L’avènement du patrimoine de banlieue
Lise Walczak
Au moment où l’avenir des banlieues des années 1950 à 1970 se trouve menacé dans la région de Montréal, plusieurs spécialistes et organismes s’intéressent à ces quartiers. Sur le chemin de la reconnaissance patrimoniale.
Le bungalow québécois, auquel on accorde désormais le statut de patrimoine de banlieue, fait l’objet d’un intérêt particulier auprès des chercheurs et des praticiens. Des municipalités encouragent la mise en valeur de pans spécifiques de la banlieue, et des organismes voués à la défense du patrimoine tentent de sensibiliser les citoyens à cet héritage datant de la période de l’après-guerre.
Le patrimoine de banlieue est une catégorie en cours de construction et d’identification. Il comporte un défi en matière de reconnaissance au patrimoine culturel puisqu’il s’agit de faire reconnaître un parc immobilier de nature modeste ainsi qu’une tranche récente de l’histoire du Québec.
Sous l’impulsion de municipalités ou de sociétés du patrimoine, les initiatives locales se multiplient dans la région de Montréal. Elles apparaissent à un moment où les banlieues des années 1950-1970 subissent une forte pression immobilière et risquent de disparaître du paysage québécois. L’inscription de la coopérative d’habitation de Saint-Léonard sur la liste des sites menacés d’Héritage Montréal en 2013 en est un bon exemple. Ces démarches mettent en évidence la valorisation du patrimoine de banlieue dans la construction et le développement des territoires.
Une reconnaissance récente
Dans les années 1970 à 2000, les inventaires du patrimoine bâti et les répertoires d’architecture s’arrêtent aux années 1930-1940. À partir des années 2000, les choses évoluent : des acteurs tiennent compte de l’architecture et de l’urbanisme moderne (1945-1975), notamment les ensembles résidentiels significatifs qui témoignent de la prospérité économique et de l’accroissement démographique de l’après-guerre. Ce travail d’inventaire donne lieu à des publications remarquées, par exemple celle sur le patrimoine culturel et identitaire de l’agglomération de Longueuil réalisée par l’Enclume (2014). Composée de cinq fascicules, cette étude se penche sur plusieurs secteurs de banlieue, parmi lesquels figurent les bungalows de Boucherville, de Brossard et de Saint-Lambert, ainsi que les maisons de vétérans de Saint-Hubert.
Les cahiers d’évaluation du patrimoine urbain de la ville de Montréal (2005) peuvent également être cités en exemple. Composée de 27 cahiers, cette analyse identifie des secteurs de banlieue en tant qu’ensembles urbains d’intérêt patrimonial. Parmi eux se trouvent les premières coopératives d’habitation (Ahuntsic-Cartierville, Saint-Léonard, Pierrefonds) ; des secteurs de bungalows homogènes construits par des promoteurs dans les années 1950 et 1960 (Kirkland, Saint-Laurent) ; des secteurs de bungalows plus modestes (Pierrefonds, Pointe-aux-Trembles) ainsi que des secteurs de maisons de vétérans ayant adopté le modèle développé par la Wartime Housing Limited pendant la Seconde Guerre mondiale (Mercier-Hochelaga-Maisonneuve, Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension). Montréal reconnaît la valeur patrimoniale des secteurs qui ont façonné et transformé le paysage des villes pendant cette période de l’histoire.
L’exemple bouchervillois
Ces dernières années, la Société du patrimoine de Boucherville contribue activement à la préservation des bungalows. Au travers de plusieurs actions concrètes, elle souhaite conscientiser les résidents au cadre de vie et au patrimoine des banlieues : recherches archivistiques, travail de sensibilisation, rencontres d’informations, conférences, création d’un site Internet et d’un groupe Facebook dans lequel les membres peuvent partager des photographies, des documents et des souvenirs sur cette période de l’histoire de Boucherville. Notons que cette présence sur les réseaux sociaux a renforcé l’intérêt des citoyens pour la préservation des secteurs de bungalows.
De son côté, la Ville de Boucherville a réalisé une étude de caractérisation de la rue des Îles-Percées (2017), un secteur de bungalows des années 1960. Les conclusions de cette analyse confirment l’intérêt architectural, paysager et urbanistique du quartier et recommandent même des mesures de protection sous la forme d’un Plan d’implantation et d’intégration architecturale (PIIA).
Plusieurs autres municipalités ont d’ailleurs, elles aussi, adopté des PIIA afin d’encadrer les interventions dans certains secteurs composés de bungalows, comme c’est le cas à Sainte-Anne-de-Bellevue, à Saint-Laurent dans le quartier Norwick ou à Mercier dans le Village Champlain. Ce qui montre la volonté de préserver les caractéristiques architecturales et paysagères des ensembles bâtis significatifs de la banlieue.
À la découverte de la banlieue
Dans le domaine de la médiation culturelle, le travail accompli par le Musée régional de Vaudreuil-Soulanges a abouti à la création du circuit historique et architectural virtuel Et si les bâtiments se racontaient. Le but est de faire (re)connaître les édifices, les secteurs et les personnages d’intérêt patrimonial qui ont marqué le développement de la région. Pour la période du XXe siècle, le parcours intègre deux capsules vidéo portant sur la valeur patrimoniale du Dorion Garden, une banlieue planifiée construite dans les années 1950. Cette formule en ligne remplit un double objectif : la mise en place d’actions de valorisation autour du patrimoine de banlieue et l’accessibilité, pour les populations locales, à la richesse culturelle de leur région.
Dans un autre registre, le projet Ville Jacques-Cartier, haute en couleur, mené par la Société historique et culturelle du Marigot, cherche à faire (re)connaître la banlieue comme patrimoine. Son objectif est de célébrer l’histoire de cette ville ouvrière à partir d’une collecte d’archives familiales et de témoignages d’anciens résidents de l’endroit. En parallèle, la Société historique et culturelle du Marigot propose des visites guidées et des conférences sur le patrimoine bâti modeste de Longueuil. Ces activités ont rencontré un vif succès auprès des élus et des résidents, et la participation élevée (plus de 200 témoignages recueillis) montre qu’il est possible de sensibiliser le public à la sauvegarde du patrimoine modeste, ouvrier et de banlieue.
Des belles avancées… et du chemin à parcourir
La multiplication des actions de mise en valeur du patrimoine de banlieue contribue à créer des dynamiques locales tout en amorçant une évolution des pratiques patrimoniales. Elle permet non seulement de participer au développement des territoires, mais aussi de valoriser une histoire et une identité singulières.
Les secteurs de banlieue datant de la période d’après-guerre ne sont toutefois pas systématiquement répertoriés dans les inventaires du patrimoine bâti. Dans les prochaines années, l’enjeu central est de sensibiliser les représentants élus et les fonctionnaires municipaux à la valeur de ces édifices. Par ailleurs, rappelons que le projet de loi no 69 modifiant la Loi sur le patrimoine culturel comporte plusieurs critiques, notamment celle d’avoir imposé la date de 1940 comme base des inventaires – ce qui exclut, évidemment, les ouvrages de la période moderne. Nous avons encore du travail à faire pour changer les mentalités ! ◆
Lise Walczak est étudiante au doctorat en aménagement à l’Université de Montréal.