Insertion architecturale Penser le nouveau dans l’ancien
La chronique Point de mire reflète la position d'Action patrimoine dans certains dossiers chauds.
En 2006, Continuité consacrait son dossier du printemps (no 108) à l’insertion architecturale en milieu ancien. Les collaborateurs à ce dossier proposaient une réflexion fort intéressante et toujours actuelle sur ce qui doit présider à de bons projets d’insertion en milieu ancien. Ils soulignaient au passage les irritants qui, au Québec, sont l’apanage de nombreux projets : mauvaise compréhension des règles qu’impose le milieu, recours systématique au critère du plus bas soumissionnaire dans le choix des projets qui n’élève pas la qualité des réalisations, volonté de faire changer les règles pour favoriser des projets, etc.
De façon récurrente, des projets de fort gabarit, en rupture avec leur milieu d’insertion, font réagir les citoyens et les résidents des quartiers concernés. En résultent des débats publics intenses aux issues incertaines, et parfois improductifs.
Comment bien densifier
Les villes et les villages doivent relever le défi de densifier les secteurs occupés pour limiter l’étalement urbain. Des possibilités se présentent sur des terrains laissés vacants, ou sur des terrains bien situés occupés par des bâtiments qui ont perdu leur vocation d’origine – les couvents, par exemple. Les autorités invitent la plupart du temps les promoteurs à proposer des projets qui augmentent la densité résidentielle, afin de stimuler l’activité économique. Ces projets s’inscrivent parfois dans des secteurs anémiés par l’exode des commerces de proximité, faute de clientèle. Or, ces projets immobiliers sont développés dans un patrimoine urbain qui porte un sens certain et qui mérite une intervention de qualité. Et c’est là qu’il y a de l’éducation à faire.
Pour un grand nombre de personnes, le patrimoine demeure encore l’affaire de biens d’exception. Les pratiques de conservation du patrimoine des dernières décennies au Québec ont induit cette perception persistante. Pourtant, la notion de patrimoine s’est élargie pour englober le patrimoine urbain et le patrimoine territorial. Même le paysage culturel a été inclus dans la dernière mouture de la Loi sur le patrimoine culturel du Québec.
Cette vision plus large permet de comprendre que des ensembles plus ou moins grands participent au patrimoine, à la mémoire d’un milieu. Composés d’éléments « ordinaires » témoins de leur époque de construction, ces ensembles évoquent la façon d’habiter un territoire avec ses contraintes physiques et sociales, ainsi que son histoire. Ce qui fait l’identité des milieux de vie. Le défi dans le développement des villes et des villages est d’évoluer et de se transformer en maintenant l’esprit des lieux, en conservant leur identité.
Sous l’effet de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, les municipalités du Québec se sont donné des orientations et des règles, qu’elles inscrivent dans leur plan d’urbanisme ou autres règlements, tel le PIIA, pour préserver et développer leur territoire. Ces règles ou ces normes ont été soumises à la consultation avant adoption. Elles font donc l’objet d’un large consensus. Là où le bât blesse, c’est dans leur application ou leur interprétation. Le pouvoir discrétionnaire exercé par le politique peut, même avec la meilleure intention, porter préjudice au patrimoine d’un milieu. Dans un contexte économique où les investissements sont peu nombreux, la tentation est forte de s’accrocher au premier projet venu, quitte à changer les règles s’il le faut. Erreur. Et c’est là que des citoyens réagissent : pourquoi des consensus établis devraient-ils être remis en question sitôt qu’un investissement semble vouloir se concrétiser ?
Les conditions gagnantes
Pour bâtir de bons projets en milieu ancien, qui assureront la protection du patrimoine urbain, il faut bien saisir les enjeux, établir des objectifs clairs et tabler sur une analyse solide fondée sur la connaissance objective du site à développer.
L’ensemble
Un projet d’insertion en milieu ancien doit se faire dans le prolongement de l’histoire. On ne parle pas de mimétisme architectural ici, mais bien de compréhension de ce qui a prévalu pour former le tissu urbain existant. Cela permet d’en extraire les règles pour comprendre les caractères hérités : volumétrie, implantation, matériaux. Ultimement, le projet doit viser à restaurer la qualité du tissu urbain.
Le bâti
Le bâtiment n’est pas un objet autonome, il s’insère dans une trame urbaine. L’architecte doit observer le bâti existant dans l’environnement immédiat et le traduire par une création sensible.
Certains sites semblent poser de grandes contraintes; le défi d’imagination pour réaliser le meilleur projet n’en est alors que plus grand. De là l’importance de s’associer aux meilleurs même si ce ne sont pas les moins chers. La question du bon site pour le bon projet demeure cruciale et a des répercussions à long terme sur le milieu bâti.
La présentation du projet
On a si longtemps invité les citoyens à se mêler de la chose publique qu’il est difficile de penser qu’aujourd’hui les projets se réaliseront dans l’indifférence générale. Les autorités ont une obligation de cohérence et de vision s’ils veulent rallier la majorité. Le moment où on présente un projet au public et la façon dont on le fait ont une incidence sur sa réception. Beaucoup de cas récents montrent qu’une consultation en amont aurait permis d’éviter des tensions inutiles.
Quelques cas
Le cas de l’îlot Irving, dans le quartier Saint-Jean-Baptiste, à Québec, fait image : un site à requalifier utilisé comme stationnement depuis des décennies à la convergence de quelques rues. La première proposition était un immeuble de 30 mètres de hauteur dans un secteur zoné à 18 mètres. Le projet est rejeté par référendum. Le deuxième projet proposé par le même promoteur est d’une hauteur de 22 mètres et a fait l’objet d’une recommandation négative du conseil de quartier aux élus. Deux citoyens se sont vus poursuivis par le promoteur à l’issue de ce débat public. Actuellement, il semble qu’on procède à une consultation en amont…
Autre cas dont on avait parlé dans la chronique Point de mire du printemps 2012 (no 132), toujours à Québec : le projet de l’Étoile. Un ancien site conventuel, propriété de la Ville de Québec, sur la prestigieuse Grande Allée. Un immeuble aujourd’hui construit qui fait fi de son environnement immédiat : ni l’implantation, ni la volumétrie, ni les matériaux ne correspondent aux caractères hérités du milieu dans lequel il s’insère. En plus, on s’est permis de faire du « faux patrimoine » en reconstruisant dans l’incompréhension générale un simili-monastère à l’avant de l’immeuble contemporain.
Encore un débat suscité par un projet quelques coins de rue plus loin, à l’intersection de l’avenue Cartier et du boulevard René-Lévesque. Toujours le même a priori véhiculé par le promoteur pour défendre son projet : la rentabilité nécessite une augmentation du volume (hauteur proposée de 21 mètres, alors que le zonage adopté en 2010 est de 13 mètres). On souhaite créer un bâtiment en rupture avec le milieu dans lequel il s’insère pour faire écho au projet d’agrandissement du MNBAQ. Il s’agit là d’un site qui offre de fortes contraintes vu sa dimension.
Et pourtant…
Qui aujourd’hui remettrait en question la pertinence et l’intérêt du bâtiment principal de Pointe-à-Callière, musée d’archéologie et d’histoire de Montréal, une création de Dan S. Hanganu ? Ou du projet Méduse de l’architecte Émile Gilbert, qui a permis de requalifier la côte d’Abraham à Québec ? Ou encore du projet de réaménagement de l’ensemble résidentiel du site de Benny Farm à Montréal, qui a entre autres fait l’objet de divers exercices de participation citoyenne, dont une consultation menée par l’Office de consultation publique de Montréal (plan d’ensemble élaboré par la firme Saia Barbarese Topouzanov et Claude Cormier architectes paysagistes) ?
Ces exemples démontrent que les projets élaborés avec soin contribuent à améliorer le cadre bâti existant et à le vivifier.
Invitation
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