Taverne Magnan. Témoin du changement des mentalités
Sylvain Daignault, cofondateur de SPY Histo et auteur de Histoire de la bière au Québec (Broquet, 2006)
L’annonce de la fermeture prochaine de la taverne Magnan, installée à Pointe-Saint-Charles depuis 82 ans, a suscité l’émoi chez beaucoup de gens. Beaucoup de gens qui – comme moi – n’y sont pas allés depuis longtemps.
Fondée par Armand Magnan en 1932, la taverne Magnan compte tout au plus une quinzaine de places à ses débuts, places qui sont très vite occupées – on s’en doute – par les ouvriers travaillant dans les usines installées le long du canal Lachine. Longtemps, plus d’un millier de personnes en moyenne franchissent quotidiennement les portes de l’établissement de la rue Saint-Patrick.
Au cours des années 1960-1970, on dénombre environ 700 tavernes à Montréal. Lieux par excellence depuis plusieurs décennies pour les hommes qui souhaitent se retrouver entre eux après une dure journée de labeur, on y discute de politique, de sport et, pourquoi pas, de femmes, même si ces dernières n’y sont pas admises. La taverne Magnan, située dans le quartier ouvrier de Pointe-Saint-Charles, à Montréal, figure en bonne place parmi elles.
À la mort du père, les trois fils prennent la relève. En 1957, la superficie de la taverne double. D'autres agrandissements sont effectués en 1963 et 1976. Au fil des années, il n'est pas rare de croiser dans l'établissement de la rue Saint-Patrick certains clients réguliers, tels Jean Drapeau, maire de Montréal, Jeanne Sauvé, gouverneur général du Canada, Gary Carter, vedette des Expos, et Jean Béliveau, légende du Canadien de Montréal.
En 1978, les frères Magnan sentent le vent de modernité qui souffle sur le Québec. Depuis la Révolution tranquille, la société a changé tant sur le plan social qu'économique et culturel. Le sexisme et la morale publique, qui interdisaient jusqu’alors aux femmes de fréquenter les tavernes, ont une fois pour toutes disparu. La taverne Magnan s'adapte à cette nouvelle réalité en devenant un établissement désormais ouvert aux femmes, en plus de se transformer en restaurant familial, tout en réussissant à conserver son âme et sa recette de rôti de bœuf, la spécialité de la maison.
En entrevue à Radio-Canada, le PDG de l’établissement, Alain Gauthier, attribue la fermeture à plusieurs facteurs : les travaux de construction qui n’en finissent plus et qui découragent les automobilistes, la gentrification du quartier, les changements d’habitudes des consommateurs en matière de restauration, etc.
M. Gauthier a raison. Depuis plusieurs années maintenant, les brasseries et les bars sportifs comme La Cage aux Sports ont remplacé les tavernes. Les messieurs aux tempes grisonnantes ont cédé leur place à une clientèle plus jeune qui fréquente les nouveaux restos à la mode. Ajoutons à cela les lois sur l’alcool au volant qui font en sorte que bien des gens préfèrent aujourd’hui se cuisiner un bon plat à la maison, accompagné d’une bonne bouteille de vin.
Oui, Magnan, même au moment de sa fermeture annoncée, est encore un témoin du changement des mentalités au Québec.