Seuls les robots ne meurent pas
Audrée Wilhelmy, Auteure, artiste multidisciplinaire et porte-parole
Dans cette chronique Carte blanche, la porte-parole de Continuité se préoccupe de la mort, de ses rituels et de ses célébrations. Bien ancrée dans notre patrimoine, notre façon d’aborder le trépas pourrait aussi être perçue comme un projet créatif où tout est à réinventer.
Dans mon roman Peau-de-Sang (Leméac, 2023), j’ai effleuré un sujet qui m’occupera activement dans les prochaines années. J’ai travaillé à l’élaboration d’une figure lumineuse de la mort, la Yaga, en remplacement de la Faucheuse qui tranche la vie, souvent au moment le plus cruel. Vieille dame aux cheveux brillants, au regard vif, la Yaga habite « au bout du chemin » et, quand elle marche dans le village, elle est si attirante qu’une âme, c’est certain, désire s’enfuir avec elle.
À part la naissance, rien n’appartient plus universellement au patrimoine symbolique humain que la mort et ses innombrables ritualisations. Or en 2020-2021, pendant la pandémie, j’ai ressenti très fortement les limites de nos représentations de la mort et les conséquences de sa médicalisation. Non seulement des gens qui ne devaient pas mourir sont disparus à profusion, mais en plus, on a privé d’un départ paisible bien des gens dont c’était l’heure toute naturelle. Cette réflexion ne se veut pas un commentaire politique ni une critique des mesures sanitaires et de leur mise en application. Ce n’est pas l’objet qui m’occupe ici. C’est plutôt le moment charnière que cette période représente qui m’intéresse. Ma réflexion sur la mort s’est approfondie pendant les confinements et je me suis sentie troublée par la manière que nous avions de l’envisager comme un phénomène médical, voire une maladie. Surtout, ça a été l’occasion de méditer sur l’importance des rituels qui entourent le décès, lorsqu’un de nos proches disparaît. C’est lorsqu’on ne peut plus faire une chose que l’on tenait pour acquise — rendre hommage à un défunt en compagnie des autres personnes qui l’aimaient — qu’on en mesure mieux l’importance.