Institutions muséales et patrimoniales. Pour l’engagement participatif et l’interdisciplinarité!
Anik Dorion-Coupal, productrice et gestionnaire dans le domaine des arts et de la culture
En novembre dernier avait lieu à Québec la 17e rencontre Communicating the Museum. Anik Dorion-Coupal, gestionnaire culturelle, y a participé à l’invitation de Continuité. Elle propose ici une réflexion sur le thème de l’événement : l’engagement.
L’universalité et l’instantanéité des communications augmentent les accès à la connaissance, mais elles ont aussi pour conséquence d’individualiser ces accès et, partant, de diminuer les occasions de socialisation. Cette tendance, jouxtée à l’abondance de l’offre culturelle, nous amène à réfléchir à la manière dont les organismes préoccupés de patrimoine et les musées conçoivent et mettent en œuvre leurs liens avec leurs publics. Dans ce contexte, l’engagement devient une prémisse au dialogue de tous les interlocuteurs. Pousser plus loin le potentiel des intervenants culturels, dont les musées font partie, impose une part de risque et d’audace.
Acteurs de première importance du secteur patrimonial et culturel, les musées font aujourd’hui face à la nécessité de se mettre au diapason des attentes des publics. Il leur faut raconter « autrement » les histoires culturelles et le contenu, pousser toujours plus loin l’offre sur le plan créatif. Cela est maintenant acquis : les musées ne sont plus de simples conservatoires de collections ; ils deviennent « thématiques », soit dans leur mission, soit à l’occasion d’une exposition. On pourrait penser que cette orientation éloigne les musées de la notion de patrimoine. Pourtant, elle permet au contraire d’inclure, dans la notion de patrimoine, le questionnement propre aux musées thématiques. Ce questionnement amène musées, organisations culturelles et institutions patrimoniales à une réflexion commune. Ils peuvent ainsi élaborer et expérimenter des stratégies qui dynamisent les dialogues avec les communautés et la société.
Communiquer le musée
L’événement Communicating the Museum (CTM), tenu à Québec en novembre dernier, a été l’occasion de s’interroger sur l’efficacité des méthodes traditionnelles de communication muséale. Des constats présentés à cette rencontre suggèrent que, par leurs politiques de communication, les organismes culturels ont intérêt à développer davantage de liens dynamiques, entre eux comme avec leurs différents publics, et, avant tout, au sein même de leur organisation.
Pendant trois jours de conférence, plus d’une centaine de participants issus de différentes institutions muséales et culturelles, dont le Musée du Louvre, l’Opéra national de Paris et le Museum of Modern Art (MoMA), se sont réunis pour partager des façons de faire sous le thème de l’engagement. Cette 17e édition de CTM, tenue au Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ), au Musée de la civilisation et au Centre des congrès de Québec, présentait un panel d’une quarantaine de gestionnaires et professionnels des arts et de la culture – de la muséologie et des communications, certes, mais aussi de l’événementiel et des nouveaux médias –, tous liés par la passion de dépasser les limites de la communication traditionnelle et appelés à secouer le dilemme populisme/élitisme pour en dégager des liens improbables et richement créatifs. Le moyen ? L’engagement au sein des institutions et auprès des publics et partenaires.
Dans certaines communications, des musées ont rapporté des expériences qu’ils ont jugées fertiles pour soulever l’intérêt, mais aussi la participation de leurs publics. Ainsi, Anne-Laure Béatrix et Adel Ziane, respectivement directrice des relations extérieures et chef des communications au Louvre, ont souligné l’intérêt d’une collaboration, qui s’avérait pourtant incertaine au départ, entre le musée, l’un des plus prestigieux au monde, et le chanteur populaire will.i.am. Ethan Angelica, « tour guide » de l’agence new-yorkaise Museum Hack, a démontré avec une énergie contagieuse comment les musées peuvent être des lieux de socialisation grâce au storytelling. Chargés de défier l’image « trop institutionnalisée » de l’Opéra national de Paris, qui semblait réservé à l’élite, et de la faire éclater afin d’élargir le public, sans toutefois négliger la tradition et les fidèles, Marylou Johnston et Fabrice Gueneau, de l’agence parisienne Dream On, ont vanté les bénéfices de la prise de risque, incarnée dans diverses expériences participatives. Ces témoignages avaient comme point commun de signaler l’importance :
– de placer l’engagement au cœur des activités ;
– de repenser les modèles communicationnels afin d’optimiser les occasions d’échange et d’interaction avec les publics et les partenaires ;
– de s’ouvrir sur l’interdisciplinarité, l’audace et le dialogue ;
– de faire preuve d’une grande prudence afin d’éviter que la forme dépasse le contenu ;
– de continuer à choisir, avec sensibilité et selon leur pertinence, les moyens communicationnels à déployer.
Il est par ailleurs intéressant de rapprocher les observations présentées à cette conférence des réflexions qui se sont dégagées du colloque Vision patrimoine 2017-2027 de la Ville de Québec, tenu plus tôt à l’automne. Dans cette démarche de révision de la politique municipale du patrimoine, la Ville et les intervenants en la matière s’entendent sur le fait :
– qu’il faut appuyer l’appropriation et la reconnaissance du patrimoine, dimension fondamentale de la vie culturelle contribuant à la cohésion sociale de la collectivité, sur l’engagement de tous les acteurs, au service du bien commun ;
– qu’il importe de faire appel à la collectivité et aux nouvelles pratiques de communication pour déployer des actions de plus en plus diversifiées, collaboratives et interdisciplinaires.
Favoriser le dialogue
Les musées, tout comme les organismes préoccupés de patrimoine, font référence au passé pour mieux expliquer le présent. Ces deux types d’institutions s’étant souvent développés parallèlement sans interaction ni dialogue, leur communauté d’intérêts, d’objectifs et de moyens ne s’est pas toujours manifestée clairement. On en est venu, pourrait-on dire en caricaturant à peine, à assimiler patrimoine à collection, et la nouvelle muséologie à la problématique et au questionnement. Cette situation a amené des réactions du type « il ne faut pas muséifier les lieux patrimoniaux », ou, à l’inverse, « il ne faut pas patrimonialiser les musées ni le bien public ». Or, ces deux phénomènes peuvent être évités par l’établissement d’un dialogue permanent entre ces deux mondes à certains égards différents, mais par essence intimement liés.
Ce dialogue s’appuie sur la nécessité d’une vision globale qui implique à la fois l’innovation et la créativité dans un contexte patrimonial, des mécanismes d’appropriation citoyenne, l’affirmation de notre identité collective, le développement de la participation démocratique, l’établissement de partenariats avec le milieu et les intervenants, la sélection de nouveaux lieux d’échanges, le défi d’amener les jeunes à s’intéresser à la fois aux musées et au patrimoine. Bref, il s’agit là d’une responsabilité à partager, en développant la collaboration, la complémentarité, le dialogue, les efforts communs.
Comment les musées, les organisations gérant des lieux patrimoniaux et les autres organismes culturels pourraient-ils miser sur leur complémentarité pour proposer des activités communes ou interreliées ? Cette collaboration pourrait prendre la forme, par exemple, dans des musées, d’expositions relatives à des lieux patrimoniaux ou, dans ces derniers lieux, d’expositions ou de parties d’expositions présentées (physiquement ou virtuellement) dans des musées (précédemment ou simultanément).
Les conseils des arts ont déjà matérialisé ce principe d’engagement par des initiatives et des programmes visant à favoriser la synergie des intervenants locaux et régionaux. Au moyen d’ententes de partenariat et de collaborations interdisciplinaires dynamiques, ils ont visé ainsi à stimuler le développement culturel des communautés et à contribuer à leur vitalité culturelle.
Les musées, qui ont longtemps été des conservatoires somnolents, posent aujourd’hui plus de questions qu’ils n’apportent de réponses. Comme les arts. Cela est bien parce qu’ils sont orientés vers l’avenir autant que vers le passé. Les nouveaux musées vivent, ils sont en mouvement. L’actualité, les échos de la société, les nouveaux enjeux s’y traduisent par des collections conçues et développées selon un angle totalement différent. Autrefois essentiellement limités à susciter l’admiration, les musées et les arts visent aujourd’hui à casser les codes, à innover, à surprendre, à interpeller.
Dans l’esprit de la convergence plaidée plus haut, autant les musées sont devenus des lieux de socialisation, autant les sites patrimoniaux doivent veiller à ce que l’empreinte du passé reste vivante et s’intègre dans la modernité. Cette évolution plaide pour un arrimage accru des lieux patrimoniaux aux musées.
Intégrer les arts et les artistes
Le rôle des arts et des artistes dans ce déploiement de convergences est également important, car l’authenticité et la sincérité étant des valeurs communes à l’artiste et au musée, ceux-ci ont avantage à être des ambassadeurs l’un pour l’autre. Leur mission commune est multiple : elle consiste à dynamiser les espaces publics, à créer des « collaborations improbables », à valoriser la complémentarité des savoirs et des expressions, à concevoir des interventions auprès de nouveaux publics, à sortir les musées de leurs murs, à dynamiser le patrimoine, bref, à favoriser la bidirectionnalité.
Des expériences récentes ont trouvé des passerelles inusitées pour permettre ce dialogue, ont osé des collaborations improbables. En prenant consciemment un certain risque et en acceptant à l’avance une part d’inconnu, il est possible, à condition de faire ressortir clairement les valeurs communes des collaborateurs, de donner un sens à la coopération entre les différents acteurs (musées, institutions patrimoniales, artistes et public) en respectant chaque partie prenante. L’histoire a démontré que, dans le domaine de l’art, l’interrelation des disciplines constitue un ferment de création et d’innovation ; les Années folles en France sont là pour le prouver.
À Québec, certaines collaborations au départ atypiques se sont révélées comme des actes créatifs interdisciplinaires à forte résonnance auprès des publics : l’installation évolutive Lumière sur l’art (depuis 2014) dans le Quartier des arts, qui réunit la Société de développement commercial (SDC) Montcalm et le MNBAQ ; l’œuvre chorégraphique in situ mariant les arts vivants au patrimoine bâti Je me souviens (2011, 2012), de la compagnie de danse contemporaine Le Fils d’Adrien danse ; la présentation participative in situ de l’œuvre orchestrale pour architecture commandée par le MNBAQ au duo de compositeurs Plamondon-Henry et interprétée par l’Orchestre symphonique de Québec (OSQ) pour marquer l’ouverture du pavillon Pierre Lassonde ; ou encore le programme des Veillées de la compagnie de danse contemporaine Code Universel, qui met en lumière des aspects identitaires d’un lieu donné sur la base de la participation citoyenne.
Il est important d’ajouter que la technologie doit être au service de l’interaction et de la transmission sans pour autant devenir une fin en soi. Un dosage et un équilibre raisonnables entre elles sont de mise, comme d’ailleurs entre l’accessibilité et la précision, deux objectifs que toute production culturelle doit viser. Ces deux objectifs, en effet, lorsqu’ils sont recherchés avec excès, sont susceptibles de constituer un dilemme dont les pôles seraient simplisme et hermétisme, ramenant à la surface l’éternel débat entre populisme et élitisme. L’approche par les sensibilités évite ce dilemme. En faisant une bonne place au divertissement et même à la passion, elle permet au public d’entretenir avec les présentations muséologiques ou patrimoniales le type de relation qui lui convient.
Atteindre ces objectifs
Reste à se demander comment faire en sorte que ces objectifs soient atteints et que ces manières de faire donnent les résultats escomptés. La rencontre Communicating the Museum a abordé ce sujet. Les observations intéressantes qui s’en sont dégagées partagent un dénominateur commun. Celui-ci relève du domaine des communications et cela, tant à l’interne qu’à l’externe.
C’est une évidence que les employés et les équipes sont le meilleur atout des institutions. Encore faut-il que toutes les ressources individuelles soient partagées avec chacun des membres des équipes qui conçoivent, élaborent ou réalisent un projet, mais également que le résultat de ce partage soit lui aussi partagé avec les autres équipes de l’institution. Cette collaboration interdisciplinaire doit de plus être raffermie par une collaboration intergénérationnelle où chacun peut apporter sa contribution et manifester son engagement.
Par ailleurs, à plus d’une reprise, les participants à la rencontre CTM ont rappelé l’importance de la participation du public à la conception, à l’évaluation ainsi qu’à l’enrichissement des expositions et de l’interprétation des sites patrimoniaux, avant, pendant et après les installations.
Il faut se rappeler que le visiteur est un citoyen et qu’il importe que, devant une présentation muséologique ou patrimoniale, il expérimente l’émerveillement responsable, défini ainsi par le Conseil des arts du Canada : « Accroissement continu de la participation de chacun à la vie artistique de la société, notamment par la fréquentation, l’observation, le repérage et la collection, la participation active, la cocréation, l’apprentissage, la médiation culturelle et l’expression de la créativité individuelle.»
On l’a vu, l’engagement des publics génère un sentiment d’appartenance et, du même coup, renforce le dialogue et le partage des connaissances. La qualité et la réciprocité du dialogue établi sont directement proportionnelles à l’amélioration de l’expérience culturelle des visiteurs.
Au Québec rayonne un vivier de créateurs, de visiteurs-spectateurs qui savent combien la culture est essentielle à notre existence. Les gestionnaires et leurs équipes, les programmateurs et les médiateurs, les publics et la collectivité, tous doivent plonger dans le goût du risque, du travail forcené, et déborder d’idées contagieuses pour établir des dialogues qui pavent la voie à l’appartenance à la collectivité et à l’enrichissement de notre société. L’engagement de nos organisations et des publics devient la langue commune favorisant ce dialogue.
Communicating the Museum
La rencontre Communicating the Museum (CTM) est organisée chaque année depuis sa création en 2000 par AGENDA, agence de communication internationale spécialisée dans l’art, la culture et le tourisme.