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École de rang de Saint-Charles-Borromée, bâtie en 1841 | Photo : Catrine Daoust

La leçon de restauration

 

Claire Julien a acheté une maison… et s’est retrouvée dans une ancienne école de rang ! Voici comment elle a rendu son charme d’antan à sa résidence insolite de Lanaudière.

En 1999, Claire Julien aperçoit une demeure à vendre sur la rue de la Visitation, à Saint-Charles-Borromée dans Lanaudière. À l’époque, la maison ne paie pas de mine. Le revêtement en aluminium blanc, le toit en plastique vert et les marches cassées du balcon en ciment menant à l’entrée principale dégagent une impression peu accueillante. Mais l’aspirante propriétaire, qui est artiste peintre et potière de métier, croit au potentiel du lieu et décide de l’acheter.

Trois ans plus tard, elle entame des rénovations majeures. « Des souris s’agitaient dans les murs et m’empêchaient de dormir la nuit. Elles semblaient jouer aux quilles ! Lorsque j’ai arraché les revêtements, j’ai découvert qu’elles s’amusaient avec des pois secs et des “bines” », raconte-t-elle avec un sourire. En retirant des couches de matériaux sales et couverts de toiles d’araignées, elle déloge les rongeurs sportifs et leurs légumineuses (arrivées là on ne sait comment). Mais elle tombe aussi sur un trésor inespéré : le plafond d’origine. « Quand je l’ai vu, je l’ai trouvé magnifique, poursuit-elle. Il était tout en bois et arborait de longues poutres. Ses moulures étaient de toute beauté. »

Sous le déclin moderne, la grande « classe »

Curieuse, Claire Julien commence à s’enquérir du passé de sa résidence. Un voisin lui confie qu’il a fréquenté l’endroit comme élève. « J’ai contacté la Société d’histoire de Joliette de Lanaudière, qui a retrouvé les relevés de dépenses de l’école, précise-t-elle. Puis, je me suis rendue à Bibliothèque et Archives nationales du Québec, où j’ai trouvé un livre relatant l’origine du bâtiment. Un acte notarié de 1841 attestait qu’il s’agissait d’une école de rang. »

Cette passionnée d’histoire parvient même à joindre une ancienne institutrice du lieu. Cécile Desrochers y avait enseigné de 1936 à 1939, à la lueur de la lampe à l’huile, car l’établissement n’avait pas l’électricité. Il fallait puiser l’eau dans la cour et sortir pour aller à la bécosse. De 9 h à 16 h, la journée commençait et finissait par une prière. Tout ça pour un salaire de 22,50 $ par mois !

Les écoles de rang représentent un patrimoine culturel vieux de 130 ans au Québec. Du milieu du XIXe siècle aux années 1960, ces modestes établissements ont rendu l’éducation accessible à des milliers d’enfants de la campagne. À leur apogée, on en comptait près de 5000 dans la province. Ils ont ensuite été abandonnés en faveur des écoles de village.

De ces constructions, plusieurs ont été démolies, d’autres reconverties en hangars ou en résidences privées. Heureusement, certaines d’entre elles sont tombées entre les mains de propriétaires soucieux de préserver leur intégrité. C’est le cas pour l’école de rang de Saint-Charles-Borromée, bâtie en 1841, dont le caractère historique perdure grâce au temps et à l’énergie investis par sa détentrice.

Vingt années de travaux acharnés

En découvrant l’existence de la vieille école, Claire Julien a deux objectifs en tête : répondre au besoin criant de rénovation de la bâtisse en conservant l’authenticité de son architecture d’époque. Tout un chantier ! En effet, la construction originale est camouflée par deux revêtements à l’intérieur et deux à l’extérieur. Vingt ans de travaux seront nécessaires pour restaurer la maison presque deux fois centenaire.

Avec le soutien de sa famille, la maîtresse des lieux frotte, sable, repeint et rénove. À l’intérieur, l’espace à aire ouverte est laissé intact. Les murs en lattes de bois sont nettoyés avec soin, puis calfeutrés, poncés et repeints en blanc. Un traitement tout aussi minutieux est offert au plancher, entièrement sablé et ciré. Les châssis (isolés à la crinière de cheval !) sont restaurés et remis à niveau. Au plafond, la moitié des moulures manque à l’appel. « J’ai posé toute seule plus de 150 moulures, et planté pas moins de 500 clous », affirme la menuisière autodidacte, non sans fierté.

À l’étage, on retrouve l’ancienne chambre de l’institutrice et la chambre haute. Cet espace, habituellement situé sous le grenier, servait de débarras ou de réduit pour la bonne. « C’est aussi le genre de pièce où Séraphin se plaisait à compter son argent », ajoute Mme Julien avec humour.

Comme tout élément de notre patrimoine, les écoles de rang, lorsque protégées et mises en valeur, contribuent à renforcer notre sentiment d’appartenance à la communauté, tout comme nos repères culturels et identitaires.

Conserver l’authenticité, sans compromis

Bien sûr, certains éléments auraient pu être modifiés pour des raisons pratiques. C’est le cas de la porte d’entrée, dont le manque d’étanchéité engendrait des pertes de chaleur. Toutefois, dans son désir de conserver au maximum l’authenticité des lieux, la propriétaire refuse de la remplacer. Elle demande à son ébéniste de refaire la moulure du haut, et ajoute une porte supplémentaire pour isoler adéquatement la maison.

Passionnée d’antiquités, Claire Julien dote même sa table de cuisine de quatre magnifiques chaises en bois à l’assise fabriquée en babiche. Symbole de notre histoire, ce tressage de lanières de peau inventé par les Autochtones a aussi servi à la confection de meubles pour les colons de la Nouvelle-France.

Sa découverte la plus surprenante pendant les travaux ? Un vieux bas défraîchi trouvé à l’intérieur d’un mur, et qui semblait rempli tel un bas de Noël. « Je me suis empressée de le mettre aux poubelles en raison de sa mauvaise odeur. J’ai appris plus tard que les gens de l’époque avaient l’habitude d’entasser leur argent dans des chaussettes avant de les cacher ! » lance-t-elle, avec une pointe de regret.

Un joyau en quête d’un gardien

À ce jour, les efforts investis par Mme Julien permettent à tous d’admirer le style typique des anciennes écoles de rang. Une architecture simple, inspirée des maisons rurales et des granges de l’époque, bâtiments qui pouvaient d’ailleurs accueillir des classes en cas de besoin. Comme tout élément de notre patrimoine, les écoles de rang, lorsque protégées et mises en valeur, contribuent à renforcer notre sentiment d’appartenance à la communauté, tout comme nos repères culturels et identitaires.

Claire Julien aime faire revivre le passé chez elle. « L’histoire me passionne, et mon souhait est de partager la beauté du patrimoine culturel québécois avec les autres », énonce-t-elle. La vieille salle de classe, qui peut être visitée sur demande, sert aussi parfois d’espace d’exposition pour aussi des artistes et des peintres actuels.

Après tant d’années vouées à soigner ce bâtiment unique, Claire Julien s’apprête toutefois à transmettre le flambeau. La maison à trois étages, qui comprend un sous-sol fini et une rallonge à l’arrière, est devenue bien grande depuis le départ des enfants. La propriétaire accueille donc les offres d’acheteurs qui voudraient sauvegarder ce joyau d’autrefois. Il s’agit de la seule école de rang encore debout en plein cœur d’un centre-ville au Québec. Avis aux personnes intéressées !

 

Mélanie V. Perron est journaliste indépendante. 

 

Cet article est disponible dans :

Patrimoine scolaire. Patrimoine scolaire : Devoirs de conservation

Automne 2022 • Numéro 174

Actualités patrimoniales | Automne 2022

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