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Pierre Lahoud, assurances

Il peut être difficile d’obtenir un prix raisonnable pour la police d’assurance d’un bâtiment localisé dans un site patrimonial déclaré, dont l’île d’Orléans. | Photo : Pierre Lahoud

Pour en finir avec la question des assurances

Les propriétaires font face à des embûches quand vient le temps de trouver un assureur pour leurs maisons anciennes. Cette réalité perdure depuis plusieurs années. Même si la majorité du parc immobilier québécois construit avant 1940 jouit d’une couverture d’assurance, la démarche pour y arriver est ardue, car ces bâtiments sont perçus comme étant « à risque ».

Bien entendu, les propriétaires comme les assureurs ont le désir de protéger leurs intérêts. L’un tente de faire réduire la soumission, tandis que l’autre cherche à l’augmenter pour protéger ses arrières. Afin de renverser cette tendance qui pénalise souvent les propriétaires, il est nécessaire de démystifier cette impasse. L’objectif est d’en arriver à un équilibre pour que les deux parties s’y retrouvent. C’est la pérennité de notre patrimoine qui est en jeu.

 

La situation actuelle

Selon l’ingénieur Yves Lacourcière, près de 3000 bâtiments patrimoniaux disparaissent chaque année au Québec sous le pic des démolisseurs, faute de projets de sauvegarde ou de propriétaires occupants. Comment expliquer ce manque ? À partir des résultats d’un sondage, Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec (APMAQ) brosse le portrait de certaines difficultés rencontrées par des propriétaires de maisons anciennes. Il en ressort que lorsqu’il est question d’assurances, ces derniers n’ont pas de levier de négociation, et ce, malgré le fait qu’aucune donnée ne confirme que les biens patrimoniaux occasionnent des dommages ou des réclamations accrus. Règle générale, ils ne reçoivent qu’une seule proposition de police, le plus souvent offrant une couverture réduite contre une prime élevée. L’APMAQ relève également que l’ancienneté du bien à assurer semble être plus problématique que son état. En effet, celle-ci supplante des composants de base comme la toiture, la fenestration, le revêtement, l’isolation ou la plomberie. Bref, la difficulté d’assurer un bâtiment ancien bien entretenu serait égale à celle d’assurer un bâtiment en mauvais état.

 

La méconnaissance des assureurs

Rendre les compagnies d’assurance coupables de cet état des lieux serait quelque peu injuste. En l’absence de formation adéquate sur le milieu patrimonial et ses enjeux, on peut difficilement tenir rigueur aux agents d’assurance de leur incompréhension quant à l’évaluation du risque d’une maison ancienne. Alors que les propriétaires peinent à trouver des ressources pour leur venir en aide, il s’avère que bon nombre d’agents naviguent dans le néant. Par exemple, la seule mention d’une propriété dans le Répertoire du patrimoine culturel du Québec suffit à faire ériger les barricades du côté des assureurs, alors qu’il s’agit d’une simple liste de recensement. À noter que d’ici 2026, l’ensemble des propriétés construites avant 1940 y seront inventoriées à la suite des nouvelles exigences de la Loi sur le patrimoine culturel.

Le malentendu principal entre assurés potentiels et assureurs concerne la reconstruction du bien en cas de sinistre, autrement dit, sa valeur de reconstruction. C’est l’un des principaux facteurs qui détermine le prix de la police d’assurance. Dans plusieurs cas, ce prix semble fixé en prévision d’une reconstruction à l’identique, ce qui relève d’une méconnaissance de la part des assureurs. Les propriétaires s’en trouvent gravement pénalisés. En effet, les assurances devraient couvrir une maison patrimoniale privée au même titre qu’un bungalow contemporain, surtout lorsqu’elle n’est pas classée ou qu’elle n’est pas située dans une zone réglementée. Du moment qu’un sinistre détruit un bien patrimonial, il détruit aussi sa valeur historique. La propriété ne vaut alors ni plus ni moins que n’importe quelle autre maison.

À moins d’exception, la loi n’exige pas que le bien soit reconstruit à l’identique, avec les mêmes techniques et matériaux. C’est là un élément majeur que semblent ignorer les assureurs. En faire fi condamne les propriétaires à payer des polices d’assurance plus élevées que pour une construction récente. Les assureurs procèdent comme s’ils devaient couvrir les coûts d’une restauration, alors que ce n’est pas le but d’une assurance qui s’applique uniquement en cas de sinistre ou d’accident.

Lorsqu’un propriétaire souhaite remplacer les fenêtres anciennes de sa demeure et entend le faire à l’identique, il risque en effet de payer plus cher. Mais ce choix ne regarde en rien les assureurs, comme c’est le cas pour toute demeure privée. Il s’agit de modifications personnelles aux frais du propriétaire. Bien entendu, si le bâtiment est classé, ces modifications doivent respecter certaines modalités. Mais cela reste également hors du champ d’intervention des assureurs.

Une fois ces témoins de l’histoire disparus, qu’est-ce qui fera la fierté de nos paysages québécois ?

L’engrenage à long terme

Cela dit, il n’y pas que les propriétaires qui sont pénalisés par ces lacunes. L’assurance d’un bien patrimonial est un sujet de plus en plus épineux au sein du milieu municipal. À l’heure où ce dernier cherche à séduire les nouvelles générations pour qu’elles acquièrent des demeures anciennes à la recherche d’occupants, le problème des assurances est un facteur décourageant pour les jeunes acheteurs.

Or, un engrenage s’instaure lorsque la population se décharge de ces bâtiments. Laissés de côté faute d’une assurance adéquate et accessible, ils tombent rapidement en désuétude. Lorsque la dégradation atteint un certain point, une demande de classement émerge parfois et peut incomber aux municipalités et aux MRC, donc à l’ensemble des contribuables, de payer les coûts d’entretien.

Sans oublier que pour bon nombre de municipalités hors des grands centres urbains, les bâtiments anciens forment leur principal attrait touristique et, par le fait même, un poumon économique de première importance.

Plus encore, si les vieilles demeures, les presbytères et les magasins généraux se volatilisent de nos anciennes rues principales, eux qui font le caractère de nos villes et de nos villages, nous risquons fort d’en payer le prix sur le plan collectif. Une fois ces témoins de l’histoire disparus, qu’est-ce qui fera la fierté de nos paysages québécois ? Il s’agit d’une question d’histoire, de souvenance et de milieu de vie.

 

Une responsabilité partagée

Heureusement, le problème des assurances d’un bien patrimonial n’est pas insoluble. Pour le résoudre, les assureurs devront toutefois revoir leurs modalités. De plus, il existe des pistes concrètes vers un consensus entre les ministères et le domaine privé, qui eux aussi ne cessent de se relancer la balle.

Tout d’abord, le ministère des Finances et le ministère des Affaires municipales et de l’Habitation pourraient unir leurs forces afin de monter un programme d’aide financière pour soulager les propriétaires de maisons anciennes ou protégé, en se chargeant d’une partie du montant de leur police d’assurance ou en leur allouant un montant compensatoire. Cette atténuation des coûts pour les individus rendrait aussi le marché plus accessible. Alors qu’ils n’en sont que les dépositaires, les propriétaires ne peuvent endosser seuls l’ensemble de la charge patrimoniale dont, finalement, la collectivité profite. Bien que le libre marché doive suivre son cours, tout le monde devrait avoir la possibilité de contribuer au rayonnement du patrimoine bâti.

Ensuite, le gouvernement provincial pourrait inciter les compagnies d’assurance à inclure une clause « patrimoniale » dans le montage de leurs devis. Rappelons que même si ces compagnies jouissent d’une grande autonomie, elles sont tout de même soumises à l’Autorité des marchés financiers, elle-même soumise au ministère des Finances.

Finalement, la meilleure solution reste bien entendu l’éducation et la sensibilisation. Est-ce qu’une formation spécialisée en patrimoine bâti destinée aux agents d’assurance ne serait pas envisageable pour pallier leur méconnaissance ? Dans tous les cas, il est grand temps de mettre en place des solutions concrètes.

Par ailleurs, alors que la crise du logement se fait sentir aux quatre coins de la province, les édifices patrimoniaux constituent un bassin habitable intéressant. Une fois restaurés, certains de ces bâtiments pourraient accueillir des dizaines d’occupants. La réutilisation de lieux patrimoniaux inoccupés ne date pas d’hier, mais il est parfois nécessaire de réitérer les bonnes idées, surtout lorsqu’elles s’inscrivent dans une vision durable et avantageuse sur tous les plans. ◆

 

Félix Morin-Gosselin est agent avis et prises de position chez Action patrimoine et Noemi Nadeau est directrice générale de l’organisme Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec.

Cet article est disponible dans :

Patrimoine sonore. Tendre l'oreille

Automne 2023 • Numéro 178

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