Un engouement exemplaire
Michel Boudreau, architecte
L’architecte Michel Boudreau a été témoin de ce que des citoyens peuvent faire lorsqu’ils décident de s’unir pour restaurer un bâtiment patrimonial identitaire. Retour sur un effort communautaire admirable.
Au Québec, la restauration d’un bâtiment passe habituellement par un ensemble d’étapes tout aussi importantes les unes que les autres. Mais parfois, les acteurs en place méconnaissent les mécanismes qui régissent une telle entreprise au sein de l’industrie de la construction. Combien de fois ai-je été sollicité pour venir en aide à des organismes de défense du patrimoine qui caressaient un projet, parfois depuis plusieurs années, sans être informés des conditions préalables à sa concrétisation ? Plusieurs ignorent qu’il faut se plier à des conditions particulières, notamment à la réglementation applicable sur un chantier de construction, obtenir un permis de la municipalité et des autorisations du ministère de la Culture et des Communications, mais aussi, assurer la sécurité des bénévoles lors des travaux. Dans la plupart des cas, on doit également recourir à des professionnels pour l’élaboration de plans et devis, des documents qui permettent de remplir toutes les formalités requises, particulièrement lorsqu’un édifice est assujetti à la Loi sur le patrimoine. Mais toutes ces contraintes mènent parfois à l’abandon du projet… Très souvent, les organismes n’ont pas les moyens de s’engager dans une telle démarche, alors que les sommes amassées visent tout au plus à assurer la pérennité du bâtiment.
Plonger dans l’aventure
En juin dernier, des bénévoles de la municipalité de Carleton-sur-Mer, en Gaspésie, communiquent avec moi pour connaître les détails de mise en œuvre d’une couverture en bardeaux de cèdre. Ils souhaitent remplacer la couverture en bardeaux d’asphalte d’un bâtiment de pêcheur, la Cabane à Eudore, sous laquelle se cachent des bardeaux de cèdre. Or, je connais déjà très bien ce bâtiment et je sais pertinemment qu’il est inscrit au répertoire du ministère de la Culture et des Communications. Il y aurait donc des démarches à entreprendre. Mais il est déjà trop tard. Les bardeaux doivent être livrés dans quelques jours, l’ébéniste a commencé à travailler sur les nouvelles contre-fenêtres, et les planches murales destinées à remplacer le parement d’un des murs gouttereaux sont en fabrication. Devant l’engouement de cette poignée de bénévoles, je décide de donner le temps et l’énergie nécessaires pour mener à terme, un brin dans la clandestinité, ce projet de restauration et de sauvegarde.
C’est d’ailleurs ce qu’il y a d’intéressant dans cette initiative : l’engagement des membres d’une communauté dans la restauration d’un bâtiment patrimonial. Comment cela a-t-il débuté ? À la suite du déplacement de la cabane, lors des grandes marées de l’automne 2016, il y avait urgence d’agir. Des membres de l’Écomusée Tracadièche, gestionnaire du site, ont donc décidé de réaliser les travaux nécessaires avec des bénévoles, dont certains avaient l’expérience des chantiers de construction. Ils ont commencé sans se soucier des responsabilités qui incombent à quiconque gère un chantier de construction et, probablement, comme c’est bien souvent le cas, sans même y réfléchir.
Un chantier inspirant
À l’aube de la mise en chantier, j’oriente rapidement les travaux sur la couverture, précise les matériaux complémentaires à mettre en place, recommande les membranes et les treillis à utiliser ainsi que les méthodes de clouage à privilégier et indique de nombreux détails. J’envoie des bardeaux pour que les menuisiers puissent comprendre comment en biseauter l’extrémité. Le livre Toit. Bois. Bardeau, publié par le Centre de conservation du Québec en 2016, se révèle aussi très utile pour illustrer les détails de mise en œuvre. À un certain moment, tout va très vite. On partage des photos par Internet. Les appels et les échanges d’information se font de plus en plus fréquents. La photographe Marilyn Verge prend des clichés des travailleurs et c’est en recevant quelques-unes de ces images que je comprends mieux la dynamique sur le site. Une dizaine d’hommes, la plupart des retraités, se donnent rendez-vous le matin pour restaurer la cabane jusqu’à midi. L’après-midi, on fait relâche. Autant d’ouvriers sur un aussi petit bâtiment, c’est du jamais vu en 20 ans de carrière ! Certains s’affairent à biseauter les bardeaux, d’autres remplacent les planches des parements et un ébéniste apporte les dernières retouches aux nouvelles ouvertures. On remplace à l’identique ou on revient à un état antérieur selon la documentation iconographique ou les traces in situ. On ne se soucie pas de savoir si la démarche est acceptable, elle l’est, car on reproduit fidèlement les détails originels, ou alors, on les améliore, lorsqu’on constate des maladresses, avec un respect que jalouseraient bien des entrepreneurs. La matière est disponible, on s’amuse, on rit, on partage un bon moment. Le salaire est dans la satisfaction d’un travail bien réalisé entre retraités. Un contexte idéal pour un architecte. Le projet suscite beaucoup d’intérêt. Au-delà des volontaires, il y a les curieux, les touristes et la population en général. Voilà qui démontre qu’il est encore possible de compter sur des actions bénévoles pour sauvegarder notre patrimoine. Quel constat encourageant !
Cette initiative nous amène à nous questionner sur les mécanismes qui pourraient être mis en place pour favoriser des projets similaires. La réponse viendra peut-être dans les prochaines années, mais on comprend bien que la réalisation de cette restauration aurait été impossible si les acteurs avaient connu tous les tenants et aboutissants de la réglementation applicable. Cette démarche mérite notre attention. Elle pourrait certainement inspirer d’autres projets communautaires de même échelle. Nous venons peut-être, à notre façon, de poser un premier geste pour définir une formule qui pourrait permettre à un nombre important de communautés de sauver leur patrimoine bâti, de renforcer leurs liens et de transmettre des techniques traditionnelles ancestrales.
La volonté des acteurs en place, l’engouement certain et exemplaire des retraités et le soleil au rendez-vous jour après jour ont permis de canaliser tous les efforts pour assurer la pérennité d’une ancienne cabane de pêcheur pour les générations futures, mais également pour le paysage côtier de ce lieu de villégiature.
Conséquences possibles?
À quoi s’expose un organisme qui intervient sur un bâtiment classé avant de demander une autorisation au ministère de la Culture et des Communications? Il peut recevoir un avis d’infraction, qui restera toujours à son dossier. Cela dit, les chances de faire l’objet d’une réprimande diminuent lorsque les travaux sont réalisés dans les règles de l’art.