MRC de Coaticook: Le culte de la diversité
Monique Nadeau-Saumier, Historienne de l'art et consultante en patrimoine
Avec ses églises baptistes, méthodistes, anglicanes, catholiques, ainsi que ses cimetières de multiples confessions, le patrimoine religieux de la MRC de Coaticook s’illustre par sa pluralité.
Les protestants américains et britanniques qui ont d’abord colonisé la région de Coaticook ont donné une teinte particulière à l’architecture religieuse de l’endroit. Le début du XIXe siècle a ainsi vu s’ériger de nombreuses églises rurales de confessions dites « évangélistes » : baptistes, méthodistes et congrégationalistes.
C’est à Barnston Corner, un hameau qui fait aujourd’hui partie de la ville de Coaticook, que se trouve l’un des plus anciens et importants témoins du patrimoine religieux évangélique. Bâtie en 1837, l’église baptiste de Barnston a obtenu la cote A, c’est-à-dire incontournable, dans l’Inventaire des lieux de culte du Québec (lieuxdeculte.qc.ca). Architecture néoclassique, fenestration simple, intérieur dépouillé : il s’agit de la quintessence de la meeting house, un lieu de rassemblement modeste qui se distingue des premières maisons des colons américains par ses dimensions plus imposantes – et que les catholiques canadiens-français surnommaient « mitaine ». Depuis une dizaine d’années, le comité Héritage Barnston a pris en charge la restauration de cette église dont le décor intérieur en lambris de bois est resté intact. Même la grande baignoire où les fidèles étaient baptisés par immersion s’y trouve toujours.
Également classée A, l’église d’Huntingville (dans l’actuelle Waterville) est la première église universaliste construite au Canada. La famille Hunting a participé activement à l’établissement de ce temple en offrant le terrain où cet édifice néoclassique sera érigé en 1845. Fermée au culte en 1951, l’église revit aujourd’hui grâce aux efforts d’un groupe de résidents de la région. Pour aider à couvrir les frais d’entretien, on y célèbre des mariages en plus d’y tenir des concerts et des activités saisonnières. Le site comprend aussi une école, un cimetière ainsi qu’un moulin et son barrage sur la rivière au Saumon. Ce noyau villageois, l’un des plus anciens des Cantons-de-l’Est, est préservé dans un état exceptionnel.
À Way’s Mills, l’église Church of the Epiphany illustre le symbolisme du vocabulaire architectural néogothique avec sa tour centrée en façade, dont l’élan vertical est accentué par des contreforts triangulaires. Dans une version vernaculaire, ce courant architectural caractérise de nombreuses églises anglicanes rurales dans les Cantons-de-l’Est. Construite grâce à une généreuse contribution de l’évêque anglican de Québec, l’église Church of the Epiphany a été inaugurée en décembre 1888. Le Conseil du patrimoine religieux du Québec a récemment accordé une importante subvention à un groupe de résidents de la communauté, d’origines et de confessions diverses, qui a pris en main sa restauration.
L’église anglicane de Way’s Mills fait face à l’église multiconfessionnelle Way’s Mills Union. Érigée en 1881, cette dernière regroupe diverses confessions évangéliques. Situés dans un site enchanteur, ces lieux de culte sont associés aux deux plus importantes confessions protestantes fondatrices des Cantons-de-l’Est.
Les catholiques s’installent
Avec l’arrivée des premiers colons canadiens-français au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, le territoire s’enrichit de plusieurs belles églises catholiques qui s’intègrent harmonieusement au cadre bâti des villages. La plupart se distinguent par leur échelle modeste adaptée à l’architecture résidentielle, telle la pittoresque église de Sainte-Edwidge-de-Clifton, qui date de 1884.
Même constat pour l’église de Saint-Venant-de-Paquette, érigée entre 1877 et 1887, dont le revêtement extérieur est en déclin de bois, un matériau surtout utilisé dans l’architecture protestante rurale. Son décor intérieur est l’œuvre de l’architecte Jean-Baptiste Verret. Parmi les lieux de culte catholiques de l’Estrie, l’église de Saint-Venant-de-Paquette est classée au premier rang des 17 églises ayant une valeur patrimoniale exceptionnelle (cote B). Aujourd’hui devenu musée-église, l’édifice met en valeur le travail des artisans qui ont créé son aménagement intérieur, d’une grande qualité artistique.
Certaines églises catholiques sont l’œuvre d’importants architectes, comme l’église de brique de Waterville, ornée d’une rosace en façade. Elle a été érigée en 1919 selon les plans de Louis-Napoléon Audet. Cet architecte de la région a entre autres réalisé la basilique Sainte-Anne-de-Beaupré, le Séminaire de Trois-Rivières ainsi que le palais épiscopal et la basilique-cathédrale Saint-Michel de Sherbrooke.
Cimetières divers
La grande variété qui caractérise le patrimoine religieux bâti de la MRC de Coaticook trouve écho dans celle des nombreux cimetières qui parsèment le territoire. Qu’ils soient catholiques, protestants, multiconfessionnels ou familiaux, ils se déclinent en divers types d’aménagement connus : cimetière-parc, cimetière intégré au lieu de culte, humble cimetière familial adjacent à la ferme du colon.
Créés au XIXe siècle sous l’influence du mouvement pittoresque, les cimetières-parcs s’inspirent des jardins anglais. Des trois cimetières-parcs de la MRC de Coaticook, le plus ancien est le Crystal Lake Cemetery ; son ouverture remonte à la première moitié du XIXe siècle. Situé en bordure du lac du même nom, il abrite les sépultures des pionniers de la région frontalière de Stanstead-Est, dont celle de l’artiste William Stewart Hunter (1823-1894). Citoyen de Stanstead, Hunter a été l’un des premiers chantres des Eastern Townships, dont il a célébré la beauté par ses écrits et ses gravures. Le Crystal Lake Cemetery garde aussi la mémoire des familles pionnières de Stanstead, tels les Curtis et les Colby, à qui l’on doit le Musée Colby-Curtis.
Depuis 1868, le cimetière-parc Saint-Edmond, derrière l’église éponyme, domine la partie nord de la ville de Coaticook. Dès lors, il révèle la présence d’une communauté canadienne-française et catholique sur le territoire. Dans les mêmes années, le Mount Forest Cemetery, situé lui aussi sur les hauteurs de Coaticook, accueille les sépultures des notables protestants qui ont contribué à l’essor de la ville frontalière. S’y trouve également une sculpture d’Orson Wheeler, originaire de Way’s Mills. L’artiste a réalisé cette tête de femme en bronze, surmontant une stèle de pierre, en hommage à une amie disparue, la poète Dorothy Marder.
D’autres cimetières plus modestes, comme les cimetières familiaux, jalonnent les parcours pittoresques de la partie rurale de la MRC de Coaticook. Celui de la famille pionnière Brown, sur la colline Brown’s Hill, est l’un des plus anciens de la région. Dans ce petit cimetière familial adjacent aux bâtiments de la ferme, des inscriptions gravées sur de simples pierres blanches attestent des sépultures qui datent de la première décennie du XIXe siècle. Situé près de la route, il domine un paysage époustouflant qui se prolonge jusqu’aux montagnes du Vermont et du New Hampshire.
Si la confession religieuse des cimetières de la MRC de Coaticook est parfois difficile à deviner, un indice clair demeure : ce n’est que dans les cimetières catholiques que se dresse le calvaire, qui se distingue de la croix simple par la présence du Christ. Cinq cimetières comptent un calvaire présentant les principaux personnages de la Passion. C’est le cas du cimetière de Saint-Edmond, qui inclut aussi deux anges du Jugement dernier. Cet imposant calvaire témoigne de l’importance de la communauté catholique canadienne-française dans cette région aux multiples facettes cultuelles.
Récentes croix de chemin
Dès la fondation de la Nouvelle-France, des croix de chemin – parfois appelées calvaires – poussent le long des routes qui bordent le fleuve Saint-Laurent. Or, il faut attendre le début du XXe siècle pour qu’elles apparaissent dans les Cantons-de-l’Est, car les premiers colons catholiques canadiens-français ne s’y sont implantés que dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Nouveaux venus dans un territoire anglo-protestant, ils chercheront à manifester leur présence en érigeant des croix de chemin.
L’inventaire des cimetières et des croix de chemin de la MRC de Coaticook a permis de recenser une trentaine de croix sur le territoire, souvent des témoignages naïfs d’une foi qui s’affirme. Parfois simples et modestes, parfois ornées de cœurs, de soleils ou d’instruments de la Passion, ces croix de chemin issues de la culture populaire perpétuent la tradition. Grâce à leur richesse iconographique et symbolique, elles n’ont rien à envier aux croix de chemin plus anciennes qu’ont immortalisées des peintres comme Clarence Gagnon à Baie-Saint-Paul et Horatio Walker à l’île d’Orléans.