La vie après l'expo
Sylvain Daignault, historien et auteur, et Paul-Yvon Charlebois, chercheur-conseil en patrimoine
Dans moins de deux ans, on soulignera les 50 ans de la tenue d’Expo 67 sur les îles Sainte-Hélène et Notre-Dame, à Montréal. On vantera à juste titre la vision futuriste des installations et des pavillons. Mais rares seront ceux qui aborderont l’après-Expo, la période s’étendant de 1968 à 1981. La raison : la tenue de l’exposition permanente Terre des Hommes est devenue un symbole de laisser-aller en matière de projets.
À l’origine, on avait prévu qu’après la tenue d’Expo 67, les pavillons seraient détruits aux frais des pays exposants. Mais l’événement a connu un succès populaire au-delà de toute espérance, avec 50 millions de visiteurs, soit plus de deux fois la population du Canada à cette époque. La vocation du site a donc fait l’objet de maints questionnements et débats. Des promoteurs ont suggéré d’y ériger un complexe immobilier luxueux, d’autres ont proposé de transformer les îles en campus international. C’est finalement le maire de Montréal de l’époque, Jean Drapeau, qui a eu le dernier mot.
À sa réouverture en 1968, le site accueille ainsi une exposition permanente intitulée Terre des Hommes, le thème d’Expo 67. Les anciens pavillons internationaux ont été conservés ou recyclés en pavillons thématiques, d’autres édifices ont été construits. Les pavillons nationaux font aussi partie de l’exposition, évitant aux pays donateurs de payer les coûts de démolition de leur bâtiment. Dans l’ancien pavillon des États-Unis (la Biosphère), on décide d’enlever le système de gros canons à incendie installé sur les plateformes intérieures, ainsi que les énormes pompes destinées à les alimenter en cas de feu.
Lent déclin
Si, la première année, 20 millions de personnes visitent Terre des Hommes, l’attrait s’essouffle assez rapidement en raison d’un manque de renouveau. L’entretien des bâtiments est fortement négligé. Certains des anciens pavillons d’Expo 67 sont carrément laissés à l’abandon. La situation encourage le vandalisme.
Du côté de la Ville de Montréal, l’inertie des décideurs, plus intéressés par la gestion des affaires courantes que par le développement des anciens pavillons d’Expo 67, contribue à faire sombrer les îles Sainte-Hélène et Notre-Dame dans l’oubli.
Laissés à eux-mêmes, les pavillons tombent en ruine. Au cours des années 1970, les squatteurs occupent les installations. Le 19 juillet 1975, l’ancien pavillon de l’Ontario est la proie des flammes. Cette année-là, la quasi-totalité des pavillons toujours présents sur l’île Notre-Dame sont démolis pour permettre la construction du bassin olympique, pour les Jeux d’été de 1976. Encore aujourd’hui, il demeure le plus grand bassin artificiel pour l’aviron en Amérique du Nord.
Dans l’après-midi du 20 mai 1976, un employé effectue des travaux de soudure dans la Biosphère, quand la flamme de sa torche touche accidentellement un panneau de plexiglas. Quelques instants plus tard, toute la surface du dôme géodésique est en feu. Les flammes montent dans le ciel. Dix minutes plus tard, tout est terminé. Aussi intense qu’a été le spectacle, la structure métallique n’a pas été endommagée.
Silence, on tourne !
Le délabrement des anciens pavillons de l’Expo est tel que certains cinéastes y trouvent leur inspiration. En 1978, le réalisateur américain Robert Altman n’a pratiquement pas besoin de décors pour tourner un navet de science-fiction postapocalyptique, Quintet, mettant en vedette Paul Newman et Bibi Andersson. En regardant bien certaines scènes tournées en hiver, on reconnaît non seulement la Biosphère, mais aussi l’Expo Express, le métro de surface utilisé lors d’Expo 67.
Toujours en 1978, l’équipe de la série Battlestar Galactica vient aussi tourner dans les ruines de l’Expo. Dans l’épisode Greetings from Earth, télévisé le 25 février 1979, les personnages se promènent dans l’ancien pavillon des États-Unis et déambulent sur le site, qui incarne l’ancienne capitale de la planète Paradeen, un paradis désormais pratiquement détruit par la guerre.
L’île Notre-Dame sera encore transformée en 1978 pour accueillir les voitures de formules 1 au tout nouveau Grand Prix du Canada. L’exposition Terre des Hommes ferme définitivement ses portes en 1981, et le site est converti en grand parc public.
Des leçons et de l’espoir
Force est de constater que l’idée du maire Drapeau de conserver certains pavillons pour Terre des Hommes n’a pas rempli ses promesses. En ce sens, le sort de l’exposition ressemble énormément à celui de la planète fictive Paradeen… Que doit-on retenir de cette expérience ? Sans doute qu’il faut prévoir à l’avance l’utilisation d’un lieu, d’un site ou de bâtiments après la tenue d’un événement d’envergure. Quand même, réjouissons-nous du projet annoncé par la Ville de Montréal, en vue du 375e anniversaire de la métropole et du 50e anniversaire de la tenue d’Expo 67, de redonner non seulement une beauté mais une utilité à la place des Nations, cet espace où les dignitaires du monde entier ont été reçus en 1967 et qui pourra de nouveau accueillir les gens à compter de 2017.
À surveiller
Histoire de l’île Sainte-Hélène avant l’Expo 67, de Paul-Yvon Charlebois et Sylvain Daignault, doit paraître cet automne aux Éditions GID.