Transparence et information. Pour y voir plus clair
Christophe-Hubert Joncas, consultant en aménagement et patrimoine, Émilie Vézina-Doré, directrice générale d'Action patrimoine, et Alexandre Petitpas, agent Avis et prises de position de l'organisme
La chronique Point de mire reflète la position d’Action patrimoine dans certains dossiers chauds. Cet hiver, elle explore les enjeux associés à l’accès à l’information dans les processus de sauvegarde et de mise en valeur du patrimoine bâti.
Ces derniers mois, Action patrimoine a recensé plusieurs dossiers patrimoniaux où l’accès à l’information posait problème. Une situation typique se répète : des groupes de citoyens inquiets du sort d’un bâtiment veulent établir sa valeur et en assurer la sauvegarde grâce à un argumentaire crédible, basé sur des faits. Ils désirent vérifier l’ampleur réelle des coûts de rénovation, alors que certains les exagèrent ou les décontextualisent pour justifier une démolition.
Le réflexe de ces groupes de citoyens est de chercher les études patrimoniales ou techniques associées à ces bâtiments. Voilà pourquoi l’accès à ces documents s’avère essentiel à la sauvegarde et à la mise en valeur du patrimoine bâti.
Le Web comme outil de première main
Internet est sans aucun doute la première porte d’accès à l’information. Parmi les plateformes existantes, le Répertoire du patrimoine culturel du Québec s’avère incontournable. Il regroupe des données tirées de nombreux inventaires du patrimoine bâti. De plus, certains sites Web de municipalités ou de municipalités régionales de comté (MRC) permettent d’accéder simplement à des documents de qualité. Par exemple, pour Montréal et Québec, une quantité importante d’information est disponible en ligne : énoncés d’intérêt patrimonial, base de données sur le patrimoine proposant la recherche par adresse ou par arrondissement, et plus encore. Mais règle générale, seules les grandes villes ou les instances gouvernementales offrent de telles plateformes.
Bien souvent, les citoyens ignorent si une étude a déjà été réalisée sur le bâtiment qui les intéresse et partent eux-mêmes en quête d’information. Les mieux outillés connaissent les ressources existantes, comme la société d’histoire locale ou le centre d’archives régional. Ils disposent aussi de temps et des moyens nécessaires pour consulter les documents pertinents qui s’y trouvent. Ces contraintes font que, presque toujours, des professionnels finissent par faire ce genre de démarches.
Une autre option consiste à demander des documents aux instances susceptibles d’avoir de l’information, comme la municipalité ou le ministère de la Culture et des Communications. Or, ces instances se réfèrent souvent à la Loi sur l’accès à l’information pour exiger qu’une demande formelle soit déposée au service du greffe.
La Loi sur l’accès à l’information
Malgré son titre et l’intention qui a mené à son adoption, la Loi sur l’accès à l’information peut représenter un obstacle à l’obtention de renseignements par le public. Si elle doit en principe assurer et encadrer la diffusion et l’accessibilité des documents, les procédures et les délais qu’elle impose peuvent dissuader les demandeurs. De plus, une demande est susceptible d’être rejetée en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, qui confère un pouvoir discrétionnaire aux municipalités.
Ainsi, selon les articles 37, 38 et 39 de cette loi, un organisme public peut refuser de communiquer une analyse, un avis ou une recommandation lorsqu’ils ont été faits depuis moins de 10 ans, quand aucune décision n’a encore été rendue publique ou lorsqu’un processus décisionnel est en cours.
Un tel refus pourrait par exemple viser une demande de consultation de documents relatifs à un bâtiment ou à un site patrimonial en instance de classement. En l’absence de décision, une période de cinq ans est prévue avant la diffusion de l’analyse.
Quelques exemples parmi d’autres
La maison Tourigny de Magog, dont la récente démolition a été contestée par un groupe de citoyens, est un cas où l’accès aux documents aurait pu jouer un rôle important dans le débat public. La Ville a acquis en 2003 un îlot comprenant deux bâtiments, dont la maison Tourigny, datant de la fin du XIXe siècle. Le projet que la Ville comptait y concrétiser le sera finalement ailleurs. Le collectif Sauvons l’îlot Tourigny s’est formé quand un entrepreneur a acheté le terrain pour y construire des bureaux.
En 2009, la Ville a confié à une firme spécialisée la réalisation d’une étude sur les coûts de restauration de la maison. Selon le Mémoire pour une politique qui protège mieux la mémoire patrimoniale : le cas de la maison Tourigny de Magog du collectif, l’étude aurait été menée à condition que les résultats demeurent confidentiels, une clause fréquente dans ce type de contrat professionnel. Ainsi, la Ville aurait refusé de la rendre publique malgré les demandes d’accès à l’information. Le collectif a finalement eu accès à un document technique dont les seules informations jugées utiles par les demandeurs avaient été caviardées : « Sans cette information, il devenait impossible de discuter avec la Ville de l’intérêt patrimonial de la maison et de son vaste terrain. »
La non-divulgation des coûts de restauration de la maison, qui justifiaient en partie sa vente, a eu des répercussions directes sur l’avenir de ce bâtiment aujourd’hui démoli. La diffusion de cette étude aurait pu permettre aux citoyens d’évaluer la situation à partir d’une étude détaillée plutôt que de ouï-dire.
Ce cas n’est pas unique. La Ville de Sainte-Thérèse était en possession d’études concernant des bâtiments (aujourd’hui démolis) situés sur un îlot visé par un projet commercial et résidentiel. Sans donner accès auxdites études, elle affirmait que les coûts de remise en état des deux bâtiments ancestraux étaient trop élevés. Des citoyens ont dénoncé cette situation, comme en témoigne un article du Nord Info du 7 avril 2016 : « M. Leclerc s’insurge en outre contre le fait que les résultats de l’étude d’évaluation patrimoniale commandée à la firme spécialisée Patri-Arch n’aient jamais été rendus publics. “Pourquoi la Ville refuse-t-elle de faire cet exercice de transparence ? Quelles sont les conclusions de l’étude ? Quel en a été le coût ?”, se questionne ce citoyen concerné. »
Dans ces deux cas, les villes avaient le droit, en vertu de l’article 37, de refuser de publier l’étude patrimoniale. Leur décision semble toutefois opposée à l’esprit de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, qui est de rendre les processus administratifs municipaux et gouvernementaux plus transparents. Dans un article relatif au droit d’accès à l’information environnementale publié dans Liberté (vol. 53, n° 4) en 2012, Jean Baril soulève que de nombreuses exceptions peuvent avoir des incidences sur ce principe : « En 1982, le Québec adopte sa Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels, qui reconnaît comme principe général le droit à l’information des citoyens. Mais les nombreuses exceptions au principe de divulgation prévues par la Loi sur l’accès, particulièrement celles portant sur les renseignements pouvant avoir des incidences sur l’économie et celles sur les décisions administratives ou politiques, s’avèrent très négatives pour l’exercice du droit d’accès des citoyens à l’information environnementale. »
Il y a un parallèle à faire entre les enjeux environnementaux soulevés dans l’article et ceux associés à l’aménagement du territoire. Dans les deux situations, il apparaît que l’entité publique peut se trouver en conflit d’intérêts quant à la divulgation d’information : il est possible que le dévoilement d’une étude patrimoniale compromette un projet de développement générateur de revenus fonciers intéressants pour la municipalité.
Les autres entraves possibles
Dans cette quête d’information des citoyens, d’autres obstacles peuvent surgir. D’abord, ne pas connaître au préalable l’existence d’un document représente un obstacle indéniable relativement au droit d’accès à l’information. En effet, une demande doit être assez précise pour permettre de repérer le document. Si demander des études associées par thème reste possible, l’obtention de l’information voulue dépendra de la formulation de la demande, qui n’est pas nécessairement adéquate. De plus, le caractère confidentiel de certains documents dignes d’intérêt complique considérablement l’accès à l’information.
Ensuite, il y a les délais associés aux demandes d’accès à l’information. En principe, pour répondre à une demande d’accès aux documents des organismes publics, le responsable dispose d’au plus 20 jours civils. Ce délai peut être prolongé de 10 jours. Par ailleurs, si la demande vise un renseignement industriel, financier, commercial, scientifique, technique ou syndical fourni par un tiers, le responsable de l’accès peut devoir demander à ce tiers s’il consent ou non à le communiquer, ce qui implique un délai supplémentaire.
Dans les cas qui nous préoccupent, les demandes se font majoritairement lorsqu’un site ou un bâtiment est menacé et qu’il y a urgence d’agir. La question des délais devient d’autant plus cruciale. Inutile de préciser que les procédures de demande d’accès ne sont pas liées à celles, par exemple, associées à la démolition d’un bâtiment. De plus, une ville qui suggère aux citoyens de faire une demande d’accès à l’information dans un contexte d’urgence peut ainsi poser un geste volontaire. Serait-il possible d’envisager la révision des processus pour prévenir des abus ? Et de mettre en place des procédures accélérées de traitement des demandes lorsque la situation est urgente ?
L’importance de la diffusion en amont
Les exemples de Magog et de Sainte-Thérèse confirment qu’il est préférable de ne pas passer par la Loi sur l’accès à l’information. Bien que les municipalités et les instances gouvernementales puissent se prévaloir de cette loi, elles devraient plutôt transmettre l’information en amont. Cela favoriserait leur interaction avec les citoyens, nourrirait leurs réflexions sur leur patrimoine et assurerait qu’un accès à l’information soit possible en temps utile.
Nous constatons encore des freins importants à une diffusion grand public des études patrimoniales. Le plus connu relève de la question des droits d’auteur. La présence de photos dans les documents convoités par les citoyens empêche la diffusion publique d’études pourtant réalisées grâce à des fonds publics. Selon la Ville de Montréal, touchée par cet enjeu, l’une des solutions passerait par la signature d’ententes avec de grandes institutions régulièrement sollicitées pour leurs archives photographiques, comme Bibliothèque et Archives nationales du Québec. La volonté administrative réelle de régler cette question semble toutefois absente.
Nous considérons qu’il importe d’annoncer adéquatement une séance d’information, une consultation publique, un vote ou un référendum à propos d’un bâtiment ou d’un site visé. Il va sans dire qu’il faut également choisir le bon moment pour tenir la séance en question, et offrir une information vulgarisée pour le grand public. La révélation d’études est essentielle à un débat public sain. Il faut à tout prix briser la croyance selon laquelle une approche transparente ne fait que complexifier et retarder la prise de décision; au contraire, elle permet avant tout qu’une collectivité prenne les décisions les plus éclairées quant à l’aménagement de son territoire. C’est pourquoi des documents comme des études patrimoniales et des évaluations de coûts associés à la restauration et à la mise en valeur de lieux historiques devraient être facilement accessibles. En ce sens, la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels ne devrait-elle pas être mise à jour par le législateur afin de garantir aux citoyens un accès juste à toute information pertinente touchant le patrimoine et l’urbanisme ?
Les avis du Conseil du patrimoine culturel du QUÉBEC
Un autre constat associé à la diffusion d’information concernant le patrimoine touche les recommandations du Conseil du patrimoine culturel du Québec (CPCQ). On sait que cet organisme a pour objectif de conseiller le ministre de la Culture et des Communications en matière de sauvegarde et de mise en valeur du patrimoine culturel québécois. Jusqu’à récemment, la Loi sur les biens culturels de 1972 assurait que tout avis menant à une décision du ministre de classer un bien devait être déposé à l’Assemblée nationale (art. 29). Or, depuis l’adoption de la Loi sur le patrimoine culturel de 2012, plus rien n’oblige le gouvernement à déposer les avis du CPCQ qui, lui, les considère désormais comme confidentiels.
Aujourd’hui, il faut, pour consulter ces documents, transmettre une demande d’accès à l’information à la personne responsable au CPCQ. Quand ces demandes viennent de certains organismes publics (dont le ministre ou le ministère de la Culture et des Communications et Bibliothèque et Archives nationales du Québec), ces derniers demeurent propriétaires des avis ou autres documents produits par le CPCQ à leur intention. Cela a pour conséquence de faire relever les droits de diffusion et l’utilisation de cette information de la compétence de ces organismes, à qui il faut adresser directement toute demande d’accès aux documents.
ACTION PATRIMOINE
Action patrimoine est un OBNL qui agit à l'échelle nationale pour protéger et mettre en valeur le patrimoine québécois. Depuis 1975, l'organisme poursuit sans relâche une mission de sensibilisation, de diffusion de la connaissance et de prise de position publique pour la sauvegarde du patrimoine bâti et des paysages culturels du Québec. Le contenu de la chronique Point de mire relève du comité Avis et prises de position, composé d'au moins cinq professionnels qui se réunissent chaque mois.