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Pierre Lahoud

Le chat pétrifié

Ce n’est pas une Gorgone que le chat de Cap-Chat a croisée sur son chemin. Mais le résultat est tout comme.

La petite ville gaspésienne de Cap-Chat doit son nom à un promontoire rocheux que les marins décrivaient comme la borne délimitant les eaux du fleuve Saint-Laurent et du golfe. Rappelant la forme d’un chat assis, ce cap serait le résultat, selon la légende, d’un sortilège infligé à un félin gourmand et imprudent.

Un jour qu’il se promenait le long de la grève, le chat aperçoit deux petites bêtes poilues sur un cap. Aussitôt vues, aussitôt attrapées, avalées et digérées. Mal lui en prend, car une fée surgit près de lui et l’interpelle : « Malheureux, lui dit-elle, tu as dévoré mes enfants. Je suis la fée des chats et tu comprends mon langage. Je vais te punir sévèrement. Tu seras enfermé dans la pierre de ce cap que tu vois devant toi, et ce, pour l’éternité. »

La légende de Cap-Chat remonte aux premiers temps de la colonie. Sur une carte de la région dessinée en 1660 par François du Creux, on peut lire Promontorium Félis, qui signifie « le promontoire du chat ». La forme singulière du rocher se prêtait déjà à toutes sortes d’élucubrations.

Des esprits plus pragmatiques, dont plusieurs spécialistes de l’histoire et de la toponymie, croient cependant que le toponyme vient de Samuel de Champlain, qui a identifié ce lieu C. de Chatte en 1612 puis, en 1626, Cap de Chatte, en l’honneur du commandeur de Chatte ou de la Chate, son protecteur dieppois. Aymar de Chaste méritait bien cet hommage : mandaté par Henri IV, il a élaboré un plan pour coloniser la Nouvelle-France. Il a également financé la première mission de Champlain, qui l’a mené à Tadoussac en 1603. Toujours redevable, Champlain a par la suite nommé la bande de terre située sur la rive opposée Pointe de Monts, en l’honneur de Pierre Dugua de Mons, successeur d’Aymar de Chaste.

En 1685, le nom Cap de Chatte se masculinise en Cap du Chat. La légende prend alors le dessus sur la version historique. Pour conclure cette histoire de noms, citons Shakespeare, qui faisait dire à sa Juliette : « Donnons à une rose tel nom qu’il nous plaira : son parfum ne sera pas moins doux. » Avouez que le parfum de la légende est bien agréable…

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L'empreinte du train

Printemps 2014 • Numéro 140

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