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Marc Hébert

MRC de Coaticook: Le génie des granges

L’inventaire du patrimoine agricole de la MRC de Coaticook dénombre 183 bâtiments et sites d’intérêt. Les fameuses granges rondes, qu’on associe spontanément aux Cantons-de-l’Est, figurent parmi les plus exceptionnels.

Les granges rondes représentent des témoins exceptionnels de la créativité et du savoir-faire des pionniers américains qui ont colonisé le territoire au XIXe siècle. On en trouvait une trentaine dans les Cantons-de-l’Est au début du XXe siècle ; il n’en restait que six en 2010. La MRC de Coaticook en compte quatre : deux dans la municipalité de Barnston-Ouest, près du hameau de Way’s Mills, et deux à Coaticook – dont l’une est une reproduction construite en 1995 pour devenir le pavillon d’accueil du parc de la Gorge.

Surtout érigées entre 1890 et 1910 dans le sud des Cantons-de-l’Est, les granges rondes comportent deux niveaux : l’étable au rez-de-chaussée pour garder les animaux, et la tasserie à l’étage pour entreposer le foin et l’équipement, à laquelle on accède par le « garnaud », une rampe extérieure souvent couverte. Les bâtiments sont structurés autour d’un noyau central, fait d’une charpente de bois qui supporte le silo et le plancher de la tasserie. Ils sont souvent situés sur des terrains en pente, ce qui permet de réduire la longueur du garnaud. Encore utilisée, la grange ronde de la famille Stanley Holmes, sur le chemin Holmes à Barnston-Ouest, est un bel exemple de cette architecture d’exception.

Le folklore populaire disait qu’une grange ronde éloignait le diable. S’il y entrait, il n’avait aucun coin sombre où se cacher ! Cette croyance viendrait des Shakers, un groupe protestant reconnu pour le style dépouillé de son mobilier. Ce sont eux qui ont érigé la première grange ronde en Nouvelle-Angleterre dans les années 1820, à Hancock, au Massachusetts.

De bons et de mauvais côtés
Comme en témoignent les granges rondes, les pionniers avaient un fort sens pratique et recherchaient l’économie et l’efficacité. Grâce aux fenêtres situées tout le tour du bâtiment, la lumière pénètre tout au long de la journée, et l’espace est beaucoup mieux ventilé que dans une grange rectangulaire. Le silo central permet quant à lui une distribution efficace de la nourriture aux bêtes, en plus d’être naturellement protégé des gelées. Le fermier peut aussi engranger une grande quantité de fourrage en vrac dans la tasserie. Et comme la superficie des murs est inférieure à celle des murs d’une grange rectangulaire équivalente, on économise du bois de construction.

Malgré ses avantages, la grange ronde n’est pas parfaite. Le découpage et l’assemblage des pièces de la charpente demandent plus de doigté et de rigueur. Agrandir la grange en y annexant un bâtiment ou un appentis est également difficile, voire impossible. Sans compter que sa configuration s’adapte mal aux nouvelles technologies de production agricole. À preuve : l’amélioration des systèmes de tuyauterie, l’installation de nettoyeurs mécanisés et la mise en place de postes de traite centralisés dans les fermes laitières ont entraîné la fin de la grange ronde au XXe siècle.

Question de pignons
Si la grange ronde a laissé sa marque dans la MRC de Coaticook, c’est la grange-étable rectangulaire à pignon droit qui demeure la plus commune. Ce modèle, qui était familier aux colons venus de la vallée du Saint-Laurent, est assis sur une fondation de pierres et recouvert d’une toiture à deux versants droits. Au rez-de-chaussée se trouvent les animaux, alors que le fenil à l’étage sert à entreposer le fourrage. Jouxtant souvent les chemins de campagne, ces granges sont elles aussi situées sur des terrains dont la dénivellation permet d’accéder facilement à l’étage.

La grange à pignon brisé, elle, rappelle un type d’architecture agricole étatsunienne. Elle a été adoptée dans la deuxième moitié du XIXe siècle en raison de la croissance des exploitations agricoles : son toit brisé dit « en dos d’âne » dégageant plus d’espace au niveau supérieur, on pouvait y entasser plus de fourrage que dans les granges à pignon droit.

Citée monument historique, la grange de la Ferme-du-Plateau-de-Coaticook est un bel exemple de ce type de grange. Construite en 1912 sur un plan rectangulaire et allongé, elle comporte une structure d’acier, un choix rare au début du XXe siècle pour les granges. Sept lanterneaux de ventilation surmontent le faîte du toit. La taille des fenêtres est réduite afin de limiter les pertes de chaleur en hiver. Fait inusité : les portes sont à glissière plutôt qu’à deux vantaux. Mais la grange se distingue surtout par sa couverture en plaques de tôle à motifs de feuille d’érable embossés, de même que par sa longueur exceptionnelle.

Au Québec et à plus large échelle, les nouvelles pratiques agricoles, l’industrialisation des procédés et l’arrivée d’équipements mécanisés pour entreposer le fourrage ont entraîné des changements majeurs dans l’utilisation des granges. Si certaines de celles de la MRC de Coaticook servent encore à l’élevage de chèvres, de moutons et à la production laitière, plusieurs sont désormais inoccupées, voire laissées à l’abandon, ouvertes aux quatre vents.

Pour en savoir plus

Daniel Coulombe, « Les granges rondes de la MRC de Coaticook. Le charme de la différence », Continuité, no 69, été 1996, p. 51-53
Hélène Nadeau, « Granges circulaires et polygonales. Conserver la forme », Continuité, no 109, été 2006, p. 50-53

Cet article est disponible dans :

L'empreinte du train

Printemps 2014 • Numéro 140

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