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Hôtel de Ville de Sept-Îles

L’architecture moderne témoigne d’une époque où, profitant des progrès techniques en cours, les architectes font preuve d’audace. Avec son mur-rideau de verre et d’aluminium, l’hôtel de ville de Sept-Îles s’inscrit dans cette tendance. | Photo : Mario Dufour

Quand le moderne devient patrimonial

La chronique Point de mire reflète la position d’Action patrimoine dans certains dossiers chauds. Cet automne, elle se penche sur la préservation du patrimoine moderne.

L’année 2021 marque le cinquième anniversaire de l’implication d’Action patrimoine dans le dossier de la sauvegarde de l’église Saint-Gérard-Majella, à Saint-Jean-sur-Richelieu. Ce lieu de culte érigé en 1962 constitue un exemple édifiant d’architecture moderne. Sur le territoire québécois, les premières manifestations de ce mouvement architectural apparaissent dans les années 1930, mais c’est surtout entre la fin des années 1950 et le milieu des années 1970 qu’il connaît son apogée dans toute la province. Le Québec se dote alors d’édifices remarquables, aux formes et à l’esthétique renouvelées, qui reflètent une société tournée vers la modernité.

Malheureusement, on tarde aujourd’hui à reconnaître et à protéger pleinement ce patrimoine. Récemment, l’église Saint-Louis-de-France, à Québec, a été démolie par le gouvernement pour y construire une maison des aînés. Elle fait partie des nombreux bâtiments disparus depuis quelques années : l’église de Notre-Dame-de-Fatima à Saguenay, le centre communautaire Jean-Marie-Roy à Saint-Augustin-de-Desmaures et la Villa Saint-Jean à La Pocatière, pour ne nommer que ceux-ci.

Au cours de la dernière année, l’hôtel de ville de Sept-Îles a été sous les projecteurs après que le conseil municipal eut fait part de sa volonté de construire un nouvel édifice pour accueillir la mairie. Cette annonce a immédiatement soulevé la question de l’avenir du bâtiment actuel. Cet important témoin de la modernité architecturale au Québec a été érigé en 1960 par Affleck, Desbarats, Dimakopoulos, Lebensold, Michaud et Sise, à qui on doit la Place des Arts de Montréal. L’un des architectes, Guy Desbarats, a aussi conçu l’église Saint-Gérard-Majella mentionnée précédemment.

Bien qu’il s’agisse d’un enjeu municipal, l’avenir de cet hôtel de ville a fait couler beaucoup d’encre partout au Québec. En effet, les experts en patrimoine moderne considèrent qu’il faut absolument protéger ce bâtiment d’exception. Quoi qu’il en soit, la cause ne soulève pas l’engouement de la population locale. C’est un scénario qui se répète constamment dans le domaine du patrimoine moderne, puisque ce dernier n’est pas encore pleinement apprécié par la population en général. Le cas de Sept-Îles, loin d’être unique, permet donc de mieux comprendre pourquoi la pérennité de certains édifices d’intérêt se voit menacée.

Un manque de (re)connaissance ?

Dans de nombreux cas, les bâtiments modernes restent dans l’angle mort du patrimoine bâti au Québec. On comprend que, pour une ville industrielle comme Sept-Îles, les enjeux économiques et démographiques occupent le devant de la scène et que les préoccupations patrimoniales, moins prioritaires, s’y limitent aux bâtiments les plus anciens du territoire. Malheureusement, plusieurs municipalités québécoises se retrouvent dans une situation similaire.

Dans les faits, même le gouvernement du Québec tarde à montrer l’exemple. À preuve, les récentes modifications apportées à la Loi sur le patrimoine culturel obligent les municipalités régionales de comté (MRC) à se doter d’un inventaire des bâtiments construits avant 1940, et ce, même si le milieu du patrimoine recommandait d’étendre la période couverte. Ainsi, la ministre a choisi d’ignorer la période qui a vu naître et rayonner l’architecture moderne aux quatre coins du Québec.

Or, si les instances gouvernementales ne reconnaissent pas l’importance de la modernité architecturale, comment les collectivités locales et la population peuvent-elles être encouragées à la protéger adéquatement ?

Une architecture audacieuse

Incomprise, méconnue, l’architecture moderne n’en demeure pas moins de grande qualité. À l’époque, plusieurs architectes tentent de sortir des sentiers battus. Les progrès techniques ayant cours dans la construction leur ouvrent de nouvelles possibilités et les incitent à rejeter les formes et les matériaux traditionnels. Leur vision est teintée du même optimisme en l’avenir qui anime alors toutes les sphères de la société, ce qui se traduit par des bâtiments marqués par l’audace et l’expérimentation. L’hôtel de ville de Sept-Îles reflète parfaitement cet esprit nouveau, comme en témoignent notamment son mur-rideau de verre et d’aluminium de même que l’organisation fonctionnaliste de l’édifice.

La plupart de ces bâtiments ont désormais passé le cap des 50 ans, et certaines de leurs composantes nécessitent d’importants travaux. Bien qu’il existe un nombre grandissant d’exemples de restauration ou de rénovation qui témoignent de choix sensibles au patrimoine, ce n’est pas toujours le cas. Souvent, on utilise de nouveaux éléments totalement incompatibles avec les composantes architecturales et les matériaux d’origine. Dans les dernières années, plusieurs édifices modernes ont ainsi été transformés, voire défigurés, sans qu’on tienne compte de leur valeur patrimoniale et de leurs caractéristiques propres.

À Sept-Îles, par exemple, la transparence du mur-rideau du bâtiment principal a été grandement altérée au fil du temps, et la tribune en béton située en façade a été entièrement retirée. Sur le pavillon secondaire, où se trouvait auparavant la caserne, le bandeau de fenêtres horizontal a disparu pour faire place à de nouvelles fenêtres conventionnelles qui ne correspondent pas au concept d’origine.

Or, des interventions inadéquates comme celles-ci contribuent bien souvent à diminuer l’intérêt de la population envers les bâtiments modernes. À long terme, elles risquent même de menacer leur pérennité. C’est pourquoi il faut s’assurer que chaque intervention est précédée d’un processus de documentation qui permet de comprendre la valeur patrimoniale de l’édifice afin de faire des choix plus éclairés et de contribuer à une meilleure reconnaissance de ce patrimoine unique.

Connaître pour mieux reconnaître

Le recensement des bâtiments modernes par les MRC aurait été un excellent point de départ pour mieux en comprendre l’importance et la valeur. Bien que les nouvelles modifications apportées à la Loi sur le patrimoine culturel ne l’obligent pas, inventorier les édifices construits après 1940 est, selon nous, une démarche essentielle pour avoir un portrait d’ensemble de l’héritage bâti moderne à l’échelle du Québec.

Ce type d’inventaire se révèle particulièrement pertinent dans des municipalités éloignées, comme à Sept-Îles, où l’urbanisation s’est réalisée plus tardivement au XXe siècle. Ces territoires ont souvent été des laboratoires pour les architectes modernes, qui y ont conçu des églises, des mairies et d’autres édifices institutionnels. D’ailleurs, Dolbeau-Mistassini, Baie-Comeau et Val-d’Or se sont aussi dotées d’un hôtel de ville aux lignes résolument modernes.

Des outils pour mieux intervenir

Si un inventaire représente le premier jalon de la reconnaissance, il faut pousser l’analyse plus loin lorsque vient le temps d’effectuer des interventions particulières sur un bâtiment. Une étude patrimoniale s’avère alors essentielle pour connaître avec précision les composantes qui donnent une valeur patrimoniale au lieu et ainsi guider le choix des interventions.

À ce sujet, Sept-Îles a fait réaliser l’an dernier une étude patrimoniale sur son hôtel de ville, ce qui a permis de mettre en lumière les différents éléments du bâtiment qui méritent d’être préservés et restaurés. Cela dit, si cette étude avait été réalisée plus tôt, soit en amont des réaménagements effectués par le passé, elle aurait entraîné des interventions plus respectueuses du patrimoine.

Par ailleurs, ces connaissances supplémentaires auraient sans aucun doute permis aux élus et à la population en général de mieux comprendre ce bâtiment et de l’apprécier à sa juste valeur. Il s’agit là d’un enjeu majeur, puisqu’un édifice peut difficilement passer l’épreuve du temps si la population n’y est pas attachée.

Des changements à encadrer

Évidemment, les bâtiments doivent évoluer et s’adapter aux besoins des usagers actuels. Qu’il s’agisse d’un simple réaménagement d’espaces ou d’une transformation complète pour accueillir de nouvelles fonctions, il est important de faire des choix réfléchis et d’encadrer ces changements.

D’un point de vue patrimonial, maintenir l’usage d’origine demeure le scénario le plus souhaitable. Lorsque ce n’est pas possible, il convient d’envisager un changement de vocation compatible à la fois avec l’architecture et les besoins de la communauté.

À titre d’exemple, la réhabilitation de l’ancienne station-service de L’Île-des-Sœurs à Montréal, une œuvre du célèbre architecte Ludwig Mies van der Rohe, se révèle particulièrement inspirante. Fermé en 2008, ce bâtiment a très rapidement fait l’objet d’une étude patrimoniale en vue de sa transformation. Ces démarches ont mené à l’inauguration d’un centre communautaire intergénérationnel en 2012, un projet de qualité qui a permis de mettre en valeur les caractéristiques architecturales les plus remarquables du bâtiment.

Cet exemple démontre qu’il est possible de trouver un nouvel usage à tout type de lieu et d’espace, mais ce travail ne peut faire l’économie d’un processus d’analyse poussé en amont du projet. Chaque situation est différente, et il faut prendre le temps de trouver les meilleures fonctions pour un bâtiment donné.

À Sept-Îles, l’option de déménager l’administration de la ville n’est toujours pas exclue. La décision reviendra au conseil municipal qui sera élu cet automne. Il reste à espérer que, si ce scénario est retenu, le conseil fera preuve d’une telle rigueur dans ses démarches pour trouver un nouvel usage à l’édifice actuel.

Montrer l’exemple

Toutes ces actions ont le potentiel de changer notre perception du patrimoine moderne et la manière dont on intervient sur celui-ci. Il s’agit de pistes de solution à explorer pour enfin (re)connaître une architecture novatrice, née dans un Québec en pleine effervescence et qui mérite d’être adéquatement protégée.

Pour y arriver, il faudra toutefois que les autorités gouvernementales saisissent l’importance de ce legs et montrent la voie à suivre. En exigeant d’inclure les bâtiments de cette époque dans les inventaires des MRC, la ministre de la Culture et des Communications aurait pu envoyer le message clair que le Québec reconnaît enfin le patrimoine moderne à sa juste valeur.

Mais il ne s’agit pas de la responsabilité d’un seul ministre ou ministère. Le gouvernement doit prendre conscience du rôle qu’il peut jouer en ce qui a trait à la préservation de ce type d’architecture. À ce sujet, la démolition récente de l’église Saint-Louis-de-France, à Québec, montre que le ministère de la Santé et des Services sociaux est peu sensible au patrimoine moderne et ne reconnaît pas son importance. Il faut le rappeler, cette démolition est survenue à peine un an après le dépôt d’un rapport accablant de la Vérificatrice générale du Québec qui invitait le gouvernement québécois à mieux faire ses devoirs en matière de protection du patrimoine bâti.

Compte tenu de la façon dont le gouvernement traite le patrimoine moderne, il n’est pas étonnant de constater que les municipalités et la population ne se portent pas naturellement à la défense de ce dernier. Avant qu’il ne soit trop tard, il est temps d’offrir à cet héritage la place à laquelle il a droit aux côtés des autres bâtiments déjà reconnus par la société québécoise. Collectivement, nous avons notre part de responsabilité et nous devons réaliser que le patrimoine ne se limite plus uniquement à ce qui est ancien, mais que l’architecture plus récente en fait également partie à juste titre, tout comme l’architecture d’aujourd’hui représente le patrimoine de demain. 

Félix Rousseau est agent Avis et prises de position d’Action patrimoine

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Habiter un milieu ancien. Bienvenue aux passionnés

Automne 2021 • Numéro 170

L’avènement du patrimoine de banlieue

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