L'esprit des lieux
Josiane Ouellet, rédactrice en chef de Continuité
J’ai la chance de travailler dans une propriété qui est aussi l’un des rares témoins d’une architecture résidentielle répandue au XIXe siècle au Québec. En effet, les locaux de Continuité se trouvent dans la maison Henry-Stuart, à Québec, un cottage Regency datant de 1850. Dans mon bureau, situé dans une ancienne chambre, à l'étage, le plancher de bois craque, le plafond épouse les lignes de la charpente, de l’eau chaude circule dans le radiateur le long du mur, et lorsque je lève les yeux pour regarder dehors, je le fais à travers les carreaux d’une fenêtre à crémone. Mais, évidemment, lit et commode ont fait place à des classeurs et à des tables de travail.
La salle où se tiennent les réunions, elle, est située au rez-de-chaussée, dans la partie muséale de la demeure. Pour y accéder, j’ai le plaisir de déverrouiller la porte du couloir à l’aide d’une clé de fer forgé, avant de tourner la poignée de laiton. J’entre alors dans un autre monde, celui de la bourgeoisie anglophone de Québec au début du XXe siècle. Dans la salle à manger, j’allume le plafonnier et quelques lampes, puis j’ouvre les lourdes tentures à motifs. Rien à voir avec un éclairage au néon! Cette lumière si particulière, mais aussi les tapis, la tapisserie, le foyer, les meubles et les objets qu’elle éclaire créent un décor et une atmosphère d’un autre temps. Les lieux témoignent du passé en faisant vivre une expérience.
Mon témoignage illustre bien la spécificité des intérieurs historiques. À l’exception de certains, conservés dans leur état d’origine afin de devenir des musées, ces espaces doivent s’adapter aux changements dans les modes de vie et aux besoins spécifiques de leurs occupants successifs. Leur pérennité passe alors par l’atteinte d’un équilibre entre leur actualisation et le respect de leur authenticité.
Mon exemple démontre aussi l’importance de préserver ces espaces d’exception. Cela s’avère, non seulement pour les résidences ancestrales, mais pour tous les types de bâtiments, qu’ils soient religieux, industriels, commerciaux ou autres.
À ce propos, saviez-vous qu’à moins d’avis contraire, la Loi sur le patrimoine culturel protège non seulement les extérieurs des immeubles classés, mais aussi leurs intérieurs? Normal, puisqu’un édifice se présente comme un ensemble cohérent et qu’en ne considérant que son enveloppe, on se priverait d’une part essentielle de son sens. N’empêche, plusieurs d’entre vous seront certainement surpris de l’apprendre, car on parle peu de cet héritage et des enjeux qui le touchent. Peut-être parce qu’il appartient souvent à la sphère privée… Toujours est-il que, pour assurer son avenir, il importe de se questionner sur la manière d’apprécier ce legs, de le protéger et de le faire évoluer sans le dénaturer.
Avec le dossier de son numéro de printemps, Continuité explore ce sujet d’une grande richesse et en profite pour présenter quelques projets inspirants ainsi qu’une sélection d’intérieurs d’intérêt, comme autant d’occasions d’immersion dans l’histoire…
Suggestions de lectures
Voici quelques idées de lecture sur les intérieurs historiques, suggérées par l'architecte François Varin:
– Le confort. Cinq siècles d'architecture de Witold Rybczynski aux Éditions Du Roseau
– L'ornementation dans la maison québécoise aux XVIIe et XVIIIe siècles de Georges W. Leahy, aux Éditions Septentrion
– Habitation et aménagement intérieur à Montréal au milieu du XVIIIe siècle (d'après 50 inventaires après décès), mémoire de maîtrise de Nicole Genêt, réalisé à l'Université Laval
– Aménagement intérieur et fonctions de la maison rurale de l'île d'Orléans entre 1761 et 1767 (d'après 25 inventaires après décès du greffe Antoine Crespin, père), mémoire de maîtrise de Suzanne Jean, réalisé à l'Université Laval