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Un avenir meilleur pour nos maisons ancestrales ?

La chronique Point de mire reflète la position d’Action patrimoine dans certains dossiers chauds. Ce printemps, l’organisme pose un regard critique sur la façon dont on traite les résidences anciennes, telle la maison Rodolphe-Audette, à Lévis.

 

 

Action patrimoine a été interpelé à de nombreuses reprises au cours des derniers mois au sujet de résidences centenaires en péril. Pensons à la maison Boileau à Chambly, la maison Déry à Charlesbourg, la maison Adélard-Lesage à Sainte-Thérèse, la maison Chénier-Sauvé à Saint-Eustache, la maison située au 831, chemin de Montréal Ouest à Gatineau… Ou encore aux cas plus anciens des demeures René-Lévesque, Pollack et Bignell, situées à New Carlisle et à Québec.

En début d’année, c’est la maison Rodolphe-Audette, à Lévis, qui faisait les manchettes. Ce dossier complexe combine une multitude d’enjeux récurrents en patrimoine bâti. Inhabitée depuis 1998, cette demeure a été construite au début du XXe siècle à titre de résidence d’été pour Rodolphe Audette, cinquième président de la Banque Nationale. Après avoir été sauvée in extremis par une résolution du conseil municipal de Lévis, en 2014, elle a fait l’objet d’une seconde demande de permis de démolition, déposée en décembre dernier par un promoteur immobilier. Son état de délabrement avancé fait en sorte qu’il est de plus en plus difficile d’envisager sa sauvegarde, le coût et la complexité des travaux augmentant avec le temps.

Quelles sont les raisons qui ont mené la maison Rodolphe-Audette, dont l’intérêt patrimonial est reconnu et apprécié, à cet état prolongé d’abandon ? Et surtout, comment éviter qu’une telle situation se répète ?

 

La spéculation au détriment du patrimoine

La maison Rodolphe-Audette est abandonnée depuis bientôt 20 ans. Quel propriétaire laisserait dépérir sa propriété si longtemps ? Une partie de la réponse réside dans la spéculation immobilière. Nombre d’édifices patrimoniaux se trouvent sur des sites convoités. C’est le cas de notre exemple, situé dans le secteur de la Traverse du Vieux-Lévis. L’endroit possède des caractéristiques très attrayantes, à commencer par la vue imprenable qu’il offre sur le Saint-Laurent et la capitale nationale.

Les taxes foncières, les règlements et le zonage exercent une pression financière sur le marché immobilier et les acheteurs qui, de plus en plus, veulent rentabiliser leur investissement. Pour le nouvel acquéreur d’une maison sur un emplacement de choix, il sera beaucoup plus facile d’amortir cette dépense en remplaçant la résidence unifamiliale par un immeuble à logements. Il faut d’abord que le zonage le permette, ce qui est le cas dans le secteur de la maison Rodolphe-Audette, où la construction d’immeubles résidentiels est autorisée. Cette situation nous mène à penser qu’il faudrait trouver une façon de sortir les sites et les ensembles patrimoniaux du marché spéculatif pour ainsi rendre moins de propriétés sujettes à des demandes de démolition.

Puisqu’il est généralement difficile d’obtenir un permis de démolition pour un édifice à statut patrimonial, certains propriétaires laissent le temps faire son œuvre pour arriver à leurs fins. Après plusieurs hivers sans chauffage et sans entretien, le bâtiment atteint un état de vétusté qui rend sa destruction plus facile à justifier. La décision finale incombe au comité de démolition de la municipalité.

 

Intervenir en amont

La maison Rodolphe-Audette figure dans l’inventaire du patrimoine bâti de la Ville de Lévis. Ses propriétaires successifs pouvaient demander de l’aide financière pour la restaurer, mais ils ne l’auraient jamais fait. Plus le temps passe, plus il y a de travaux à réaliser, et plus les subventions disponibles semblent négligeables en comparaison des montants à investir. Mais dans ce cas, il n’y a même plus de soutien possible ; la Ville a récemment mis fin à son programme d’aide à la restauration puisqu’elle ne recevait plus les fonds nécessaires des partenaires gouvernementaux.

D’autres municipalités au Québec offrent des programmes indépendants des ententes ministérielles afin d’encourager les citoyens à entretenir adéquatement leur propriété. Actuellement, Victoriaville octroie à chaque année 150 000 $ pour encourager entre 15 et 20 projets de restauration, allouant jusqu’à 40 000 $ par propriété. La Ville considère que son paysage urbain s’en trouve grandement amélioré. Tout récemment, Laval annonçait l’introduction d’un programme similaire sur son territoire. Elle prévoit y consacrer 300 000 $ annuellement, avec un maximum de 12 500 $ par propriété.

 

Vers de nouvelles mesures

Près de 35 ans après la mise en œuvre de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU), cette législation est révisée dans le cadre du projet 122 visant la reconnaissance des municipalités comme gouvernements de proximité. Du même élan, le ministère des Affaires municipales étudie des projets de loi visant à octroyer à Montréal le statut de métropole, et à Québec celui de capitale nationale. Cette initiative vise notamment à donner aux villes plus de latitude dans l’aménagement du territoire.

On prévoit notamment de modifier les mesures dissuasives que les municipalités peuvent imposer aux propriétaires négligents. À ce jour, la LAU permet aux autorités municipales d’exécuter elles-mêmes les travaux requis par un bâtiment si le maître des lieux refuse d’obtempérer – et ce, aux frais de celui-ci. Toutefois, aucune amende n’est prévue pour les récidivistes. Le projet de loi 122 propose l’inscription d’un avis de détérioration au registre foncier lorsqu’un propriétaire ne se conforme pas aux requêtes de sa municipalité. Soixante jours après la publication de cet avis, si les travaux n’ont pas été effectués, la municipalité pourra dorénavant acquérir, de gré à gré ou par expropriation, l’immeuble en question.

Le projet de loi 122 ne prévoit pas l’imposition d’amendes dans ce type de scénario. Toutefois, celui portant sur le statut de capitale nationale en propose. Ainsi, la Ville de Québec pourrait prescrire une amende entre 2000 $ et 10 000 $ pour un premier délit, et de 4 000 $ à 20 000 $ pour une récidive, « dans le cas de règlements concernant la détérioration de bâtiments due au défaut d’entretien, à un usage abusif ou à des manœuvres de dégradation ou de modification de bâtiments résidentiels ». Dans son mémoire présenté pour l’occasion, Action patrimoine a souligné que ces montants semblaient peu élevés, bien qu’ils s’ajoutent au coût des travaux jugés nécessaires pour restaurer l’immeuble détérioré, qui sont à la charge du propriétaire.

 

Démolition : pour une prise de décision éclairée

Action patrimoine a rappelé à de multiples reprises l’importance d’inclure des professionnels de l’aménagement dans la gestion des dossiers touchant le patrimoine. La LAU précise que le comité de démolition doit inclure trois membres du conseil municipal (c’est notamment le cas à Lévis). Dans certaines villes, ces responsabilités incombent plutôt au comité consultatif d’urbanisme, qui doit être composé d’un membre du conseil municipal et de résidents locaux. Il n’y a donc aucune garantie qu’un professionnel de l’aménagement siège au comité de démolition. Cette personne serait pourtant bien placée pour présenter le projet, vulgariser les enjeux et le cadre réglementaire, et présenter un avis, favorable ou non, aux élus ou aux membres du comité consultatif d’urbanisme.

Action patrimoine considère que l’octroi d’un permis de démolition devrait être intrinsèquement lié au projet de remplacement proposé. Seul un projet dont la qualité architecturale est égale ou supérieure au bâtiment patrimonial devrait être considéré. Or, nous constatons que les dossiers sont encore fréquemment analysés de façon séparée : nombre de démolitions sont autorisées sans même qu’on connaisse la nature de la construction qui sera érigée sur le terrain. Même dans les secteurs soumis à des normes de planification et de réglementation, les projets répondant aux critères ne sont pas forcément optimaux. À cet effet, nous trouvons inquiétante la modification d’un article de la LAU, prévue dans le projet de loi 122, qui permettrait que le programme préliminaire de réutilisation du sol dégagé soit rendu après que le comité a accepté la demande d’autorisation de démolition plutôt qu’avant. Nous considérons que cette information est essentielle pour que le comité de démolition puisse prendre une décision éclairée sur la destruction de l’édifice visé. Elle devrait donc être obligatoire. Comme quoi il y a encore du travail de sensibilisation à faire…

 

Le rôle du PIIA pour les projets de remplacement

Dans le dossier de la maison Rodolphe-Audette, un projet de remplacement a déjà été préapprouvé puisqu’il répondait techniquement aux critères du Règlement sur les plans d’implantation et d’intégration architecturale (PIIA). Ce dernier exige pour les nouvelles constructions « l’intégration et l’harmonisation du bâtiment au cadre bâti environnant quant à son implantation, son orientation, sa hauteur, son volume et ses matériaux en considérant les percées visuelles et les points de vue sur le paysage ». On peut se demander en quoi le projet d’immeuble de six logements et quatre étages proposé pour remplacer la maison Rodolphe-Audette répond à cette exigence.

Nous constatons d’ailleurs que nombre de critères énoncés dans un PIIA donnent matière à interprétation. Rappelons que ces plans ont été introduits pour aider les municipalités à encadrer la construction et les interventions architecturales dans un secteur particulier. Ils peuvent permettre d’être plus exigeant en ce qui concerne les perspectives visuelles, pour voir l’impact du projet sur les bâtiments voisins.

Pourtant, Action patrimoine constate que l’analyse des impacts des perspectives figure encore rarement dans ce type de dossier. De plus, nombre de PIIA préconisent encore des approches d’intervention qui ne sont plus à jour. En effet, plusieurs favorisent la création de pastiches dans les secteurs historiques même si, de nos jours, les spécialistes prônent en général la distinction du geste architectural plutôt que l’imitation.

 

Futur optimiste

En constatant l’attitude proactive de certaines villes et les projets de loi en cours, il est possible de croire à une meilleure protection des maisons ancestrales qui caractérisent chaque localité du Québec.

Bonne nouvelle : la municipalité de Lévis vient de déposer un règlement qui rendra obligatoire le dépôt d’un projet de remplacement avant l’analyse de toute demande de démolition d’un bâtiment patrimonial. Selon le maire, les critères pour les projets de remplacement seront resserrés : ils seront désormais analysés en fonction de leur harmonisation avec le cadre bâti environnant, leur apparence architecturale et leur effet sur la qualité de vie du voisinage.

Ceci dit, même si de nouveaux outils seront disponibles pour les municipalités afin d’assurer la sauvegarde de leur patrimoine bâti, comment favoriser leur utilisation ? Il faut d’abord et avant tout une volonté politique, du personnel pour effectuer des routines de surveillance et détecter les cas problématiques, sans oublier les fonds pour rémunérer les professionnels et les fonctionnaires qui auront à travailler sur ces dossiers. Lorsque tous ces éléments seront réunis, il ne fait pas de doute que des cas comme celui de la maison Rodolphe-Audette se feront plus rares.

Le symbole de la maison Pollack

La maison Pollack, située sur la Grande Allée à Québec, est devenue un symbole du phénomène d’abandon des demeures ancestrales. Après avoir mené de vaines démarches pour inciter le propriétaire à restaurer l’immeuble, la Ville a décidé de s’octroyer de nouveaux pouvoirs. Elle compte donc rouvrir son Plan particulier d’urbanisme pour donner un statut de protection à certains bâtiments. Advenant une violation des conditions de protection du patrimoine, la Ville serait en droit d’exproprier le propriétaire, sans contestation possible. Par la suite, elle pourrait donner une vocation publique au bâtiment, ou encore le revendre à de nouveaux acheteurs prêts à respecter les conditions énoncées dans le Plan.

Cet article est disponible dans :

Églises modernes. Oeuvres de pionniers

Printemps 2017 • Numéro 152

Lumière sacrée

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