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Ancienne école de rang à Boisbriand

Ancienne école de rang sur le chemin de la Côte Sud, à Boisbriand, photographiée en 2007 | Source : Fonds Luc Dubois (P126), Société d’histoire et de généalogie des Mille-Îles

Les écoles de rang, un devoir de mémoire

La chronique Point de mire reflète la position d’Action patrimoine dans certains dossiers chauds. Cet automne, elle s’intéresse à la sauvegarde des écoles de rang.

L’hiver dernier, Action patrimoine s’est adressé à la Ville de Boisbriand pour s’opposer à la démolition d’une maison patrimoniale située sur le chemin de la Côte Sud. Construite en 1849, cette petite résidence avait, pendant plus d’un siècle, servi d’école de rang pour ce secteur rural.

Le bâtiment a été transformé en habitation privée dans les années 1960. Malgré cette conversion, la MRC de Thérèse-De Blainville a reconnu son importance historique dans son inventaire du patrimoine bâti et lui a accordé une valeur patrimoniale forte. Il s’agissait alors d’une des deux dernières écoles de rang toujours existantes à Boisbriand, ce qui en faisait un rare témoin de cet ancien système scolaire.

Malheureusement, ces arguments n’ont pas réussi à convaincre les élus locaux, qui ont octroyé le permis de démolition au début de l’été. À peine quelques jours plus tard, le bâtiment est tombé sous le pic des démolisseurs. Une situation comme celle-ci n’est pas anecdotique, car cet héritage scolaire demeure peu reconnu au Québec. Il est temps de redécouvrir l’histoire de ces écoles de rang afin de leur offrir la protection qu’elles méritent.

 

Petits bâtiments, grande histoire

De leur création en 1829 jusqu’à leur fermeture en 1964, les écoles de rang ont contribué à l’instruction de milliers d’enfants partout dans la province. Au début des années 1950, le Québec en comptait plus de 5000 sur son territoire. Lorsque l’État québécois a mis fin à ce système scolaire, la plupart de ces bâtiments ont été déclarés excédentaires. Certains ont été abandonnés puis démolis. D’autres ont été vendus à des particuliers pour être transformés en résidences ou en bâtiments secondaires, comme des hangars ou des lieux d’entreposage.

Bien que ces conversions aient offert une deuxième vie à plusieurs petites écoles, elles ont souvent entraîné des modifications significatives de leur architecture. Malheureusement, peu de mesures de protection ont été mises en place pour assurer la conservation des matériaux et des composants d’origine. Déjà en 1979, l’ethnologue Jacques Dorion se penchait sur cette question dans son ouvrage Les Écoles de rang au Québec. Il constatait alors qu’à peine une cinquantaine d’entre elles avaient gardé leur apparence d’époque.

La résidence de Boisbriand, évoquée en introduction, a elle aussi subi plusieurs transformations au fil du temps. Dans les années 1960, l’intérieur a été réaménagé afin de servir d’habitation privée. Quelques années plus tard, le revêtement extérieur en bois a disparu au profit de déclin d’aluminium, et les fenêtres en bois ont été remplacées par de nouvelles ne respectant ni les matériaux ni les formes d’origine. La plupart des éléments caractéristiques de cette architecture scolaire ont ainsi été perdus.

Ce scénario, loin d’être unique, s’est produit à de multiples reprises aux quatre coins du Québec. Encore aujourd’hui, d’anciennes écoles de rang font l’objet de rénovations ou d’agrandissements qui ne considèrent pas leur valeur patrimoniale. Cela démontre l’important travail de sensibilisation et d’encadrement qu’il reste à faire pour convaincre les propriétaires de conserver et de mettre en valeur ce patrimoine. Pour y parvenir, le milieu municipal a un rôle crucial à jouer.

 

Des gestes à poser au niveau municipal

Les municipalités ont de grandes responsabilités en matière de conservation du patrimoine. Elles sont appelées à assurer la pérennité des immeubles patrimoniaux d’importance locale et régionale sur leur territoire. Les écoles de rang font partie de ces legs qu’elles ont le devoir de protéger.

À ce sujet, notons que la plupart des villes et des municipalités régionales de comté (MRC) se sont dotées d’un inventaire de leur patrimoine bâti au cours des dernières années. Cet outil permet de recenser les bâtiments patrimoniaux de chaque territoire et, dans certains cas, d’en déterminer la condition et la valeur patrimoniale. Les anciennes écoles de rang font généralement partie de ces inventaires.

Dans certains inventaires, les fiches des bâtiments peuvent également contenir des recommandations pour favoriser la protection des composants d’origine ou la restauration d’éléments patrimoniaux endommagés ou disparus. Ces informations peuvent ensuite être utilisées par le personnel municipal pour accompagner les citoyens effectuant des travaux sur leur propriété. D’anciennes écoles de rang font l’objet de ce type de recommandations.

Si la réalisation des inventaires est un pas dans la bonne direction, d’autres actions doivent aussi être envisagées par les municipalités afin de protéger leur héritage. Pour répondre à cet objectif, l’un des outils à leur disposition est la citation. En vertu de la Loi sur le patrimoine culturel, l’octroi de ce statut de protection à un édifice permet d’empêcher sa démolition, en plus d’imposer des conditions à respecter advenant d’importants travaux de rénovation ou d’agrandissement. Dans certains cas, la citation permet également à un propriétaire souhaitant restaurer son bâtiment d’avoir accès à des subventions.

Or, selon le Répertoire du patrimoine culturel du Québec, peu d’anciennes écoles de rang font l’objet d’une citation. On compte parmi elles l’école de rang Little Hyatt à Milby, la Petite École Delisle à Rivière-Ouelle, la maison d’école du rang Cinq-Chicots à Saint-Christophe-d’Arthabaska et la petite école du 4rang à Shannon. Soulignons que tous ces lieux sont encore accessibles aujourd’hui, puisqu’ils ont été transformés en institution muséale ou en espace communautaire.

Ces initiatives méritent d’être saluées, mais force est d’admettre que les villes hésitent encore à protéger les écoles converties en résidences privées. Pourtant, certaines devraient être citées. On peut penser à celles ayant conservé leurs matériaux ou leurs composants d’origine, notamment le clocheton. Il en va de même pour celles qui, comme c’était le cas pour la petite résidence du chemin de la Côte Sud à Boisbriand, sont les derniers témoins de cette histoire scolaire sur un territoire.

Plus de 50 ans après la fermeture des dernières écoles de rang, on constate que la protection et la mise en valeur de ce patrimoine scolaire comportent encore leur lot de défis pour les municipalités. Heureusement, certaines communautés ont réalisé l’importance de cet héritage et se mobilisent pour le préserver.

Des initiatives à souligner

Dans les dernières décennies, des groupes de citoyens ont participé à la réalisation d’importants projets de mise en valeur d’anciennes écoles de rang. À ce sujet, l’école du rang 2 d’Authier, en Abitibi-Témiscamingue, fait figure de référence au Québec. À la suite de démarches entreprises par des résidents de la municipalité, ce bâtiment a fait l’objet d’une restauration complète avant d’être converti en musée. Ce sont également des citoyens qui ont milité pour son classement comme immeuble patrimonial par le ministère de la Culture et des Communications en 1982.

Dans les années qui ont suivi, d’autres initiatives de ce type ont donné une nouvelle vie à la Petite École Delisle, à la maison d’école du rang Cinq-Chicots et à l’école de rang Little Hyatt, exemples mentionnés précédemment. Le scénario est le même pour l’école n5 du rang Campbell à Sainte-Sabine et, plus récemment, pour la Petite École de rang du Bonnet Rouge à Bouchette.

Des habitants de Saint-Télesphore, quant à eux, se sont mobilisés pour assurer l’avenir de l’école primaire Soulanges. Cette ancienne école de rang est l’une des rares à avoir maintenu son usage scolaire. Afin de répondre aux besoins du secteur, l’ajout d’une deuxième classe est devenu nécessaire au tournant des années 1990. C’est grâce à des dons de matériaux et à l’implication de plusieurs résidents qu’un agrandissement a pu être réalisé. En 2019, l’école a célébré son 100e anniversaire.

Finalement, on ne peut terminer ce tour d’horizon sans mentionner le travail de plusieurs propriétaires d’anciennes écoles de rang transformées en résidences. Certes, on a vu que ces conversions n’ont pas toujours été un succès. Cependant, certains ont su prendre soin de ce patrimoine, qui peut ainsi continuer à nous raconter son histoire. Pour les aider dans leurs démarches et encourager d’autres citoyens à faire de même à l’avenir, un meilleur soutien de la part des autorités publiques est nécessaire. De plus, le milieu municipal doit désormais s’impliquer activement dans cet effort collectif. Ce patrimoine constitue, après tout, une composante importante de notre histoire commune. ◆

 

Renée Genest et Félix Rousseau sont respectivement directrice générale et agent avis et prises de position chez Action patrimoine.

 

Cet article est disponible dans :

Patrimoine scolaire. Devoirs de conservation

Automne 2022 • Numéro 174

Actualités patrimoniales | Automne 2022

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