Propriétaires de maisons anciennes, des acteurs essentiels à soutenir
Renée Genest, directrice d’Action patrimoine, et Anne-Sophie Desprez, responsable des communications de l’organisme
La chronique Point de mire donne la parole à Action patrimoine. Ce printemps, l’organisme rappelle le rôle fondamental que jouent les propriétaires de maisons anciennes et explore les défis auxquels ils font face en s’appuyant sur sa propre expérience.
À maintes reprises au cours de la dernière année, l’actualité a abordé l’enjeu de la conservation et de la mise en valeur des maisons ancestrales, ces témoins de l’histoire et de l’architecture d’un autre temps. Posséder une telle demeure constitue un rêve, notamment pour les amoureux du patrimoine bâti. Mais qu’en est-il réellement au quotidien ? Que représentent la préservation et la mise en valeur d’un tel bâtiment ?
Action patrimoine est le fier propriétaire de la maison Henry-Stuart, située au coin de l’avenue Cartier et de la Grande Allée à Québec. Au fil du temps, l’organisme a eu l’occasion de découvrir les implications d’une telle responsabilité et de tirer quelques leçons de cette expérience.
Un peu d’histoire
L’exceptionnel état de conservation de ce cottage Regency datant de 1850 s’explique entre autres par son nombre restreint de propriétaires successifs. Son intérieur authentique témoigne du mode de vie typique de la bourgeoisie anglophone de Québec, plus précisément de ses derniers habitants, les Stuart.
Deux types de protection et de reconnaissance touchent la maison. Au niveau provincial, elle est classée immeuble patrimonial par le ministère de la Culture et des Communications. La protection s’applique également au terrain et au jardin, ainsi qu’aux biens meubles à l’intérieur. La résidence est aussi désignée lieu historique national du Canada par le gouvernement fédéral.
C’est en 1997, avec l’appui de la Fondation québécoise du patrimoine et suivant le travail acharné de France Gagnon Pratte et d’autres professionnels passionnés, que le Conseil des monuments et sites du Québec, aujourd’hui Action patrimoine, acquiert la maison Henry-Stuart. La maison abrite le bureau de l’organisme et un musée depuis 1993.
La maison Henry-Stuart connaît alors de grandes rénovations, notamment pour réhabiliter son intérieur. Mais une maison demande toujours de l’entretien. D’autres chantiers ont ainsi été réalisés au cours des années, dont celui, en 2017, de la rénovation des fenêtres et des volets du rez-de-chaussée par des artisans-ébénistes. Ces rénovations nous ont permis de constater les défis qui entourent de tels chantiers, à savoir les enjeux financiers, mais aussi les difficultés liées à la recherche d’une main-d’œuvre qualifiée.
Par rapport à sa mission de mise en valeur du patrimoine bâti et des paysages culturels, Action patrimoine, en tant que propriétaire, s’est fixé deux grands objectifs. Le premier est de faire preuve d’exemplarité lorsqu’il s’agit de l’entretien de la demeure et le second de maintenir l’accessibilité au public. Ce double rôle vient avec des défis particuliers.
Un défi de tous les jours
Les protections et reconnaissances de la maison Henry-Stuart peuvent, pour certains, sembler restrictives. Les statuts visent à protéger le site dans son entièreté, soit l’extérieur et l’intérieur, l’un des derniers intérieurs anciens de Québec encore accessibles au public. Ces protections donnent cependant droit à de l’aide financière pour la restauration. Au niveau provincial, il existe le Volet I — restauration de biens patrimoniaux du programme Aide aux immobilisations et au fédéral, le Programme national de partage des frais pour les lieux patrimoniaux de Parcs Canada.
Pour les propriétaires dont l’immeuble n’est pas désigné ou classé, d’autres moyens sont disponibles. Quelques municipalités offrent des programmes de soutien à certains travaux de rénovation ou de restauration, comme la Ville de Québec avec son Programme d’intervention et de revitalisation des bâtiments patrimoniaux. Elles sont toutefois encore trop peu nombreuses. Cela sans parler de l’absence de crédit d’impôt réservé à la rénovation et à la restauration de maisons patrimoniales. Action patrimoine avait notamment soutenu, aux côtés de la Fiducie nationale du Canada et de plusieurs autres organismes, la création d’un crédit d’impôt au fédéral pour les propriétaires de bâtiments patrimoniaux désignés lieux historiques du Canada, en appuyant le projet de loi C-323 en novembre 2017. Quel que soit le palier de gouvernement (fédéral ou provincial), de nouvelles mesures fiscales apporteraient une bouffée d’air non négligeable aux propriétaires vertueux et en inciteraient certainement d’autres à faire plus d’efforts pour préserver leurs biens.
Entretenir de façon adéquate une maison ancestrale demande évidemment d’effectuer un suivi régulier, mais aussi de faire appel à des spécialistes et à des professionnels au savoir-faire rare, parfois unique. Tout ce beau monde se paie. À cela s’ajoutent d’autres difficultés que peuvent rencontrer les propriétaires, puisque, comme on le lit dans les Échos du Sommet national du patrimoine bâti du Québec (novembre 2017) : « […] de nombreux chantiers et programmes de subventions exigent certains permis comme les cartes de la Régie du bâtiment du Québec, ce qui a souvent pour effet de limiter l’accès des artisans sur les chantiers. » Sans compter que les matériaux généralement utilisés aujourd’hui ne sont plus les mêmes qu’autrefois et nécessitent souvent le recours à du sur-mesure, ce qui a une forte incidence sur les coûts.
La clé pour nous est certainement l’entretien quotidien de notre bâtiment et notre vigilance par rapport à son état général. Chaque intervention compte. Pour un propriétaire, il n’est pas toujours simple de faire une restauration complète. D’où l’importance de prévoir un échéancier. Il est évidemment plus facile d’effectuer de petits travaux au fur et à mesure que d’attendre et de devoir gérer de fortes dégradations nécessitant une intervention majeure. Pour l’entretien courant, il est crucial d’aller chercher l’information pertinente afin de s’assurer de prendre les bonnes décisions. Par exemple, il peut s’agir de choisir le bon modèle de barrotins ou de repeindre adéquatement un revêtement extérieur en bois.
Il existe des ressources en mesure d’accompagner les propriétaires dans leurs travaux. Par exemple, les Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec (APMAQ) offrent les services d’un groupe-conseil en restauration capable de répondre à des questions précises relatives aux bonnes interventions à effectuer (fondations, type de mortier, toiture, isolation, etc.). Les ressources en patrimoine de certaines municipalités peuvent également aiguiller les propriétaires vers les bonnes pratiques et le respect du patrimoine. À terme, il serait profitable d’instaurer au sein des municipalités ou des MRC un accompagnement systématique pour les propriétaires de maisons anciennes.
La reconversion, pour léguer et utiliser
En plus de se soucier de conservation et de mise en valeur, les propriétaires de maisons anciennes doivent penser le bâtiment dans son environnement. Lors de la requalification de la maison Henry-Stuart, Action patrimoine a rapidement compris le rôle civique qu’impliquait la possession d’une telle maison. Notre organisme a choisi de mettre en valeur l’intérieur ancien et sa collection par des visites guidées. L’ouverture au public concerne uniquement le rez-de-chaussée, car le premier étage est utilisé tout au long de l’année par les bureaux de l’organisme et ceux du magazine Continuité.
Occuper la maison Henry-Stuart avait un objectif double, soit celui de réinvestir un lieu résidentiel sans trop le dénaturer et de démontrer l’efficacité et les répercussions positives de la requalification des bâtiments. Outre les revenus de location, qui sont un bénéfice certain, des professionnels du patrimoine animent la maison au quotidien. Cela permet un suivi régulier de l’entretien et le maintien d’une maison au charme apprécié par les résidents du quartier.
Tout comme les églises ne peuvent pas toutes devenir des bibliothèques, les maisons anciennes ne peuvent pas toutes devenir des musées ou des bureaux. La requalification harmonieuse de bâtiments doit se faire selon plusieurs critères, en fonction notamment de l’environnement du quartier et des besoins de la communauté, mais également des ressources financières disponibles. En ce sens, la requalification de la maison Henry-Stuart est un exemple intéressant puisqu’elle intègre un usage contemporain en accueillant des bureaux et rend accessibles son intérieur unique et l’entièreté du site.
Depuis quelques années, dans le but de participer à la vie du quartier et à son attractivité, Action patrimoine étend son offre d’activités hors visite guidée. Les maisons anciennes font partie de notre patrimoine collectif, de notre histoire et de notre identité. Les rendre accessibles permet de développer un sentiment d’appartenance qui favorise la sensibilisation à ce patrimoine et sa préservation.
Quel avenir pour nos maisons anciennes ?
Bon nombre de maisons anciennes ont connu un triste sort dans les dernières années. Nous pouvons en citer quelques exemples, dont la maison Rodolphe-Audette (Lévis), la maison Boileau (Chambly), la maison Legendre (Sainte-Croix-de-Lotbinière) ou encore la maison Déry (Québec). Bien d’autres restent en péril, faute d’entretien ou de volonté de sauvegarde. L’importance de ces maisons et ce qu’elles représentent pour la collectivité demeurent souvent méconnus. Mais qu’est-ce qu’une ville sans témoins de son histoire passée?
Au-delà de l’aspect pécuniaire, maintenir une maison ancienne en bon état, c’est traduire le désir, encore plus important, d’une transmission aux générations futures. Être propriétaire d’une telle maison requiert assurément un investissement personnel considérable, mais cela va plus loin. Il faut être visionnaire, passionné et déterminé, et c’est ainsi que nous contribuons collectivement à la mise en valeur de notre quartier, à la visibilité de notre ville et à l’attractivité de notre région.
Le patrimoine est une responsabilité partagée entre les propriétaires, les villes, les MRC et le gouvernement. Ce dernier a d’ailleurs un rôle déterminant tant dans la mise en œuvre d’une vision pour le patrimoine que dans la sensibilisation de tous ces acteurs. L’avenir de nos maisons anciennes dépend d’une volonté politique, mais aussi de l’accès à une aide financière et à des professionnels qualifiés capables d’appuyer les propriétaires dans leur démarche de préservation. C’est pourquoi Action patrimoine poursuit ses revendications en ce sens.
Quelques ressources
Pour les guider et les accompagner, les propriétaires de maisons anciennes peuvent notamment contacter les ressources suivantes :
– Les sociétés d’histoire ou de patrimoine
– Les professionnels en milieu municipal (services d’urbanisme ou de la culture, agents culturels ou en patrimoine)
– Les professionnels des MRC (agents de développement culturel)
– Les professionnels en restauration de bâtiment (ébénistes, maçons, etc.)
Voir le répertoire en ligne du Conseil des métiers d’art du Québec (cocher la case Architecture et patrimoine)
– Le Centre de conservation du Québec
– Les organismes locaux ou nationaux en patrimoine (conseils ou boîtes à outils)