en matière de mobilier, le lieu a gardé son essence et est toujours maintenu dans un état remarquable. Le culte y est célébré hebdomadairement et plusieurs organismes communautaires utilisent de temps à autre la salle paroissiale située au sous-sol.

Pour assurer la pérennité des bâtiments-églises, les occuper est primordial. Véritables monuments témoins d’histoire, les églises modernes offrent des espaces épurés et flexibles jouissant d’un grand potentiel d’adaptabilité en vue de conversions ou d’usages partagés. Il faut tirer profit de l’originalité de leur architecture et miser sur la mémoire de ces lieux pour qu’ils continuent à s’affirmer, avec leur noyau, comme le cœur de la vie communautaire, sociale et culturelle de quartiers et de villages. À ce titre, l’église Saint-Marc de Bagotville rayonne une fois de plus par sa valeur d’exemple, et ce, plus de 60 ans après sa construction. 

Cet article est disponible dans :

Églises modernes. Oeuvres de pionniers

Printemps 2017 • Numéro 152

Lumière sacrée

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