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L’affaire de tous !

La chronique Point de mire reflète la position d’Action patrimoine dans certains dossiers chauds. Cet été, elle se penche sur les rôles respectifs des acteurs responsables de la gestion du patrimoine.
 
Ces derniers mois, le patrimoine a fait les manchettes à plusieurs occasions. Il y a été question de démolitions totales ou partielles, comme celles de la maison Boileau (Chambly), de la maison Vézina (Saint-Denis-sur-Richelieu), du moulin du Petit-Sault (L’Isle-Verte) et de la maison Rodolphe-Audette (Lévis), mais aussi d’abandons volontaires de bâtiments, comme pour la maison Busteed (Pointe-à-la-Croix) et les Ateliers Saint-Louis (Rimouski). Ces cas attirent notre attention sur certains manquements en ce qui a trait à la gestion de l’héritage bâti québécois. Ils entraînent également une prise de conscience collective quant à l’état de ce legs.

Plusieurs questions récurrentes surgissent à l’examen des dossiers : comment expliquer que l’on démolisse des bâtiments patrimoniaux, et ce, souvent dans l’indifférence ? Que pourrait-on changer à notre manière de gérer le patrimoine pour éviter ce type de situation à l’avenir ? Comment se fait-il que certains propriétaires puissent cesser d’entretenir leur bâtiment sans subir de conséquences ? Pourquoi les municipalités n’interviennent-elles pas avant qu’il soit trop tard ? Comment explique-t-on que des immeubles classés ou cités par le ministère de la Culture et des Communications ou une municipalité s’effondrent ?

Surtout, on cherche un responsable. Qui a pour mandat de préserver le patrimoine local, régional et national? Il s’agit en fait d’une mission partagée, d’où l’importance de connaître le rôle de tout un chacun.

 

Des rôles à clarifier

Plusieurs acteurs gravitent autour du patrimoine bâti : propriétaires, organismes locaux, organismes nationaux, municipalités, municipalités régionales de comté (MRC), gouvernement, etc. C’est en considérant chacun d’eux qu’il est possible d’avoir une vue d’ensemble de la gestion du patrimoine.

Au quotidien, le rôle de première ligne revient aux propriétaires qui vivent dans leur bâtiment. Pour ces amoureux du patrimoine, le bon entretien de leur bien est souvent une priorité, mais il représente également une charge financière considérable qui peut s’avérer difficile à assumer. Malgré leur attachement à leur milieu de vie, ils doivent parfois privilégier l’aspect financier, au détriment de la préservation du patrimoine. En dépit des demandes répétées du milieu, aucun incitatif fiscal n’a encore été mis en place pour les aider.

Les organismes locaux sont là pour appuyer et guider les propriétaires, mais avant tout pour la sauvegarde du patrimoine. À cet égard, une grande responsabilité repose sur eux, surtout considérant qu’ils ont des moyens financiers limités. Certaines divergences d’opinions peuvent donc apparaître entre propriétaires et organismes. La maison Busteed, en Gaspésie, qui a fait les manchettes en début d’année, fournit un bon exemple de discordance entre les points de vue d’un propriétaire et des organismes locaux. Elle met en lumière des particularités quant à la perception des notions mêmes de patrimoine et de mémoire dans les différentes communautés.

Les organismes nationaux, tels qu’Action patrimoine, les Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec, l’Association québécoise pour le patrimoine industriel ou encore la Fédération histoire Québec, assurent une veille sur tout le territoire québécois et offrent, selon les cas, des activités de diffusion, de sensibilisation et parfois de formation. Les attentes sont grandes envers ces petites structures qui ont, comme les organismes locaux, des ressources limitées.

Les municipalités, en tant qu’acteurs dans la gestion des infrastructures locales et la mise en application de la réglementation, ont également un rôle primordial à jouer. Le chapitre IV de la Loi sur le patrimoine culturel octroie aux municipalités le pouvoir d’identifier et de protéger le patrimoine culturel. Force est de constater, toutefois, depuis la mise en application de cette loi, les lacunes relatives à ce pouvoir. Il n’est pas ici question de jeter le blâme sur les municipalités. Il s’agit plutôt de tenter de comprendre pourquoi elles ne sont pas plus nombreuses à se prévaloir de la citation pour protéger des bâtiments dont la valeur patrimoniale est jugée exceptionnelle ou, à l’opposé, pourquoi certaines protections ne suffisent pas à garantir la préservation et la mise en valeur du patrimoine. Pour répondre à ces questions, il faut considérer plusieurs facteurs, comme les ressources humaines et financières parfois limitées des municipalités, le manque de volonté politique, une méconnaissance du patrimoine ou encore la pression des entrepreneurs. En parallèle, il y a des municipalités qui réussissent bien dans ce domaine et nous aurions intérêt à diffuser et à analyser leurs actions pour comprendre leur succès.

Les MRC regroupent les municipalités d’un même territoire et ont un rôle majeur dans l’aménagement de ce territoire. Elles se veulent, notamment, un agent facilitateur pour la mise en commun de services. En vertu de la Loi sur le patrimoine culturel, elles peuvent réaliser des inventaires du patrimoine bâti, ce qui permet d’avoir une vue d’ensemble du patrimoine d’un territoire. Par contre, les pouvoirs relatifs à la protection d’un immeuble patrimonial, dont la citation, reviennent aux municipalités.

Enfin, le gouvernement doit faire preuve d’exemplarité et de leadership dans la protection du patrimoine, et ainsi exercer un rôle de premier plan. Pour ce faire, plusieurs ministères sont responsables du patrimoine, notamment le ministère des Transports, celui des Affaires municipales et de l’Habitation, celui de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques et, évidemment, celui de la Culture et des Communications. Ce dernier a un rôle de sensibilisation et doit se doter d’une vision claire en matière de patrimoine. Le classement est un des outils dont il dispose pour assurer la protection du patrimoine bâti. Toutefois, nous constatons, entre autres avec le moulin du Petit-Sault à L’Isle-Verte, que même les bâtiments classés peuvent être en danger. En effet, dans cet exemple, une partie de cet ancien moulin à farine, construit en 1823 et pourtant classé depuis 1962, a dû être démolie. Des interventions ont permis d’enlever la partie qui s’était effondrée en plus de celle qui menaçait de l’être. Encore une fois, le manque de ressources humaines et financières a une incidence directe sur l’efficacité avec laquelle le ministère peut jouer son rôle. À titre d’exemple, la Direction générale du patrimoine a vu ses effectifs amputés d’environ 80 % depuis les années 1970.

En plus des enjeux financiers décriés, nous assistons également à une déresponsabilisation de plus en plus montrée du doigt par les médias. Ainsi, bien que la responsabilité en patrimoine soit partagée, les différents acteurs ont tendance à se renvoyer la balle pour diverses raisons, notamment par manque de ressources et d’outils. Chose certaine, nous vivons une prise de conscience collective du problème.  

Tous les intervenants et les paliers décisionnels doivent s’allier pour atteindre un objectif commun, soit celui de s’engager à valoriser l’héritage collectif que représente le patrimoine bâti. À l’image de petits engrenages, ces intervenants, par leur travail collectif, doivent s’arrimer pour faire fonctionner une mécanique plus grande vouée à la préservation et à la mise en valeur du patrimoine bâti. À cet effet, la vigilance des groupes citoyens peut s’avérer d’une grande utilité pour tous les acteurs.

Dans bien des cas, il est ardu de blâmer une seule personne, organisation ou municipalité lorsque tombe un bâtiment à grande valeur patrimoniale. Il s’agit plus fréquemment d’une succession d’actions posées ou, au contraire, d’inactions.

 

L’exemple de Berthierville

Afin de mieux comprendre ce qui peut mettre un bâtiment patrimonial en péril, examinons de plus près un cas d’actualité, celui de l’ensemble conventuel des Moniales dominicaines de Berthierville. Reprenons les faits en ordre chronologique.

Depuis plusieurs années, la communauté religieuse tente de vendre l’ensemble conventuel. Vacant depuis sept ans, il trouve preneur à la condition que le bâtiment soit démoli. Le promoteur achète donc l’édifice et dépose une demande de permis de démolir. Puisque le bâtiment ne bénéficie d’aucune protection (classement, citation ou autre), la demande est acceptée. C’est précisément à ce moment que les acteurs du milieu s’emparent du dossier.

Bien que l’inventaire de la MRC de D’Autray octroie une valeur exceptionnelle à l’ensemble conventuel, qualifie son état physique d’excellent et recommande une interdiction de le démolir, ces éléments n’ont pas été considérés lors de la demande de permis de démolition. Pourquoi ? Parce que le pouvoir décisionnel revient aux municipalités et que, malgré la reconnaissance publique de la valeur du bâtiment, les recommandations de l’inventaire de la MRC n’ont pas été suivies. Berthierville n’a pas jugé bon de mettre en place une réglementation.

Devant l’urgence de la situation, la ministre de la Culture et des Communications s’est emparée du dossier et a émis une ordonnance de 30 jours pour faire temporairement arrêter le projet. Depuis, la ministre a demandé un avis d’intention de classement au Conseil du patrimoine culturel du Québec.

Dans cet exemple, la remise en question ne provient pas de l’octroi du permis qui, en soi, ne va à l’encontre d’aucun règlement. Elle résulte plutôt du manque de volonté des municipalités de se doter des outils réglementaires de préservation du patrimoine à leur disposition (citation, plan d’implantation et d’intégration architecturale, etc.).

 

Un cas isolé ?

Malheureusement, ce type de situation est loin d’être une exception. Certes, la médiatisation du dossier et l’ampleur du bâtiment sont particulières, mais bon nombre de constructions de grande valeur régionale ou locale tombent sous le pic des démolisseurs.

Les cas de figure varient, mais le résultat demeure le même. Si chacun a un rôle à remplir, il arrive que différents intérêts entrent en contradiction. Ainsi, bien que le gouvernement ait le pouvoir et la responsabilité de préserver le patrimoine, il applique parfois des politiques qui, indirectement, vont à l’encontre de cette mission. En début d’année, la ministre responsable des Aînés et des Proches aidants annonçait la création de la première maison des aînés, projet qui impliquait la démolition de l’ancien couvent de Sainte-Élisabeth de Hongrie, construit en 1877. Le gouvernement peut jouer son rôle de protecteur du patrimoine, mais également être celui qui le menace par ses projets.

À l’heure actuelle, beaucoup de responsabilités reposent sur les propriétaires de bâtiments ou de maisons anciennes, et sur les fabriques dans le cas du patrimoine religieux. Les propriétaires qui désirent vendre sont à la merci des acheteurs, souvent des promoteurs qui n’ont malheureusement pas le souci d’assurer la préservation du lieu et qui ont pour objectif de rentabiliser leur investissement. Cela provoque des ventes précipitées sans projet concret, des abandons, des démolitions, etc. Elle serait longue à dresser, la liste des bâtiments tels que la maison Rodolphe-Audette, où l’abandon apparaît comme la solution pour obtenir un permis de démolition et ainsi permettre l’avancement d’un projet.

Le patrimoine génère beaucoup d’émotion au sein de la population, et c’est compréhensible. Il s’agit de témoins de l’histoire, d’objets identitaires appartenant à une collectivité. Mais comment une municipalité peut-elle investir dans son patrimoine alors qu’elle promet, notamment, aux citoyens de réduire les taxes ? Comment peut-elle intervenir sans déplaire à sa population ? Le patrimoine est un outil de séduction, voire d’élection, mais également une contrainte dans beaucoup de cas.

 

Responsabilités partagées

À la lumière de ce survol de l’actualité patrimoniale des derniers mois, nous constatons une récurrence dans le discours de sensibilisation au patrimoine, soit le rôle important des responsabilités partagées. À différents niveaux et selon le cas, tous les acteurs sont déterminants et apportent leur contribution à la protection du patrimoine bâti, que ce soit en l’entretenant, en y sensibilisant ou en le recensant.  

Le patrimoine bâti du Québec est une richesse collective que nous nous devons de préserver pour les générations futures. Nous devons réfléchir à l’impact de sa disparition sur un village, une municipalité, une région, ou pour l’ensemble des Québécois, et aux répercussions positives de sa présence sur la qualité des milieux de vie.   

Les cas de patrimoine en danger médiatisés au cours des derniers mois engendreront-ils une prise de conscience collective qui permettra à chacun de prendre ses responsabilités ? Souhaitons-le. Le 5 avril dernier était annoncé le lancement des travaux pour une stratégie québécoise de l’architecture. Espérons qu’une telle stratégie s’insérera plus largement dans une politique nationale de l’aménagement du territoire et qu’elle fera avancer le débat actuel sur le patrimoine.

 

Cet article est disponible dans :

Patrimoine semencier. Un legs à cultiver

Été 2019 • Numéro 161

Les récoltes du temps

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