Quel bilan pour la Loi sur le patrimoine culturel ?
Frédérique Lavoie, agente avis et prises de position et responsable de la formation à Action patrimoine
La chronique Point de mire reflète la position d’Action patrimoine dans certains dossiers chauds. Cet automne, elle s’intéresse à l’application de la Loi sur le patrimoine culturel sept ans après son entrée en vigueur.
En octobre 2012, la Loi sur le patrimoine culturel (LPC) entrait officiellement en vigueur, en remplacement de la Loi sur les biens culturels de 1972. Cette loi désigne deux acteurs clés dans la préservation du patrimoine : le gouvernement provincial et les municipalités. Les rôles et les responsabilités qui incombent à ces deux niveaux de gouvernance y sont bien définis. Néanmoins, l’actualité médiatique ne cesse de porter à notre attention de nouveaux exemples d’immeubles patrimoniaux menacés de démolition. Dans les derniers mois, Action patrimoine s’est positionné dans plusieurs dossiers de ce genre, notamment ceux du presbytère de Roxton Pond, de la maison Bissonnette à Saint-Malachie et du monastère des Moniales dominicaines de Berthierville. Au vu de ces exemples, une question persiste : pourquoi la gestion de notre patrimoine bâti se fait-elle au cas par cas ? Nous croyons qu’une partie de la réponse réside dans la difficulté à mettre en œuvre certains aspects du cadre légal instauré par la LPC.
Les mécanismes du cadre légal
Avant toute chose, il importe de spécifier certaines particularités des outils de protection créés par la LPC. D’une part, le classement reconnaît la valeur des immeubles dont l’intérêt patrimonial est public. Cette protection, qui est octroyée par le ou la ministre de la Culture et des Communications, assure que les bâtiments concernés ne pourront être modifiés ou démolis sans l’autorisation du ministère (article 48). Du point de vue financier, un immeuble classé est admissible à une aide du Volet I — restauration de biens patrimoniaux.
D’autre part, la citation permet aux municipalités de protéger des biens qui présentent un intérêt patrimonial important à l’échelle locale. Plus méconnu, cet outil offre grosso modo les mêmes protections qu’aux bâtiments classés, à la différence que les autorisations pour les modifier ou les démolir doivent être accordées par le conseil municipal plutôt que par le ministère (article 127). Il n’est pas non plus nécessaire d’établir un plan de conservation et les municipalités ne sont pas tenues d’offrir un soutien financier pour les travaux.
La LPC prévoit également un régime d’ordonnance, qui permet au ministre de la Culture et des Communications ou à une municipalité de prendre toute mesure jugée nécessaire lorsque l’intégrité du bâtiment subit une menace réelle ou appréhendée (articles 76 et 148). C’est ce pouvoir qu’a exercé la ministre Nathalie Roy en signant une ordonnance empêchant la démolition du monastère des Moniales dominicaines de Berthierville en avril dernier. Ces pouvoirs, dans les faits, sont rarement utilisés.
A priori, ces dispositifs confèrent une protection aux bâtiments patrimoniaux. Cependant, force est de constater que certaines limites persistent dans l’application de la LPC. Tout d’abord, son efficacité dépend essentiellement de la bonne volonté et des ressources des acteurs qui en sont responsables. De plus, aucun mécanisme de suivi n’assure le bon déroulement de sa mise en œuvre.
L’enjeu du financement
La LPC délègue beaucoup de responsabilités aux municipalités, sans nécessairement les outiller adéquatement. Les incitatifs financiers, dans un premier temps, ne semblent pas être suffisants pour convaincre les municipalités de s’engager dans la préservation du patrimoine. Pour les bâtiments classés et cités, le ministère de la Culture et des Communications (MCC peut octroyer une contribution couvrant de 20 % à 50 % des travaux d’entretien, selon le cas. D’autres subventions sont également disponibles en fonction du type de bâtiment. Par exemple, pour les clochers de l’église Saint-Romuald de Farnham, citée par la Municipalité, le Conseil du patrimoine religieux offrait 70 % de la valeur des travaux. Malgré tout, la Fabrique n’était pas en mesure de rassembler la somme restante, qui représentait tout de même près de 200 000 $.
Ainsi, le principal motif invoqué par les municipalités pour justifier la démolition de bâtiments d’intérêt patrimonial demeure l’aspect financier. C’est notamment ce qu’a fait valoir la Municipalité de Roxton Pond pour expliquer le projet de remplacement de son presbytère par un pavillon extérieur à vocation communautaire. Elle percevait le bâtiment, qui était depuis plusieurs années sa propriété, comme une charge plutôt que comme un atout à valoriser. Puisque le bâtiment n’était ni classé ni cité, sa démolition a pu être autorisée dans le respect des règlements en vigueur.
Nous ne pouvons pas blâmer les municipalités de vouloir réduire leurs dépenses de cette manière. Leurs revenus dépendent presque entièrement de la taxe foncière. Pour les élus, des investissements en patrimoine peuvent s’avérer difficiles à justifier devant des citoyens soucieux de l’utilisation de leurs taxes. Ce défi est d’autant plus grand pour les petites municipalités, qui comptent un nombre d’habitants limité. Pour ces dernières, l’acquisition et la restauration d’une maison patrimoniale en mauvais état sont tout simplement inabordables. Les municipalités ne s’approprient pas les outils à leur disposition si elles n’ont pas les moyens financiers de les appliquer.
Sensibilisation et volonté politique
Parallèlement à ces difficultés de financement, les municipalités doivent souvent faire face à un manque de ressources spécialisées en patrimoine. Sans professionnels de la culture et du patrimoine, il est ardu de sensibiliser les élus au patrimoine et de leur en démontrer l’importance. Cela fait en sorte que les municipalités, censées se positionner en tant que gardiennes du patrimoine, ne sont pas toutes outillées également par rapport à cet enjeu.
Certes, nous sommes témoins de plusieurs initiatives municipales remarquables dans ce domaine. Pensons ici à Deschambault-Grondines ou à Baie-Saint-Paul, qui attirent une foule de touristes en saison estivale grâce à la préservation et à la mise en valeur de leur patrimoine bâti. Néanmoins, la volonté de sauvegarder et de promouvoir le patrimoine est rarement une priorité dans le milieu municipal. L’attitude des élus municipaux traduit bien souvent un manque de formation et de ressources humaines valorisant l’apport du patrimoine bâti pour une communauté et ses retombées en termes de développement local.
Le défi s’accroît particulièrement lorsqu’il est question de bâtiments appartenant à des propriétaires privés, ce qui est fréquent avec les maisons anciennes. Même lorsque l’état de ces maisons se dégrade, les conseils municipaux demeurent réticents à l’idée de recourir à la citation. Plutôt que de percevoir cet outil comme une façon d’assurer valorisation et protection, les élus y voient une contrainte imposée aux propriétaires. Cette crainte de prendre des décisions impopulaires empêche les élus de protéger adéquatement leur patrimoine bâti.
Dans ce contexte, l’application de la LPC est encore une fois compromise. Cette loi offre aux municipalités la possibilité de jouer un grand rôle dans la préservation d’une richesse à laquelle elles sont souvent peu sensibilisées. Une formation obligatoire en patrimoine pour les élus municipaux permettrait certainement de remédier à ce problème en faisant percevoir le patrimoine bâti comme une contribution à la qualité de vie des citoyens.
Classer, citer… et puis après ?
Même en présence de volonté politique et de ressources humaines et financières, le cadre légal de la LPC comporte des limites. Une fois les bâtiments classés ou cités, elle ne prévoit pas de mécanisme de suivi pour assurer que ceux-ci bénéficient d’un entretien minimal et adéquat. Les bâtiments négligés par leur propriétaire se détériorent donc dans la plus grande discrétion, jusqu’au moment où des citoyens prennent conscience des dommages et décident de sonner l’alarme. C’est pourquoi nous assistons à tant d’interventions in extremis, lorsque les bâtiments sont sur le point de s’effondrer. Ce mode de gestion au cas par cas ne permet pas la prévention et la sensibilisation. Nous n’agissons pas, nous réagissons. Le cas du moulin du Petit-Sault à L’Isle-Verte, classé depuis 1962, est particulièrement révélateur. Faute d’entretien, une section du bâtiment a été démolie en vue d’assurer la préservation de l’autre partie.
Pour prévenir la négligence des propriétaires, la LPC prévoit un régime de sanctions et de contraventions (chapitre 8). Cette approche coercitive se révèle, dans les faits, peu efficace. Une fois l’amende payée, le propriétaire n’est pas nécessairement plus enclin à entretenir son bâtiment, qui continue de se dégrader sans aucune intervention d’entretien. Idéalement, ces dispositifs punitifs devraient être contrebalancés par des incitatifs financiers.
C’est au niveau municipal que le suivi s’avère le plus ardu. En effet, si un conseil municipal peut citer un bâtiment par résolution, il peut également lui retirer cette protection de la même manière (article 119). Par conséquent, on assiste parfois au retrait de citations qui vont à l’encontre d’intérêts ponctuels d’une municipalité. Ce cas de figure s’est produit en 2015 à Saguenay, avec l’église Notre-Dame-de-Fatima. Après le rachat de cette dernière par un promoteur qui souhaitait utiliser le terrain pour y réaliser un projet immobilier, le conseil municipal a choisi d’abroger le règlement de citation qui conférait à l'édifice une protection juridique. De ce fait, la démolition de l’église a pu être autorisée par la Municipalité. Cet exemple montre bien qu’afin d’améliorer l’efficacité de la LPC, il est indispensable que le processus de retrait d’une citation soit mieux encadré et qu’il soit conditionnel à l’approbation d’avis externes.
Quelle vision pour l’avenir ?
Si les sept années de mise en pratique de la LPC ont confirmé sa pertinence, elles ont aussi mis en lumière certaines failles dans son fonctionnement. En offrant des ressources et un accompagnement qui conviennent plus ou moins aux besoins et à la réalité des municipalités, cette loi ne parvient pas à mobiliser efficacement les acteurs clés. De plus, en élargissant le champ de compétence des municipalités, la LPC contribue à augmenter la pression qui pèse sur ce milieu.
Surtout, la LPC ne s’insère pas dans une réflexion d’ensemble concernant le patrimoine et l’aménagement du territoire au Québec. La mise en place d’une politique nationale d’aménagement du territoire — objectif pour lequel Action patrimoine milite au sein de l’Alliance ARIANE — serait une occasion idéale de définir notre vision stratégique et nos grandes orientations en ce qui concerne le patrimoine.