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Réinventer la ville sur elle-même

Le 13 juin à Québec, Action patrimoine tenait un colloque sur la densification urbaine, plus précisément sur les enjeux de la densification en milieu patrimonial, intitulé « Densifier les quartiers anciens. Urbaniser. Protéger. Concilier ».

Cette délicate question soulève les passions partout sur le territoire québécois. Différentes considérations entrent en jeu : nouvelles obligations des communautés métropolitaines, des villes et des MRC découlant de l’application du Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD), visions locales variées du développement et réactions parfois vives des citoyens riverains aux projets proposés… Huit conférenciers ont donc abordé le sujet sous différents angles : aménagement urbain, opportunités de créer une nouvelle dynamique urbaine, participation citoyenne à son milieu de vie, etc. Un constat s’est répété au fil des interventions : malgré que la volonté de densifier les noyaux urbains soit vertueuse, les secteurs anciens commandent une attention particulière afin de réussir un projet urbain pérenne et porteur de sens.

Une question d’interprétation ?
D’entrée de jeu, Gérard Beaudet, urbaniste, architecte et professeur à l’Institut d’urbanisme de l’Université de Montréal, a souligné à juste titre que la densité est un concept mal compris. Densifier la ville ne signifie pas construire des immeubles imposants ou en hauteur sans lien avec le milieu d’implantation, encore moins dans les secteurs anciens au tissu urbain à fort caractère patrimonial. Si, dans un premier temps, il est nécessaire de distinguer la densité construite (le nombre de logements à l’hectare et le rapport de la superficie construite à la superficie de terrain) et la densité habitée (le nombre d’habitants à l’hectare), il faut également constater que la transformation d’un milieu est soumise à certaines règles liées à sa formation et au projet urbain adopté.

Densifier ne signifie par construire en hauteur sans égard à l'environnement.

Photo: Josiane Ouellet

M. Beaudet a rappelé que depuis les années 1960, la contribution de l’école italienne d’architecture a permis de développer la typomorphologie comme outil d’étude approfondie de la forme urbaine et de son potentiel de transformation. Ses outils cognitifs et analytiques permettent de cerner les lois de formation et de transformation des milieux bâtis. Cette méthode permet également d’établir les limites de leur transformabilité. Rappelons que les milieux bâtis sont caractérisés par des échelles (bâti, tissu urbain, territoire) et des permanences structurales (système viaire, parcellaire), ainsi qu’un bâti qui présente un certain nombre de variables. Au lieu de contribuer à l’amélioration du cadre bâti, certaines transformations affectent les permanences structurales. C’est le cas lorsqu’on modifie la trame viaire, ou lors du démembrement de grandes propriétés, du remembrement foncier ou d’un changement radical d’échelle.

Si la typomorphologie n’ouvre pas à toutes les solutions, elle a le mérite de fonder la réflexion de la transformation urbaine sur des bases solides et de mettre l’accent sur l’importance de contrôler les transformations pour maintenir l’identité des lieux. Il est donc important de connaître et de reconnaître les attributs de la forme urbaine avant toute intervention qui pourrait l’altérer de façon durable.

Actuellement, selon Gérard Beaudet, les dynamiques du marché immobilier sont incontrôlées dans les milieux convoités. Et il estime que la densification aura des répercussions négatives si elle s’opère dans un contexte de fuite des populations nanties. Rien n’empêche – et c’est souhaitable – qu’elle soit soumise à des mécanismes régulateurs pour protéger les valeurs foncières. Enfin, si la densification peut être l’occasion de redynamiser un milieu, pour être réussie, elle « doit être appréciée de manière particulière dès qu’il y a patrimonialisation », a souligné l’urbaniste. C’est probablement là le principal défi des décideurs, parfois plus ou moins conscients de cette valeur patrimoniale et de ce potentiel de création.

Tous les milieux ne doivent pas nécessairement être densifiés. Parfois, il faut dire non. Certains outils comme le transfert de droits de développement pourraient être explorés. Pour Gérard Beaudet, l’exemple du Vieux-Terrebonne est probant. La première intention de densification, dans les années 1970, n’aurait pas permis les résultats observables aujourd’hui si elle n’avait pas été remise en question. Depuis, une requalification sensible du milieu bâti, respectueuse de l’existant et de son potentiel de développement, a permis de consolider un milieu de vie dynamique et de densifier ce secteur ancien.

Développer ou non les secteurs anciens ?
Prenant appui sur l’exemple de développement – ou de non-développement – qu’offre le secteur patrimonial de Sillery, Nicholas Roquet, architecte et professeur à l’Université de Montréal, a lui aussi signalé la mécompréhension de la densification.

La densification soulève d’abord des problèmes d’échelle et d’usage. Il a placé en ordre d’intérêt et d’importance la forme urbaine (son échelle, son mode d’occupation du sol), la mémoire collective qui donne la charge symbolique au milieu, et enfin la pertinence sociale du projet (sert-il le bien public ?). À Sillery, les enjeux réels sont la conservation de la vocation du site patrimonial et la densification des usages. Enfin, selon lui, il faut concevoir le logement comme un vecteur de la vie collective ; il y a place pour l’habitation et l’innovation urbaine dans ce milieu.

Densifier plutôt qu’étaler
Plusieurs facteurs ont poussé les décideurs à revoir les impératifs de la ville depuis le début du XXIe siècle. L’étalement urbain, observable ici comme ailleurs, et l’abandon des centres anciens au profit de nouveaux pôles d’affaires ont accru la réflexion. Sommes-nous condamnés à grossir le réseau des routes et autoroutes ou pouvons-nous faire mieux dans les secteurs déjà construits ?

Au début des années 2000, le ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Organisation du territoire invitait les communautés métropolitaines à élaborer leur document de planification territoriale. Dans une volonté de développement durable, de nombreuses villes se sont aussi récemment donné l’objectif de densifier leur centre plutôt que de poursuivre l’étalement urbain, en réponse à la croissance de leur population. Les intentions sont louables, mais les applications sur le terrain se font parfois sans nuances et dans la hâte.

David Duval, urbaniste au Service de l’aménagement du territoire de la Ville de Québec, a été clair : la densification est incontournable et nécessaire. Avec l’étalement urbain, elle constitue l’un des deux visages de la croissance urbaine, et à tout prendre, vaut mieux opter pour la densification. Elle est la solution souhaitable pour augmenter l’offre résidentielle et les services de proximité à l’intention d’une population qui n’est pas forcément de la tranche d’âge supérieure, comme on pourrait le penser. Pour David Duval, la part modale des déplacements est intimement liée à une densification réussie. Il faut viser une offre accrue de transports collectifs et une plus grande possibilité de déplacements actifs (à pied, à vélo) dans les secteurs densifiés, plutôt que de favoriser le transport automobile comme dans les secteurs de faible densité.

Pour l’urbaniste David Paradis, directeur des stratégies et collectivités viables à l’organisme Vivre en ville, aucun doute : il faut reconstruire la ville sur elle-même. Dans les quartiers anciens, la densification doit se faire à l’échelle humaine et répondre aux besoins quotidiens de chacun. Elle doit tabler sur l’intérêt public et s’inscrire dans une vision d’ensemble. Car les bénéfices sociaux d’une densification réussie sont considérables : meilleure qualité du milieu de vie (proximité des services, habitudes de vie plus saines, etc.), rentabilisation des équipements et des infrastructures, répercussions positives sur l’environnement. Construire une ville contemporaine respectueuse des milieux anciens est donc l’objectif que doivent se donner tous les intervenants, a-t-il rappelé.

Place aux idées…
La créativité doit aussi être de la partie, a affirmé François Dufaux, architecte et professeur à l’École d’architecture de l’Université Laval. Avec ses étudiants et fort d’un mandat de l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, il a offert une démonstration éloquente de ce que l’imagination et une compréhension pointue du territoire peuvent amener comme solutions. Sur le Plateau, la typologie des habitations offre un potentiel de surhaussement qui permettrait aux jeunes familles de demeurer en ville en ayant une plus grande surface habitable, tout en maintenant le parc de logements locatifs à un niveau respectable. Une densification douce, en quelque sorte, sans construction d’immeubles de grande densité à proximité d’un bâti de moyenne densité. Résultat : moins de bouleversements du milieu, et une meilleure acceptabilité sociale des projets.

… et aux citoyens
À Mont-Saint-Hilaire, on estime l’avoir échappé belle ! Louis Cornellier, président de l’Association des citoyens de Mont-Saint-Hilaire, a relaté la démarche récente des Hilairemontais. Un projet de construction de 600 condos à flanc de montagne, dans un milieu comptant des résidences unifamiliales et des vergers, a provoqué une vaste mobilisation citoyenne qui a défait le conseil municipal qui proposait le projet. Comment, dans un milieu patrimonial et naturel reconnu, en est-on arrivé à proposer un projet hors d’échelle et hors contexte avec la prétention de densifier le milieu construit ? Désirait-on répondre aux volontés exprimées dans le PMAD et à l’obligation de densifier dans les zones habitées ?

Le représentant des citoyens a constaté un manque de planification et de coordination de la part des responsables de la Ville, un manque d’information auprès de la population et une consultation déficiente des citoyens. Pour ces derniers, la précipitation n’a pas sa place et la morphologie du territoire doit être prise en compte. Ils s’impliquent maintenant pour reprendre la réflexion à zéro : ils souhaitent que le plan de concordance (imposé par le PMAD) soit repoussé et amendé, qu’une vision à long terme de l’aménagement du territoire à Mont-Saint-Hilaire soit élaborée, que le plan d’urbanisme et ses règlements soient révisés. Quel effort pour des bénévoles !

M. Cornellier a poussé un cri du cœur en affirmant que « la ville ne doit pas être planifiée par les promoteurs, mais qu’il faut plutôt rester maîtres d’œuvre dans notre ville ». Il a aussi rapporté que la leçon tirée de cette récente expérience est qu’« il ne faut pas tenir pour acquis que les autorités publiques font au mieux pour les citoyens et qu’elles ont toute l’information sur un dossier ». Vigilance et implication sont ses mots d’ordre.

Planifier pour un avenir meilleur
Action patrimoine voit dans la densification une occasion de redynamiser et d’améliorer les milieux de vie anciens, tout en contribuant à un développement plus durable pour l’ensemble de la ville. Mais il faut garder à l’esprit que la clairvoyance et les connaissances nécessaires à une transformation réussie ne laissent pas place à la spontanéité des promoteurs ou à la spéculation foncière débridée qu’on observe souvent. La densification se planifie et doit se présenter comme un projet collectif ouvert à la discussion. Toutefois, il n’existe pas de recette à appliquer indépendamment des milieux. Comme l’a dit M. Beaudet, la connaissance de la forme existante, autant bâtie que non bâtie, est incontournable pour déterminer la forme à donner à la densité en milieux anciens.

Cet article est disponible dans :

Patrimoine et béton. Sortir du moule

Automne 2014 • Numéro 142

Le béton comme mission

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