Monastère du Carmel: Leçon de survivance
Denis Boucher et Josette Michaud
Alors que de plus en plus de communautés religieuses abandonnent leurs ensembles conventuels, la décision des Carmélites de Montréal de restaurer leur monastère suscite l’admiration. Au terme d’un impressionnant chantier, cette initiative leur a valu le Prix d’excellence 2013 du Conseil du patrimoine religieux du Québec.
Les Carmélites de Montréal font ériger leur premier monastère à Hochelaga, en bordure du fleuve Saint-Laurent, en 1878. Trois ans plus tard, l’insalubrité causée par la crue printanière les pousse à chercher un autre terrain. En 1896, les religieuses emménagent dans leur nouveau Carmel, construit sur le site d’une carrière désaffectée du Mile End.
Dessiné par Alfred Préfontaine, ce second monastère respecte les normes de sainte Thérèse d’Avila. Au XVIe siècle, cette réformatrice monastique avait déterminé les plans des monastères des Carmélites, plans qui s’inscrivaient dans des traditions européennes remontant au premier millénaire. L’architecte Préfontaine ajoute une touche de modernité à l’édifice en le coiffant de toits plats, à l’exception de la chapelle. Il recourt à la façon traditionnelle de bâtir (maçonnerie pleine, charpente de bois) tout en intégrant au décor des éléments de finition du Carmel d’Hochelaga.
Si l’accueil et la chapelle sont accessibles au public, la plupart des espaces et des jardins sont réservés aux Carmélites, qui consacrent leur vie à la prière. Elles prient et assistent aux offices dans le chœur des moniales situé perpendiculairement à la chapelle, à l’écart des fidèles.
Isolé de la vie urbaine, le Carmel n’est électrifié qu’au milieu des années 1920. Tout au long du XXe siècle, cet ensemble conventuel demeure un lieu secret enclavé parmi des édifices industriels et des entrepôts de faible hauteur.
Cent ans après la construction du Carmel, son intégrité architecturale est intacte. Or, l’enveloppe du bâtiment, les murs d’enceinte et les systèmes électromécaniques se trouvent dans un état lamentable.
Ne me quitte pas…
Incapables d’assumer les coûts liés à la rénovation de leur propriété, les Carmélites décident, à l’automne 2003, de s’installer à l’extérieur de la ville. En juin 2004, l’annonce de la vente du Carmel de Montréal à des intérêts privés entraîne la formation de la Coalition pour la préservation du site du Carmel. Dès lors, une dizaine d’organismes et autant d’individus s’activent pour sauver le monastère.
En août, Dinu Bumbaru, d’Héritage Montréal, écrit à Line Beauchamp, alors ministre de la Culture et des Communications, afin de convaincre le gouvernement du Québec de procéder au classement du monastère des Carmélites de Montréal. Puis, en novembre, c’est au tour du Conseil du patrimoine de Montréal de recommander, dans un avis adressé au maire et au comité exécutif, « que tout le site soit préservé ». Six autres organismes et plus de 2000 personnes signent la « Déclaration » de la Coalition, en janvier 2005. Le regroupement souhaite que l’intégrité patrimoniale du site soit préservée et qu’on lui donne une vocation publique au service de la collectivité.
Après plusieurs débats et rebondissements hautement médiatisés, les Carmélites et le promoteur résilient l’offre d’achat d’un commun accord. Dans leur communiqué de presse du 25 octobre 2005, les Carmélites expliquent : « Nous avons choisi de continuer notre mission de prière, ici, au cœur de Montréal […] Cependant, les problèmes qui nous avaient fait choisir de partir sont les mêmes qu’il y a deux ans. Nous sommes à la recherche de solutions et tentons d’évaluer toutes nos options pour y remédier. »
En choisissant de demeurer dans leur édifice centenaire, les religieuses acceptent de poursuivre leur vie monastique au milieu de chantiers successifs qui s’échelonneront sur plus de huit ans.
Une réfection d’envergure
C’est avec l’assistance de la firme Beaupré Michaud et associés, architectes que les Carmélites entreprennent la restauration de leur propriété, classée immeuble patrimonial en 2006. Ces travaux mettent à profit les connaissances de la communauté religieuse dans la construction et l’entretien des monastères.
Les moniales confient aux architectes l’expertise sur le mur d’enceinte, puis la rédaction du carnet de santé et la programmation des travaux. Elles leur délèguent ensuite la cogestion de l’ensemble de l’opération, la production des relevés, plans et devis, la réalisation des appels d’offres et la surveillance des travaux.
Les murs d’enceinte constituent à eux seuls une construction impressionnante. Ceinturant l’ensemble du site, ils font 550 mètres linéaires et s’élèvent jusqu’à 7 mètres de hauteur à certains endroits. Leur restauration s’est déroulée de 2007 à 2013. Le mauvais état du mortier a nécessité le remontage de plusieurs sections des murs. Comme la plupart des chaperons avaient été refaits en béton coulé au milieu du XXe siècle, ils ont dû être reconstruits en béton préfabriqué ou en cuivre étamé sur un bâti de bois, selon leur emplacement.
Des travaux de rejointoiement de la maçonnerie ont en outre été effectués sur les murs extérieurs du monastère et du presbytère. La maçonnerie est principalement en moellons équarris, plus ou moins raffinés selon les façades, avec des éléments d’encadrement en pierre de taille. Différentes adaptations ont été effectuées avec grand soin pour respecter les normes de sécurité incendie, notamment l’ajout de portes coupe-feu.
La chapelle méritait aussi de nombreux soins. Les artisans ont entièrement restauré sa toiture d’ardoise et ses clochers, ainsi que son décor intérieur, sans oublier celui du chœur des moniales et de la sacristie. Vitraux, chapiteaux sculptés, marbres et différentes pièces du mobilier ont ainsi retrouvé leur lustre. Une intervention considérable a permis de refaire les toiles marouflées de la chapelle, lourdement endommagées par le temps et la saleté. Un nouveau textile aux propriétés acoustiques accrues a été installé, sur lequel ont été fidèlement reproduits les motifs des frises décoratives. Dernière étape mais non la moindre, les travaux de mise en lumière de la nef révèlent l’élégance de la chapelle et mettent en valeur la qualité du travail de restauration effectué.
L’avenir environnant
Après huit ans de travaux d’envergure, la restauration du Carmel de Montréal tire à sa fin. Les moniales peuvent poursuivre leur mission grâce à un geste exceptionnel de continuité : la remise en état de l’ensemble du site et de ses bâtiments. Mais dans ce patient travail de restauration, qui puise à même des traditions et des savoir-faire anciens, s’imprime aussi un geste de renouveau. Car le projet a contribué à sensibiliser la population et les autorités municipales à la valeur de ce site. À preuve, cette restauration majeure a remporté le Prix d’excellence 2013 du Conseil du patrimoine religieux du Québec.
Faut-il craindre que cette sensibilité nouvelle à la beauté patrimoniale du Carmel ruine la sérénité retrouvée en attisant la densification du cadre bâti environnant, et ce, malgré la délimitation d’une aire de protection en 2007 par le gouvernement du Québec ? Espérons que non…