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Un accordéon pas comme les autres

Une façon de le fabriquer et d’en jouer intimement associée à la musique traditionnelle québécoise : voilà pourquoi l’accordéon diatonique s’inscrit au cœur du patrimoine immatériel du Québec. Démonstration. 

Oubliez l’image d’un accordéon de bal musette, à plusieurs rangées de boutons ronds ! Ou même celle d’un accordéon avec un petit clavier de piano. Au Québec, c’est l’accordéon diatonique à une seule rangée de 10 boutons qui anime les soirées d’autrefois, tout comme les veillées « trad » d’aujourd’hui. Robuste et capable de dominer le brouhaha d’une fête, il est d’abord importé d’Europe, puis fabriqué ici depuis un siècle.

Le Québec et la Louisiane figurent d’ailleurs parmi les rares endroits au monde où l’on utilise et produit encore ce petit instrument, dont chaque bouton émet un son différent selon que l’air est soufflé ou tiré. En 2021, le jeu et la fabrication artisanale de l’accordéon diatonique ont été désignés éléments du patrimoine immatériel par le ministère de la Culture et des Communications du Québec.

Un instrument accessible et populaire

C’est en 1843, chez les Ursulines de Québec, que les premiers accordéons font leur apparition dans la province, quelques années après leur invention par l’Autrichien Cyrill Demian en 1829. Importés d’Europe et considérés comme des objets précieux, ils sont alors destinés aux jeunes filles de bonne famille qui apprennent à en jouer durant leurs études. Mais à partir de 1890, les accordéons diatoniques produits industriellement en Allemagne envahissent le marché québécois. L’instrument devient vite très populaire. Il est moins cher qu’un piano, beaucoup plus résistant qu’un violon et on peut se le procurer facilement, puisque plusieurs marchands le proposent pour un prix modique dans leurs catalogues de vente par correspondance. Il met de la vie dans les foyers à une époque où l’électricité n’est pas encore présente dans les maisons. Associé au plaisir et à la danse, il se démarque aussi par sa puissance sonore très appréciée lors des veillées et des grands événements familiaux et sociaux.

Depuis ce temps, il y a toujours eu des accordéonistes, hommes et femmes, au Québec. Issus de familles où la musique est très présente, la plupart n’ont jamais suivi de cours et ne savent pas lire la musique. Ils apprennent à jouer de cet instrument en observant et en imitant des personnes de leur entourage. Ce n’est qu’après avoir pratiqué assidûment qu’ils parviennent à reproduire les airs entendus lors de fêtes. Ils développent une grande habileté à mémoriser les pièces traditionnelles québécoises, un répertoire nourri de plusieurs influences (française, irlandaise, écossaise, anglaise et américaine) qui forgent son caractère unique.

Il faut beaucoup d’ingéniosité, de patience et de temps pour maîtriser cet instrument. Car, contrairement aux accordéons chromatiques à clavier de piano ou à plusieurs rangées de boutons, qui permettent d’aborder un vaste répertoire musical, l’accordéon diatonique a des capacités harmoniques, mélodiques et techniques beaucoup plus limitées.

Au fil du temps, quelques virtuoses de l’accordéon diatonique font leur marque au Québec.

Des talents marquants

Parmi tous ceux qui ont donné vie à l’accordéon diatonique, quelques-uns retiennent l’attention.


  • Enregistrés sur disque :

    Adélard et Mézillia Lebrun, Alfred Montmarquette, Donat Lafleur

  • Diffusés à la radio :

    Théodore Duguay, Tommy Duchesne, Gérard Lajoie

  • Diffusés à la télé :

    Adélard Thomassin, René Alain,
    Denis Côté

  • Passionnés ayant donné un nouvel élan à l’instrument dans les années 1970 :

    Philippe Bruneau, Yves Verret, Marcel Messervier

  • Contemporains de réputation internationale :

    Raynald Ouellet (Montmagny), Yves Lambert (Sainte-Mélanie), Denis Pépin (Lévis)

  • Facteurs d’accordéons :

    Marcel Messervier et Marcel Messervier Jr (Accordéons Messervier, Montmagny),
    Sylvain et Vicky Vézina (Accordéon Mélodie, Montmagny), Marcel Desgagnés (Accordéons Sagné, Larouche), André Bouchard (Accordéons Bouchard, Québec)

Les premiers enregistrements sur disque, en 1926, permettent à certains d’entre eux de se faire connaître. À partir des années 1930, c’est avec la radio que des accordéonistes talentueux deviennent célèbres. La télévision prend le relais au cours des années 1960, favorisant l’émergence de musiciens passés maîtres dans l’art de créer une ornementation ou une rythmique particulière. Emporté par le vent de modernisme qui souffle sur le Québec dans les années 1970, l’accordéon diatonique sombre presque dans l’oubli ; fort heureusement, quelques passionnés lui donnent un nouvel élan et transmettent leur amour de cet instrument à la génération montante. Grâce à eux,
on trouve aujourd’hui, aux quatre coins du territoire québécois, des accordéonistes qui atteignent une grande maîtrise de leur art.

 

La fabrication artisanale

Au cours du XXsiècle, l’engouement pour l’accordéon diatonique entraîne la création d’ateliers de fabrication dans diverses régions du Québec. Il s’agit habituellement de modestes locaux où travaillent seulement un ou deux artisans. La plupart produisent eux-mêmes les composants de l’instrument, mis à part les anches, ces petites pièces métalliques qu’on trouve à l’intérieur des accordéons, et le carton utilisé pour les soufflets, importés d’Italie.

Chaque instrument est constitué de plusieurs pièces minuscules qui doivent être ajustées avec beaucoup de soins, nécessitant plusieurs heures de labeur. La plupart des facteurs d’accordéons québécois ont appris leur métier par leurs propres moyens. C’est en démantelant un vieil instrument qu’ils se sont familiarisés avec ses divers composants et avec son fonctionnement. Ils ont dû apprivoiser le travail de matériaux comme le bois, le carton, la toile, le métal et le cuir. Ce n’est qu’après beaucoup d’essais et erreurs qu’ils parviennent à produire des accordéons de plus en plus raffinés, dotés d’une richesse sonore exclusive.

Les instruments fabriqués au Québec sont très performants et très différents de ce qu’on trouve ailleurs dans le monde. Conçus pour interpréter le répertoire québécois qui exige habituellement que les notes soient jouées rapidement en suivant un rythme dansant et enlevant, ils sont puissants, légers et robustes. Ils ont contribué à renforcer la pratique musicale québécoise et à lui donner son caractère distinctif.

Montmagny, plaque tournante

Au cours des dernières années, plusieurs initiatives ont vu le jour, notamment dans la région de Montmagny, afin de mettre en valeur et de favoriser la transmission des savoirs et des savoir-faire liés à cet instrument : cours d’initiation à l’accordéon diatonique ; ateliers permettant aux enfants de construire, de décorer et de manipuler un petit accordéon ; développement d’une méthode d’enseignement offerte gratuitement en ligne ; camps de musique traditionnelle.

Quelques passionnés donnent un nouvel élan à l’accordéon diatonique et transmettent leur amour de cet instrument à la génération montante.

Il faut dire que l’accordéon diatonique a de solides ancrages dans cette région où l’on trouve depuis longtemps non seulement de nombreux accordéonistes, mais également quelques facteurs d’accordéons. Cette région se démarque aussi par la tenue d’un festival annuel où des accordéonistes venus d’un peu partout à travers le monde se rencontrent et par la présence du seul musée consacré à l’accordéon au Canada.

La pratique de l’accordéon diatonique n’est certes pas exclusive au Québec, mais la façon d’en jouer ici est unique au monde. La réputation internationale de certains accordéonistes québécois d’aujourd’hui témoigne d’ailleurs de l’excellence de ces interprètes. Quant aux accordéons diatoniques de fabrication québécoise, ils ont acquis une grande renommée sous l’impulsion créatrice d’artisans qui poursuivent recherches et expériences. L’instrument continue de s’accorder au présent et au futur ! ◆

Suzanne Marchand est ethnologue et Raynald Ouellet est accordéoniste et maître de traditions vivantes. Cette chronique est le fruit d’une collaboration avec la Société québécoise d’ethnologie.

Cet article est disponible dans :

Patrimoine sonore. Tendre l'oreille

Automne 2023 • Numéro 178

Patrimoine de pointe

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