L’atelier du peintre nicolétain
Lévis Martin, auteur de Rodolphe Duguay. Pour une mystique du paysage
L’année 2016 marque le 125e anniversaire de la naissance de Rodolphe Duguay, peintre-graveur qui a marqué l’art québécois de la première moitié du XXe siècle. Aujourd’hui, sa maison natale et son atelier témoignent de sa vie et de son œuvre, mais aussi de celles de son épouse, l’écrivaine Jeanne L’Archevêque.
Photo: Tourisme Nicolet-Yamaska
Rodolphe Duguay, un Nicolétain : tel il naquit le 27 avril 1891, tel il vécut et devait mourir le 25 août 1973. L’année 2016 vient nous rappeler le 125e anniversaire de la naissance de l’artiste. Bien sûr, ce fils de fermier aurait pu, comme son père – seul garçon vivant resté soutien de famille –, connaître le même destin. Mais il avait d’autres talents et des rêves qui réussiront à convaincre ses chers parents. Devenir peintre. Il quitte le Séminaire de Nicolet après quatre années du cours classique pour chercher du travail à Montréal et y poursuivre des études artistiques : inscription gratuite au Monument-National pour des cours de dessin avec Alfred Laliberté et d’autres professeurs. Il sera pris sous l’aile plus tard de Suzor-Coté, qui fera en sorte que son seul élève puisse comme lui étudier à l’Académie Julian à Paris.
Le 24 septembre 1920, « sur le Scotian, en route pour Paris », Rodolphe Duguay, tout heureux et triste à la fois, quittait les siens, sans trop savoir combien de nouveaux sacrifices et espoirs l’attendaient dans la capitale des arts par excellence. Ce fut grâce à l’annonce en 1924 d’une bourse longtemps espérée – la première accordée à un artiste peintre –, dans le cadre des bourses remises depuis quelques années sous la responsabilité d’Athanase David, secrétaire de la province, que Duguay avait pu prolonger son séjour en sol européen. Il pourrait enfin se permettre des voyages touristiques, de France jusqu’en Italie, mais aussi plus largement compléter sa formation artistique et se payer la location d’un nouvel atelier. Là, au 50, rue Vercingétorix, lui sera inspirée la forme de l’atelier à construire dès son retour à Nicolet.
Ses parents mis au courant du projet, c’est sa mère qui l’informe des développements concrets. Ainsi, en vrac et en ses mots, dans une lettre datée du 5 septembre 1926 : « Parlons atelier – avons cherché une place – la meilleure – serait au pignon de la maison, à partir des châssis du salon en gagnant au vieux chemin – ton atelier serait au bout de la galerie en avant d’autrefois – ton père va faire le bois qu’il faut cet hiver. » Et le 27 février 1927 : « Ton père a fait scier le bois pour ton atelier – il en a pas eu autant comme il pensait – il dit que pour le grand bois il en a assez mais pour le reste dans la planche et le madrier – qui va l’en manquer beaucoup – il avait fait 48 billots – le bois était trop petit – ça n’a pas fourni beaucoup. » De son côté, sur une carte postale datée du 7 novembre 1926, Rodolphe avait pris soin d’inscrire les dimensions du bel atelier parisien… selon les mesures du pied-de-roi de son père.
Les années en Europe n’auront fait que conforter chez le sympathique Canadien l’appartenance identitaire plus spécifique et singulière qui aura été la sienne : celle d’une âme marquée dès l’enfance par le contexte paysan et religieux, tel le Nicolet d’un microcosme et d’une époque. Comment aurait-il pu concevoir que ce n’est qu’après sept ans de séparation, le 17 juillet 1927, à son retour au pays, qu’il reverrait ses parents, et que, du temps de cet exil, il aurait eu un jour à pleurer, si loin, la mort de sa chère sœur Florette ?
À ce retour à la maison, il aura hâte effectivement d’entreprendre les travaux de construction, mais pas autant que de prendre le temps de revivre l’immense bonheur d’une vie familiale retrouvée. Dans cette chaleureuse maison de campagne canadienne, il avait partagé l’affection des êtres les plus chers, sa mère Marie-Anne, son père Jean-Baptiste, sa sœur aînée Florette, la bonne tante Odélie, ainsi que son grand-père Calixte Duguay qui – ayant assisté à la construction de cette demeure vers 1835 et y ayant fondé une famille de 13 enfants avec sa première épouse – avait continué à l’habiter auprès d’une seconde épouse jusqu’à leur décès, elle en 1907 et lui en 1909.
À la même époque, en 1907, avant la construction du pont de chemin de fer qui enjambe la rivière Nicolet un peu à l’est de la maison, celle-ci s’ouvrait sur le chemin public qui longeait la rivière. Selon l’accès nouveau vers la route de contournement qui se présentait maintenant à quelque 500 pieds du sud à l’ouest, il avait donc fallu modifier des parties de l’édifice et du terrain.
Dans ce contexte, toujours champêtre, 20 ans plus tard, l’adjonction prévue d’un atelier allait se réaliser. « Nicolet 29 août 1927 – Cet a.p.m. je travaillai un peu à charroyer de la pierre pour la construction de mon atelier… » notait Duguay en son journal, et le 31 août : « Cet a.m. cherché les divisions intérieures de mon atelier. Après dîner, continuai les mêmes recherches. Mlle Jeanne me suggéra de très bonnes idées qui m’aidèrent beaucoup à embellir et à déterminer la soupente de mon atelier qui sera ma bibliothèque. » Ici nous est révélé qu’une idylle aussi prend forme… Jeanne – sœur d’Armand L’Archevêque, ami de Rodolphe et veuf de la regrettée Florette – était venue prêter main-forte à la maman de Rodolphe.
Duguay écrit finalement : « Nicolet, 31 décembre 1927 – Allumé le premier feu dans mon atelier. Ça y est… […] Demain, je reprends les pinceaux et la palette. Ma carrière commence [souligné dans le texte]. » Le jeune (?) artiste a 36 ans… Dans ce décor ancré au cœur du Québec, le peintre nicolétain se fera l’artisan de la simple splendeur des paysages qui l’entourent… loin de l’art qui se cherche en métropole.
Aujourd’hui, nous avons tous la chance de pouvoir admirer cet exceptionnel atelier d’artiste, unique au Québec, attenant à la maison familiale et accessible aussi de l’intérieur. La couleur miel conservée des boiseries crée au-dedans une ambiance de douceur, alors que la grande fenêtre du mur nord y déverse une qualité de lumière dont les artistes peintres ont particulièrement besoin. Un magnifique atelier que L’Ermitage, nom que lui avait donné Jeanne L’Archevêque, future écrivaine qui ne devinait pas encore que « la soupente » serait son lieu de travail.
Trois ans après la mort de l’artiste, le 22 décembre 1977, la Commission du patrimoine du ministère des Affaires culturelles du Québec reconnaissait non seulement son atelier mais aussi sa maison natale comme « monument historique » : un tout dont, sous le nom de Maison Rodolphe-Duguay, deux ans plus tard, le Ministère faisait l’acquisition. Depuis, un conseil d’administration a connu divers organismes et directions qui, garants de l’entretien des bâtiments et du soin apporté au verdoyant domaine, ont élargi les fins éducatives, artistiques et littéraires des lieux en mini-centre culturel, tout en confirmant la vocation première de promouvoir l’indéniable apport du peintre-graveur Rodolphe Duguay à l’histoire de l’art au pays.
C’est ainsi que, cette même année 1979, le Musée du Québec consacrait une rétrospective impromptue – plutôt disparate – et un catalogue (épuisé) à l’œuvre multiforme qu’avait laissée Rodolphe Duguay. Il est vrai que la Galerie nationale du Canada à Ottawa avait pris les devants en 1975 en célébrant l’incontestable talent du graveur.
Le 125e anniversaire de naissance de cet artiste d’exception donne maintenant l’occasion à la directrice de la Maison Rodolphe-Duguay d'en souligner la mémoire par plusieurs activités tout au long de l'année 2016. Pour plus de détails, rendez-vous à rodolpheduguay.com.
LES DUGUAY
« Lui au chevalet,
elle devant la feuille blanche
– les Duguay. »
Albert Tessier