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Centre d'art Moulin La Lorraine

En plus de produire de la farine, le moulin La Lorraine accueille un centre d'art. | Photo : Stéphanie Allard, moulin La Lorraine

L’art au fil de l’eau

 

Après plus d’un siècle à faire tourner la discrète roue intérieure d’un moulin en bois, l’eau du ruisseau Beaudoin actionne aujourd’hui la très visible roue d’un majestueux moulin en pierre. Récit d’une transformation portée par l’amour des arts.

Impossible de se rendre à Lac-Etchemin, en Chaudière-Appalaches, sans remarquer un imposant bâtiment de pierre aux abords de la route 277. Le Moulin La Lorraine, érigé en 2007 sur les fondations de l’ancien moulin Beaudoin, propose une panoplie d’activités culturelles… en plus de produire de la farine sous les yeux des visiteurs.

L’histoire commence en 1860, alors que le fermier Pierre Beaudoin construit un moulin à eau au bord de l’un des ruisseaux qui alimentent le lac Etchemin. Pendant près d’un siècle, les cultivateurs locaux y apportent leurs récoltes, aussitôt transformées en farine. Vers 1950, Wilfrid Beaudoin fils, descendant de Pierre, dote le moulin d’un système au diesel. On y produit de la moulée pendant une quinzaine d’années, après quoi cesse toute meunerie.

Quatre décennies plus tard, le site est à l’abandon et le bâtiment, en ruine. Mais sa renaissance pointe à l’horizon.

Des arts et de la farine

C’est qu’à Lac-Etchemin, au tournant des années 2000, on rêve d’une seconde vie pour le site. Le maire de la municipalité, Jean-Guy Breton, approche alors deux mécènes notoires, Lorraine Langevin et Jean Turmel. « La propriété se trouve près de notre résidence, et elle était en mauvais état, se souvient M. Turmel. Le maire Breton m’a convaincu de l’acquérir et a négocié avec la famille Beaudoin, qui en était toujours propriétaire. » La transaction est conclue en 2005. « Nous n’avions pas de plan défini, avoue-t-il. C’est après l’achat du moulin que nous avons décidé d’en faire un lieu d’exposition pour les artistes. »

Bien que lacetcheminois d’origine, le couple connaît peu l’histoire de sa nouvelle acquisition. « Nous avons discuté avec des membres de la famille Beaudoin et visité tous les moulins des environs avant de choisir comment le rénover, raconte Mme Langevin. L’architecte Odette Roy, de Saint-Georges, a aussi fait des recherches pour nous guider dans la reconstruction. »

Au terme de ces démarches, la pierre est préférée au bois pour le parement extérieur. Réalisé par Jacques Nadeau, un maçon de la région, l’imposant ouvrage s’élève sur les quelques pierres de fondation originales encore en place. Autre changement : la roue, jadis intérieure, plonge dans le ruisseau Beaudoin à la vue de tous. Car en rebâtissant un moulin fonctionnel, les propriétaires veulent inciter les passants à pousser les portes de leur centre d’art.

L’équipement de meunerie ne pouvant être récupéré, un système de courroies de la même époque est déniché dans les environs. « Gilles Couture, propriétaire du moulin familial à Sainte-Claire, nous a vendu des pièces », spécifie Jean Turmel.

M. Couture partage également ses connaissances avec l’architecte Roy et avec Martial Laflamme, le « maître d’œuvre » de ce chantier de quelque 2 millions $, dont la meunerie porte aujourd’hui le nom. Le nouveau moulin, inauguré en septembre 2007, a quant à lui été baptisé La Lorraine en hommage à sa copropriétaire.

En rebâtissant un moulin fonctionnel, les propriétaires veulent inciter les passants à pousser les portes de leur centre d’art.

Marier culture et patrimoine

Voué à la diffusion des arts visuels, le Moulin La Lorraine multiplie les clins d’œil au patrimoine. La salle d’exposition principale porte le nom du premier meunier, Pierre Beaudoin, alors que la Salle des courroies se veut plus intime. « Ses murs sont en pierre et on y trouve le système de courroies capable d’activer la meule, indique Dominique Breton, directrice générale et artistique des lieux. C’est un maillage entre l’art actuel et le savoir ancestral. » Le troisième lieu d’exposition du bâtiment est situé près du Café du Patrimoine – où trônent des photos de l’ancien moulin – et de la meunerie.

Six meuniers s’y sont succédé depuis la réouverture, chacun ayant été formé par le précédent. Le dernier en date, Éric Paradis, a produit l’an passé 277 kilos de farine et 68 kilos de son. « Notre production est vendue seulement sur place et en grande partie écoulée au cours de chaque saison », affirme Dominique Breton.

C’est que les cofondateurs ont réussi leur pari ; les visiteurs sont nombreux. « Quand on passe sur la route 277, le coup d’œil est assez impressionnant et plusieurs personnes arrêtent spontanément, constate-t-elle. Certains veulent savoir si le moulin est fonctionnel, d’autres se sont déplacés pour une activité artistique ou sont intéressés par nos jardins, nos sculptures monumentales, le Sous-bois poétique ou nos sentiers… On touche une variété d’intérêts qui permettent de diversifier la clientèle. »

L’équipe de La Lorraine souhaite aussi éveiller les jeunes aux arts. « Je trouvais qu’il n’y avait rien dans la région pour les enfants qui n’aiment pas les sports, explique Lorraine Langevin. Maintenant, les écoles viennent visiter nos expositions et il y a des camps artistiques… C’est un beau succès ! »

Tenir ces activités dans un moulin à farine opérationnel représente-t-il une plus-value ? « Tout à fait ! s’exclame Dominique Breton. Ça apporte aux jeunes une ouverture supplémentaire à la culture… Je dirais que ça plante une graine pour faire grandir l’amour du patrimoine en eux. »

 

Benoîte Labrosse est journaliste indépendante.

Cet article est disponible dans :

Patrimoine et moulins. Du grain au pain

Été 2023 • Numéro 177

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