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Jules Bélanger

Source: Musée de la Gaspésie

Jules Bélanger, un grand visionnaire

Avec le décès de Jules Bélanger, le 5 février 2021, le Québec se retrouve en deuil d’un leader remarquable et d’un grand visionnaire. Cet homme a œuvré à améliorer le sort de la Gaspésie et a prôné, à l’échelle de la province, une vision moderne du développement régional.

Originaire de Nouvelle en Gaspésie, Jules Bélanger (1929-2021) est issu d’une famille de dix-huit enfants. Malgré les conditions modestes dans lesquelles il grandit, il réussit à faire ce qu’on appelle à l’époque de « hautes études » alors qu’il obtient un doctorat en littérature à l’Université de Rennes.

Émule du grand bâtisseur Mgr François-Xavier Ross, premier évêque de Gaspé, Jules Bélanger profite de toutes les tribunes pour défendre et promouvoir les intérêts de sa région. Comme me le disait son ami le Dr Jacques Baillargeon le 6 février dernier : « Il est à la fois un produit de la Gaspésie et d’une certaine Gaspésie qu’il a produite », une Gaspésie moderne, décomplexée, sûre d’elle-même et fière de ses réalisations.

Son œuvre prend racine dans le creuset de la Révolution tranquille. Il s’implique alors corps et âme dans le développement de l’éducation, des communications et de la culture, notamment.

L’éducation, l’indispensable outil

Dans la décennie 1960, la scolarisation des Gaspésiens accuse un important retard par rapport à celle des autres Québécois. Or, au moment où le gouvernement provincial s’apprête à mettre en place plusieurs cégeps, la Gaspésie demeure exclue de cette planification. Jules Bélanger monte aux barricades en mettant sur pied et en présidant le comité d’implantation du Cégep de la Gaspésie et des Îles. L’institution verra finalement le jour en 1968.

Dans le discours qu’il prononce à l’occasion de la remise d’un doctorat honoris causa de l’Université Laval, le 5 août 2009, l’homme indique à ce sujet : « J’ai appris que l’éducation de la jeunesse gaspésienne serait l’indispensable outil qui allait permettre à notre région de conquérir, petit à petit, sa juste place au soleil. Qu’est-ce donc en effet qu’“éduquer”, si ce n’est travailler à l’émergence des forces libératrices d’un peuple ? Je vois en l’éducation l’outil le plus puissant et la promesse la plus crédible de l’avenir de notre Québec et de notre Gaspésie. » En lui rendant hommage à l’Assemblée nationale, le 18 février dernier, le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, dira de lui : « Son amour de la Gaspésie n’avait d’égal que son amour pour la connaissance et l’éducation. »

Le pouvoir des communications

Soucieux de provoquer et d’entretenir une prise de conscience régionale, Bélanger joue un rôle clé dans le développement des communications dans la pointe gaspésienne. Il contribue ainsi à créer un journal, l’hebdomadaire Le Pharillon (1973), et une station radiophonique, Radio-Gaspésie (1978).

La fierté de la langue française

Tout au long de sa vie, il voue un véritable culte à la langue française. Il est toujours fier de souligner l’importance, dans notre histoire nationale, du geste historique posé par Jacques Cartier à Gaspé en 1534, lieu qu’il qualifie de « rameau de la civilisation française en Amérique ».

Le 22 juillet 1967, sachant que le général de Gaulle se trouve au large de la côte gaspésienne en direction de Québec, Jules Bélanger convainc le maire de Gaspé de lui envoyer un message par le service de télégraphie maritime. Et, contre toute attente, le président de la République française répond : « Monsieur Philippe Roy, maire de la ville de Gaspé. J’ai été très touché par le message que vous m’avez adressé. En m’inclinant à distance, devant la croix de Jacques Cartier, j’adresse à votre cité et à toute la Gaspésie le salut affectueux de la France. Signé : Charles de Gaulle. » Le principal intéressé a raconté cette anecdote dans un article intitulé « La France salue Gaspé ! », publié dans le no 1, vol. 44 du Magazine Gaspésie.

Le Musée de la Gaspésie, son enfant chéri

Jules Bélanger attache beaucoup d’importance à la culture. Il adopte d’ailleurs comme mantra la déclaration du sociologue Fernand Dumont, publiée dans États généraux du monde rural, en 1991 : « Pour sauver les régions rurales, tant sur le plan de l’économie que sur celui de la politique, il faut commencer par le développement culturel de ces régions. »

En fondant la Société historique de la Gaspésie, en 1962, Michel LeMoignan et Claude Allard ont un grand rêve, celui de créer un musée régional. Deux ans plus tard, Jules Bélanger, étudiant à Paris, trouve l’inspiration pour le concrétiser lors d’une visite du Musée de l’Homme. À compter de 1974, il prend en main le projet, qui aboutit trois ans plus tard par l’ouverture du Musée de la Gaspésie, son enfant chéri. Le 17 juin 1977 est pour lui « jour de liesse et de fierté ». Saluant sa détermination et son implication, Mgr Félix-Antoine Savard lui rend hommage le 10 juin, comme le rapporte Marc LaTerreur dans le no 1, vol. 26 de la Revue d’histoire et de traditions populaires de la Gaspésie : « Un musée est une sorte de mémoire. Celui de Gaspé rappellera des souvenirs qui sont sacrés pour nous. »

Bélanger préside les destinées du Musée de la Gaspésie de 1977 à 1995, en contribuant à la diffusion de l’histoire et à l’essor de cette institution. En tant que coordonnateur du projet et coauteur, il fait paraître en 1981 Histoire de la Gaspésie, le premier ouvrage de la collection « Histoire des régions », publiée par l’Institut québécois de recherche sur la culture. Cette œuvre monumentale reçoit le prix de la Société historique du Canada en 1982. Comme auteur, il publie Gaspésie, visages et paysages (1984), L’École détournée en collaboration avec Louis Balthazar (1989), Ma Gaspésie, le combat d’un éducateur (1993) et J.-Louis Lévesque, La montée d’un Gaspésien aux sommets des affaires (1996).

Autre bel accomplissement : en 1990, le service d’archives privées du Musée reçoit l’agrément officiel du ministère de la Culture et des Communications en tant que centre d’archives de la Gaspésie.

De plus, le lien étroit qu’entretient Jules Bélanger avec le financier Jean-Louis Lévesque, Gaspésien d’origine, est fort bénéfique pour le Musée de la Gaspésie. À son décès, l’homme lègue un million de dollars à l’institution.

Quelques années après le départ de Jules Bélanger à la présidence du Musée, la forte croissance de l’institution, notamment celle de son collectionnement, rend le bâtiment d’origine désuet. Le fondateur s’engage alors dans un projet de modernisation. Grâce à ses précieux contacts, il réussit à amasser un peu plus de 1,5 million de dollars, ce qui permet l’agrandissement du musée en 2009.

Au fil des ans, les réalisations marquantes de Jules Bélanger lui valent plusieurs distinctions, dont celles du gouvernement du Québec, qui le fait officier de l’Ordre du Québec (2006) et qui lui décerne le prix Gérard-Morisset (2016), soulignant ainsi ses grandes réussites en matière de préservation et de mise en valeur du patrimoine.

Du temps où j’étais directeur du Musée de la Gaspésie (1982-1997), Jules Bélanger était pour moi un grand complice et un père intellectuel des plus inspirants. Il me manquera beaucoup.

Dans un courriel qu’il m’a envoyé le 7 février 2021, le directeur actuel du Musée de la Gaspésie, Martin Roussy, exprime bien ce que ressentent les Gaspésiens envers celui qui vient de nous quitter et que ses amis surnommaient « le grand Jules » : « Le départ de Jules Bélanger crée un grand vide dans la tapisserie du peuple de la mer. »

Jean-Marie Fallu est historien et président du Musée de la Gaspésie.

Cet article est disponible dans :

Patrimoine médical. Un legs sous examen

Printemps 2021 • Numéro 168

Hôtel-Dieu de Montréal. Un patrimoine en sursis

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