RETOUR

Construite en 1950, cette résidence de l’avenue Pasteur, à Québec, a été démolie en 2020 pour faire place à une nouvelle construction. | Photo : Louise Maheux

Construite en 1950, cette résidence de l’avenue Pasteur, à Québec, a été démolie en 2020 pour faire place à une nouvelle construction. | Photo : Louise Maheux

Protéger le passé pour assurer l’avenir

La chronique Point de mire reflète la position d’Action patrimoine dans certains dossiers chauds. Ce printemps, elle s’intéresse au lien qui existe entre la conservation du patrimoine bâti et le développement durable.

Alors que la crise climatique ne cesse de prendre de l’ampleur partout sur la planète, la diminution des émissions de gaz à effet de serre (GES) est en voie de devenir la priorité pour de nombreux pays. Des stratégies doivent être mises en place rapidement pour réduire l’incidence de nos actions sur l’environnement. En vue d’atteindre cet objectif, la conservation du patrimoine se révèle un geste particulièrement pertinent.

Les liens entre le patrimoine et le développement durable ne sont pas nouveaux, mais ils trouvent un écho grandissant dans la cause environnementale depuis quelques années. À ce sujet, des experts internationaux dans le milieu de la conservation ont lancé, en 2019, le Réseau patrimoine climatique. Cette organisation a pour mission de sensibiliser les pouvoirs publics du monde entier au fait que préserver et réutiliser notre héritage bâti contribuent à la lutte contre les changements climatiques. Il s’agit également d’une idée défendue par l’Organisation des Nations unies (ONU), qui a reconnu l’importance du patrimoine dans ses objectifs de développement durable adoptés en 2015.

Signe que ce discours est en train d’influencer les pratiques, l’édition 2021 du prix Pritzker a permis de souligner le travail de deux architectes français qui ont mis la question de la durabilité au cœur de leurs actions. Cette prestigieuse récompense internationale en architecture a été décernée à Anne Lacaton et à Jean-Philippe Vassal pour leurs projets de réhabilitation de bâtiments anciens. Pour diminuer notre consommation de nouvelles ressources, ces deux lauréats jugent qu’il est essentiel de miser sur l’existant plutôt que de reconstruire à neuf.

Bien entendu, si l’on souhaite que ce geste devienne la norme, un important travail de sensibilisation reste encore à faire auprès de tous les acteurs concernés. Au Québec comme ailleurs, un changement de paradigme s’impose.

Un portrait peu reluisant

Entre 1990 et 2019, le Québec n’est parvenu à réduire que de 2,9 % ses émissions de GES totales. Loin d’être suffisant pour respecter les objectifs que le gouvernement s’est fixés, ce bilan montre que plusieurs secteurs de notre économie doivent en faire plus. C’est notamment le cas de l’industrie de la construction. Selon l’organisme québécois Écobâtiment, elle contribue directement à 10,4 % des émissions de GES dans la province.

Dans une perspective de lutte contre les changements climatiques, le Québec a tout intérêt à préserver, à revaloriser et à réhabiliter ses bâtiments anciens. Toutefois, on préfère souvent ériger de nouvelles constructions — quitte à démolir l’existant —, et l’impact environnemental d’une telle décision est peu critiqué. Par exemple, dans certains quartiers résidentiels d’après-guerre, notamment dans les banlieues de Québec et de Montréal, le tissu urbain se transforme rapidement. Des maisons édifiées entre les années 1945 et 1975 sont démolies pour être remplacées par de nouvelles habitations. La plupart du temps, ces anciennes résidences avaient pourtant été bien entretenues par leurs propriétaires et n’avaient pas atteint la fin de leur vie utile. Mais bon nombre de nouveaux acquéreurs jugent que ces bâtiments ne répondent pas à leurs besoins et préfèrent repartir à neuf. Sur le terrain, nous constatons que les réglementations municipales peinent souvent à empêcher de telles actions.

De nombreux projets gouvernementaux omettent également la possibilité de réutiliser, même partiellement, le cadre bâti existant. Pensons à l’hôpital Saint-Luc à Montréal, démoli pour faire place au CHUM, ou à l’école Stadacona et à l’église Saint-Louis-de-France à Québec, respectivement remplacées par un Lab-École et une maison des aînés. Dans une perspective d’exemplarité des autorités publiques, il est dommage que l’option de conserver les bâtiments déjà en place n’ait pas été davantage étudiée. Pourtant, en adoptant la Loi sur le développement durable en 2006, la province a reconnu que la protection du patrimoine culturel fait partie des principes à respecter dans ce domaine. Malheureusement, cette loi n’a qu’une portée limitée et demeure, à elle seule, insuffisante pour changer les perceptions et les pratiques.

Considérer toutes les données

Au cours des dernières années, d’importants progrès ont été réalisés pour rendre les bâtiments plus performants sur le plan énergétique. Par exemple, une meilleure isolation et des systèmes de chauffage et de ventilation mieux conçus que par le passé permettent de diminuer la consommation d’électricité générale. D’un point de vue environnemental, il s’agit d’un pas dans la bonne direction. Il faut cependant souligner que les émissions de carbone des édifices ne sont pas seulement attribuables à l’énergie opérationnelle, soit la consommation d’énergie pendant leur phase d’exploitation.

En réalité, la construction et la démolition sont deux des actions les plus coûteuses, sur le plan écologique, dans le cycle de vie d’un bâtiment. L’extraction des matières premières, la fabrication des matériaux, leur transport sur le site et l’assemblage de l’édifice génèrent d’énormes quantités de GES. Lors de la démolition, l’élimination des déchets est également un geste très polluant. En étudiant les répercussions de ces actions, on s’intéresse à l’énergie intrinsèque d’un immeuble. Mesurer cette énergie est essentiel dans l’évaluation du bilan environnemental de notre cadre bâti.

Il s’avère qu’en préservant un bâtiment existant plutôt que de reconstruire à neuf, les étapes de construction et de démolition sont évitées. Ce choix a donc le potentiel d’être le plus durable, et ce, même si une nouvelle construction est plus performante sur le plan énergétique. Cet avantage peut se maintenir pendant plusieurs années. C’est d’ailleurs ce qu’a démontré le National Trust for Historic Preservation, association qui milite pour la conservation du patrimoine aux États-Unis, en produisant l’étude The Greenest Building : Quantifying the Environmental Value of Building Reuse. Selon cette analyse parue en 2011, l’empreinte environnementale d’un édifice neuf peut prendre jusqu’à 80 ans avant de devenir moindre que celle d’un bâtiment existant.

Bien entendu, réhabiliter un bâtiment ancien peut également générer d’importantes quantités de GES, et il est essentiel de les réduire. Par exemple, le type d’interventions et leur ampleur doivent être pris en compte. Des actions comme le façadisme ne peuvent pas être considérées comme durables et écologiques, puisqu’elles incitent à démolir une partie, voire l’entièreté, de la structure du bâtiment pour ne conserver que la façade. Par ailleurs, des édifices anciens plus énergivores — dont l’électricité est fournie par des énergies fossiles, par exemple — peuvent aussi perdre une partie de leur avantage environnemental. Il faut alors trouver des solutions pour les rendre plus performants.

 

Ne plus jamais démolir

On le voit, conserver nos bâtiments anciens représente généralement une solution efficace pour diminuer l’exploitation de nos ressources et lutter contre les changements climatiques. Il s’agit d’un choix sensé, particulièrement lorsqu’on sait que la plupart de ces édifices ont justement été conçus pour durer. C’est notamment le cas des toitures, dont les matériaux traditionnels comme la tôle ou le cuivre possèdent une plus grande longévité que la plupart des matériaux utilisés sur des constructions neuves. Les fenêtres en bois, quant à elles, rivalisent avec d’autres technologies plus récentes lorsqu’elles sont bien entretenues, et peuvent même s’avérer plus résistantes sur le long terme.

Bien entendu, il arrive parfois qu’un bâtiment ne puisse être préservé. Un incendie, l’érosion des berges ou des défaillances structurelles majeures sont quelques exemples qui peuvent limiter les options de réutilisation pour un propriétaire. Néanmoins, si une construction devient inutilisable, cela ne veut pas dire que tous ses matériaux le deviennent également. Il importe de leur offrir une seconde vie lorsque cela est possible. Divers éléments tels que des portes, des fenêtres, des planches ou des poutres peuvent être récupérés en vue de les réemployer sur d’autres édifices patrimoniaux similaires. Bien qu’il s’agisse généralement d’une solution de dernier recours d’un point de vue de la conservation, ce processus de déconstruction est fidèle aux principes de l’économie circulaire et permet de trouver une nouvelle vocation à des matériaux encore utilisables.

 

L’heure d’agir

Le bâtiment le plus vert est celui qui est déjà construit. C’est le célèbre architecte américain Carl Elefante qui a été le premier à prôner cette idée, et force est d’admettre que celle-ci n’a jamais été autant d’actualité. Conserver et réutiliser les édifices existants sont des actions qui peuvent dès maintenant permettre au secteur de la construction d’accroître ses efforts dans la lutte contre les changements climatiques. Il faut faire en sorte que la simple démolition ne soit plus une option possible pour les autorités, les promoteurs et les propriétaires de bâtiments anciens. Il est temps de considérer que le patrimoine, en plus de ses valeurs historique et architecturale, constitue également une richesse collective sur le plan environnemental. ◆

Cet article est disponible dans :

Patrimoine habité. J'adopte une maison d'antan

Printemps 2022 • Numéro 172

Votre magazine en mouvement

Article suivant

Cet article est gratuit !

Continuité vous offre gratuitement cet article. Vous aimez ? Abonnez-vous !

Je m’abonne !