Sillery à l’heure des choix
Josiane Ouellet, rédactrice en chef du magazine Continuité
La chronique Point de mire reflète la position d'Action patrimoine dans certains dossiers chauds.
L’entrée en vigueur de la Loi sur le patrimoine culturel, à l’automne 2012, entraîne l’obligation d’élaborer un plan de conservation pour tous les sites du patrimoine (anciens arrondissements historiques). Selon Action patrimoine, cet engagement offre l’occasion idéale de revoir la façon de sauvegarder, de développer et de mettre en valeur chacun de ces sites exceptionnels, dont la majorité possède un statut de protection depuis plusieurs décennies. Au nombre de 12, ces sites, situés pour la plupart en milieu urbain, témoignent de l’histoire et de l’appropriation du territoire par les collectivités depuis des siècles. Ils ont donc une forte valeur identitaire pour le Québec.
Notre responsabilité collective est de faire en sorte que l’esprit des lieux de chacun de ces sites soit reconnaissable dans des dizaines, voire des centaines d’années. Sans une vision globale et claire qui permette de conserver leurs caractères essentiels, certains de ces sites sont menacés de disparition ou de banalisation à petit feu.
C’est le cas du Site patrimonial de Sillery, où le développement s’est fait à la pièce depuis plus de 40 ans. Sans compter que l’entente semble difficile entre la Ville de Québec, qui gère le territoire, et le ministère de la Culture et des Communications, qui veille à la sauvegarde du site. Au cœur du problème : un manque de vision partagée qui permettrait d’établir un réel contrôle des transformations dans ce milieu très sensible. Car, comme tout secteur urbain, le site de Sillery est vivant. Il évolue dans le temps. Dans un site patrimonial désigné, cette évolution doit forcément s’inscrire dans la continuité et le respect de ses origines. Les qualités du site, qui en ont défini l’identité, doivent demeurer reconnaissables. Il en va de l’intérêt collectif.
À l’invitation du ministre de la Culture et des Communications, Maka Kotto, la population et tous les groupes intéressés par la question de la préservation du Site patrimonial de Sillery ont eu l’occasion, en février et mars derniers, d’exprimer leur vision et leurs attentes au Conseil du patrimoine culturel, chargé des audiences publiques sur le plan de conservation déposé par le ministère de la Culture et des Communications. Attendus en juin, les résultats de cette première audience publique indiqueront la direction quant aux orientations et aux moyens à prendre pour assurer la pérennité d’un patrimoine jugé exceptionnel.
Un débat difficile
Le débat fait rage depuis plusieurs années quant à l’avenir du site de Sillery. La pression de développement est forte : elle est induite, d’un côté, par le départ des communautés religieuses propriétaires des grands domaines de Sillery et, de l’autre, par l’emplacement exceptionnel de ces terrains encore vierges dans la ville.
Les opinions sont tranchées. Certains citoyens et groupes s’opposent à tout développement dans le secteur. D’autres y voient des occasions d’affaires : des promoteurs préparent des projets qui dépassent les possibilités de l’actuel zonage, faisant du coup miroiter des sommes importantes aux communautés en processus de vente. Enfin, d’aucuns aimeraient une plus grande cohérence des énoncés d’intention de protection et des actions mises de l’avant par les autorités afin d’assurer la pérennité du site.
Les caractères distinctifs du site
Au fil du XIXe siècle, les communautés religieuses ont acheté de grandes propriétés terriennes à Sillery. Peu développées, ces propriétés offrent toujours des panoramas et des vues rares vers le fleuve et, réciproquement, du fleuve vers les sites. Certains bâtiments conventuels du XIXe ou du début XXe méritent une requalification à brève échéance.
De vastes cimetières, parmi les plus anciens de la capitale, sont toujours utilisés et on y trouve des arbres parfois centenaires, formant des boisés urbains d’un grand intérêt. En été, ces boisés contribuent à rafraîchir la température ambiante.
Des villas anciennes persistent dans ce paysage urbain, rappelant l’histoire de l’architecture du XIXe et celle des grandes familles bourgeoises de la ville, venues s’établir près des chantiers dont elles étaient propriétaires. Si la Villa Cataraqui est protégée, les autres ne bénéficient d’aucune protection particulière qui les mettrait à l’abri de transformations abusives.
En outre, le site emblématique de la maison des Jésuites, classé en 1929, rappelle les premiers établissements du temps de la Nouvelle-France.
Deux secteurs, composés d’un réseau viaire particulier et d’habitations modestes et représentatives du mode de vie ouvrier d’autrefois, sont toujours bien vivants. Un autre objet de rareté au Québec !
Enfin, un tronçon important du plus vieux parcours de la ville à avoir conservé son tracé original, le chemin Saint-Louis, qui relie la ville fortifiée aux hauteurs de Cap-Rouge, traverse le site.
Les principaux défis
Chacun des acteurs en présence doit pouvoir contribuer à l’avenir de ce site, et chacun doit pouvoir se considérer comme gagnant dans la démarche.
Il faudra donc :
– offrir aux propriétaires l’assurance que leurs droits seront respectés dans l’espace juridique existant ;
– assurer les citoyens que l’intérêt public (qui a prévalu à l’instauration du site du patrimoine en 1964) sera au cœur des décisions prises par les instances publiques ;
– trouver des solutions innovantes, qui explorent les outils qu’offre la fiscalité ;
– faire en sorte que tous les intervenants puissent, une fois leurs points de vue exprimés et entendus, trouver un terrain d’entente et un lieu privilégié de discussion et de collaboration pour mettre en place un projet profitable à tous ;
– offrir aux investisseurs des occasions de réaliser des projets qui s’intègrent à un lieu patrimonial de grande qualité ;
– préserver une zone verte en haut de la falaise pour créer un parc linéaire reliant la côte à Gignac au parc du Bois-de-Coulonge, en complément de la promenade Samuel-De Champlain située en bordure du fleuve.
Les principes qui doivent guider l’action
Les choix doivent être pérennes pour être appliqués et applicables. Les décisions et les gestes posés doivent être clairs, compréhensibles et pouvoir être poursuivis par les acteurs et décideurs qui se succéderont. Et puisqu’il s’agit d’un ensemble urbain de grande valeur, un plan d’ensemble est nécessaire, qui intégrera un projet de design urbain pour assurer le développement harmonieux du secteur.
Les recommandations d’Action patrimoine
Action patrimoine souhaite l’adoption d’une vision globale pour ce site patrimonial, basée sur sa forte valeur ajoutée sur les plans social, culturel et communautaire, en amont de tout document technique qui pourrait en guider l’administration. Une vision qui repose sur une volonté politique forte et assumée de préserver ce site patrimonial et ses caractères hérités. Plus cette vision sera claire, plus les acteurs en présence sauront comment agir pour y participer, et plus le travail sera facilité pour atteindre le résultat souhaité.
Action patrimoine propose d’agir en préservant tous les territoires susceptibles de devenir des espaces publics, propices à la récréation en milieu naturel.
L’objectif n’est pas de dépouiller qui que ce soit, mais l’on devra éviter tout usage incompatible avec la conservation des espaces collectifs d’une grande valeur.
Le modèle de la fiducie sociale doit être envisagé et exploré sérieusement à brève échéance (création d’une Fiducie des grands domaines, par exemple), afin de créer un modèle gagnant-gagnant pour tous ceux qui verront diminuer le potentiel de développement de leur terrain et, conséquemment, sa valeur foncière.
Le mémoire complet d’Action patrimoine est disponible au www.actionpatrimoine.ca.
Pour en savoir plus sur la consultation publique sur le plan de conservation du Site patrimonial de Sillery ou pour consulter le plan à l’étude, voir le site du Conseil du patrimoine culturel du Québec : www.cpcq.gouv.qc.ca.