Une action immédiate pour les quais
Richard Lavoie, réalisateur du documentaire Quais-blues
Richard Lavoie, réalisateur du documentaire Quais-Blues, a participé au colloque annuel d’Action patrimoine, Le fleuve Saint-Laurent, voie des possibles, le 17 juin, au Site historique maritime de la Pointe-au-Père. Nous reproduisons ici sa communication, véritable plaidoyer pour la sauvegarde des quais.
Quai de Mont-Louis / Photo: Richard Lavoie
Je ne peux m’empêcher de revenir sur la tragique disparition de la plupart des quais de village du Saint-Laurent. Comme beaucoup d’entre vous, je retrouve dans les quais ma jeunesse. Ils me rappellent les voyages d’enfance en Gaspésie avec mon père, Herménégilde, où nous nous arrêtions presque à chaque village pour ramasser des langues de morue et jaser interminablement avec le monde. Moi, je ne parlais pas, j’écoutais. J’étais bien petit, mais je rêvais déjà de naviguer sur une de ces belles goélettes à voiles érodées par la mer. Je m’en approchais et n’en finissais plus de palper le vieux bois, cherchant à comprendre l’usage de chaque objet : poulies, cordages, filets, agrès… « Capitaine, je serai un jour, quand je serai grand », me disais-je. Et encore plus loin, les quais, c’était le petit monde baroque et bigarré des pêcheurs d’éperlans à Québec. Comment oublier tous ces gais lurons aux voix tonitruantes ? Leurs couvre-chefs farfelus où ils piquaient leurs hameçons ? Et les poches de jute toutes tachées de sang qui leur servaient de tabliers ? Ces quais et ce fleuve, ils ont indéniablement participé à faire de nous ce que nous sommes, un peuple rieur, communicatif, plein de rêves, et heureux, finalement.
Quais des villes, quais des régions
Quai de Saint-Antoine-de-Tilly: un monument en péril / Photo: Richard Lavoie
Mon film, Quais-Blues, a été pour moi, des décennies plus tard, un retour presque instinctif à la réalité des quais. Lorsqu’il faisait trop chaud dans Lanaudière, j’allais dans mon véhicule dormir sur le quai de Lavaltrie, où je me faisais bercer par la brise et les clapotis. Et l’amour des quais me revint comme une drogue, ce genre de drogue créant souvent chez moi la nécessité d’un film. Mais je ne savais pas encore toute l’importance et tout le poids social de ce grand sujet de film.
Deux années de recherche et de tournage plus tard, et après plusieurs présentations de mon long métrage, que me reste-t-il personnellement de ce large constat, presque d’échec parfois, que j’ai contribué à révéler ?
D’abord, la surprise de constater que les habitants des grandes villes n’établissent généralement pas de lien de causalité entre la disparition d’un quai en région éloignée et celle de tout un village, de son clocher, du restaurant, de l’hôtel et même de l’école et des soins de santé. Il est vrai qu’un quai en ville, au milieu des nombreuses autres infrastructures urbaines, arrivera toujours à survivre. J’ai compté un dimanche une cinquantaine de remorques de bateaux dans les alentours du quai de Lavaltrie. Jamais ces pêcheurs et amoureux du fleuve n’accepteraient que leur rampe de lancement de bateaux disparaisse. Et la population nombreuse des petites villes justifie d’elle-même tout investissement et toute amélioration des quais par les municipalités. On ne laisserait pas disparaître un quai accessible au public, en ville, sans réagir très fortement.
En Gaspésie et sur la Côte-Nord, Quais-Blues suscita d’autres réactions ; on venait de découvrir que le village voisin vivait, par rapport à son quai, le même drame, et qu’il fallait à tout prix unir les forces et dépasser l’esprit de clocher. J’allai sur une période de deux ans présenter mon long métrage ici et là et continuai d’assister à la lente agonie des quais : ceux de Mont-Louis, de L’Anse-au-Griffon, de Carleton-sur-Mer, de Saint-Antoine-de-Tilly, de Portneuf, de Godbout… Ce dernier, à moitié enroché et tellement discret à côté des immenses installations du traversier Matane-Godbout, m’avait enseigné tout un art de vivre. Je l’ai vu littéralement s’effondrer, se faire barricader et mourir.
Le quai de Godbout est désormais barricadé. / Photo: Richard Lavoie
Cet ancien quai forestier de Godbout exprimait quelque chose de magique. C’était un lieu de fête perpétuelle pour un large secteur de la Côte-Nord, de Baie-Comeau à Port-Cartier, environ 200 kilomètres de côtes. Les gens de partout y venaient pêcher le maquereau, faire de la musique, fraterniser. Des voiliers s’y abritaient même par mauvais temps. Le paysage autour : incroyablement beau, la mer à l’infini et un cirque de montagnes toutes rondes, au confluent de la rivière Godbout, avec ses dunes qui rappellent les îles de la Madeleine. Le confluent de la rivière et les dizaines de kilomètres de forêt derrière le village, c’est encore le royaume de la famille Molson, son club de pêche ancestral. Mer, rivière, dunes; un lieu parfait, typique de la Côte-Nord. Je m’y attardai plusieurs jours pour mon film, sentant qu’il se passait là quelque chose d’unique dont je devais témoigner.
Lors de mon dernier voyage à Godbout, le glas avait sonné et le petit quai venait tout juste d’être barricadé… J’ai cherché Normand, Jean et tous mes amis du quai et mis longtemps à les retrouver, éparpillés ici et là dans le village, tristes et désemparés devant la catastrophe, longtemps annoncée pourtant, de la disparition de leur lieu de loisir, de petite pêche et de rencontres quotidiennes. Ne servant plus au chargement de pitounes sur les bateaux depuis plusieurs années, cet ancien quai avait été cédé à la Municipalité pour 1 dollar, un cadeau empoisonné pour Godbout et ses 300 habitants, incapables, au fil des ans, de le réparer. Comme ses voisins de Franquelin et de Port-Cartier, il était voué à disparaître à plus ou moins longue échéance.
La Municipalité n’a eu d’autre choix que de le barricader, et ce fut un drame collectif d’une grande ampleur : l’épicerie ferma, ainsi que le garage, et même la station d’essence. Sans parler des services de santé, pratiquement inexistants, et de l’école secondaire fermée elle aussi, ce qui force les enfants de Godbout à se rendre quotidiennement à Baie-Comeau, 60 kilomètres plus au sud. Et que dire de toutes les conséquences psychologiques de ce drame collectif sournois, inéluctable, que vécurent également de très nombreuses populations riveraines de la Gaspésie et de la Côte-Nord, problèmes qui nous concernent tous ?
Impératif économique
Je ne donnerais pas de diplôme à nos élus provinciaux et fédéraux pour leur prévoyance en ce qui concerne l’avenir des régions riveraines éloignées. À part la création de marinas tout au long du fleuve, qui profite à un très petit nombre, je cherche encore les initiatives novatrices de l’État bénéfiques pour la majorité. Et j’aime mieux ne pas songer au dossier honteux des 2000 expropriés de Forillon, qui me rappelle tellement un certain aéroport. Pour les quais, donc, même incurie, peu de cas est fait de tout ce qui n’est pas « économique » au premier degré.
Depuis la sortie de mon film, à ma connaissance, les seuls quais ayant bénéficié d’un investissement du fédéral, ceux de Pointe-aux-Loups et de Saint-Georges-de-Malbaie, n’abritent que quelques bateaux de pêche, toujours comme s’il y avait seulement ce type d’activité économique à privilégier sur les quais.
Un peu partout, on voit pousser les honteuses clôtures et affiches qui empêchent les gens d’aller pêcher et déambuler sur ces biens patrimoniaux hérités de leurs pères. L’extraordinaire Cap-des-Rosiers avec ses falaises dorées par le soleil du soir, avec son phare unique et son quai admirablement bien situés, voilà un autre bien triste lieu où l’humain n’a plus sa place. Comme si les paysages, forêts et bêtes pouvaient suffire seuls aux besoins des humains.
Et la politique de dessaisissement des quais du fédéral, quelle manière cavalière, brutale et à courte vue de se départir de ses responsabilités ! On vous donne 1 million pour démolir le quai que vos pères ont construit, et si une municipalité – je pense à Sainte-Flavie et à Notre-Dame-des-Sept-Douleurs sur l’île Verte – résiste et tient à reconstruire son quai, qu’elle le fasse à ses risques et péril, dans le cas où, par exemple, une tempête viendrait détruire une partie du quai, situation tout à fait prévisible dans le contexte du réchauffement climatique actuel. Et en poussant ce raisonnement jusqu’à l’absurde, si tel était son mandat, le fédéral pourrait très bien vous donner de l’argent, avec la même insensibilité, pour démolir un phare ou n’importe quel autre bien patrimonial qui n’aurait pas de vocation « économique ».
Quand plus personne ne s’arrête dans un village de la Gaspésie ou de la Côte-Nord, c’est toute l’économie au sens très large, y compris la culture, la santé et l’aspiration au bonheur, qui en souffrent. Le dessaisissement de centaines de quais, quel aveuglement volontaire et quelle politique à courte vue ! Si on laissait faire les fonctionnaires, il ne resterait plus aucun quai dans les Grands Lacs et le Saint-Laurent d’ici une ou deux générations. Et, assez curieusement, comme si on avait peur que les gens s’amusent et se parlent, ce sont les lieux de rassemblement populaire qui disparaissent les uns après les autres ; après les perrons d’église, maintenant les quais.
Nous avons compris qu’il ne faut pas s’attendre à ce que l’État – j’exclus les municipalités – prenne de son proche chef des initiatives pour sauver et valoriser le patrimoine maritime du Saint-Laurent. C’est à nous, citoyens – chapeautés, je le souhaite, par l’organisme Action Patrimoine –, de nous mettre au travail, d’élaborer un plan d’action pour infléchir durablement les décisions gouvernementales. Car, il faut bien se rendre à l’évidence, ce sera encore longtemps l’argent de l’État qu’il faudra aller chercher pour restaurer et reconstruire nos quais. Et les 100 milliards votés pour les infrastructures par le gouvernement Trudeau m’apparaissent l’occasion rêvée à ne pas rater. Ces jeunes enthousiastes libéraux au pouvoir à Ottawa n’ont assurément pas encore pris conscience de toute l’importance de remettre immédiatement en état un certain nombre d’installations maritimes en danger de disparaître, pôles d’attraction et centres de vie essentiels à la Gaspésie et à la Côte-Nord. À nous, donc, la responsabilité ; je présenterais bien mon film pour cela, sensibiliser la classe politique et nos jeunes dirigeants à cette noble cause.
Un plan de match
Quai de Baie-des-Sables / Photo: Richard Lavoie
Permettez que je me risque à faire quelques propositions d’actions concrètes à mener immédiatement, moi, réalisateur de films, spécialiste en tout… et en rien !
Première étape
Dans le but d’établir une liste de priorités, créer un groupe de travail formé de gens passionnés et compétents qui, par leur travail ou leurs études, connaissent très bien les villages côtiers du fleuve, du golfe et des îles. Ils auront à inventorier les quais en danger de disparaître et qu’on doit restaurer immédiatement. Et je ne peux m’empêcher de penser aussi à quelques phares en péril, si nous décidons d’unir nos forces pour sauver toutes les dimensions du patrimoine maritime bâti. Il me vient toujours à l’esprit le quai centenaire de Sainte-Anne-des-Monts, largement valorisé dans mon film et qui est à l’extrême limite de sa vie utile. Il y a deux ans, de fortes vagues avaient presque démoli le bout du quai et, n’eût été la volonté opiniâtre de Sylvain, dit le pirate, cette partie du quai serait déjà barricadée. D’année en année, celui-ci répare la chaussée pratiquement tout seul, courageusement, à la petite pelle.
Donc, en résumé, dresser immédiatement la liste des quais les plus menacés, accompagnée d’une première ébauche, par des ingénieurs et architectes, des défis techniques et coûts inhérents à leur restauration ou reconstruction.
Deuxième étape
Organiser une vaste campagne de sensibilisation de l’opinion publique appuyée par tous les médias sociaux et nationaux pour rallier à cette cause les citoyens du Québec, du Canada et même d’ailleurs. Le contexte politique fédéral actuel représente, je le répète, un moment particulièrement favorable pour changer le cours des événements. Il faut donc collectivement frapper très fort sur le clou, car personne, à quelque niveau que ce soit de la société, ne peut être insensible à l’idée de redonner vie et santé aux infrastructures maritimes du Saint-Laurent. Et on sera tous très fiers, politiciens y compris, d’avoir participé à cette renaissance.
Troisième étape
Je suggère que l’on pousse encore plus loin la réflexion et que notre comité, aidé d’élus locaux, de jeunes entrepreneurs et d’experts indépendants, rédige un « livre bleu » sur le Saint-Laurent, une sorte de bible destinée à aider les décideurs à élaborer des politiques : ce que l’on veut faire du Saint-Laurent, les zones et quais et biens patrimoniaux à privilégier, valoriser ou reconstruire, etc.
Téméraire de notre part tout ça ? Pas du tout. L’esprit souffle où il veut. Nous ne devons surtout pas avoir peur de sortir des sentiers battus et de proposer des idées et concepts novateurs qui aideront tout le pays à mieux vivre le fleuve, son estuaire, son golfe et ses îles.
Songeons un instant aux sommes faramineuses, plus de 100 millions, que l’on investit actuellement à Québec pour reloger quelques centaines de soldats dans des manèges militaires tout neufs. Imaginons le même montant, 100 millions, pour restaurer des quais. Quand on songe aux 100 milliards que le fédéral veut injecter dans les infrastructures de tout le pays, 100 millions, c’est un bien petit montant pour le très grand territoire maritime du Saint-Laurent. Pourtant, avec cette somme, si on investissait un ou deux millions par quai, et sûrement plus pour des quais plus imposants comme ceux de Carleton et de Sainte-Anne-des-Monts, on serait en mesure de réparer, reconstruire et redonner vie à plus d’une trentaine de quais patrimoniaux. Imaginez, une trentaine de villages qui renaîtraient à leur fleuve, se remettraient au travail, recréeraient leurs petits commerces locaux et leur industrie touristique. Et pourquoi pas l’école aussi, et des soins de santé adéquats ? Les conséquences de l’investissement méthodique et raisonné de 100 millions pourraient se faire sentir jusqu’à ramener des jeunes en région et faire renaître de nombreux villages.
Je suis réaliste, il est clair qu’il faudra entretenir ces quais, les adapter à de nouveaux besoins, aux changements climatiques, etc. Et je sais aussi qu’il n’y a pas que les quais à reconstruire. Mais, compte tenu du rôle social, économique, maritime et même thérapeutique incontournable des quais de village, je les vois prioritaires, comme une amorce à tout développement ultérieur, une première étape à franchir pour se réapproprier le fleuve et redonner vie et confiance aux communautés à bout de souffle tout au long des côtes.
Faire renaître l’espoir et relever des défis, il me semble que les jeunes n’attendent que ça. Finies les paroles doucereuses et vides des décideurs. Finis aussi l’ère des belles promesses non tenues ainsi que l’art de toujours pelleter les problèmes en avant sans jamais les résoudre.
J’ai vu…
Quai de La Malbaie / Photo: Richard Lavoie
En passant, j’ai découvert bien des manières de concevoir, aujourd’hui, ces portes ouvertes sur la mer que sont les quais. On a eu beaucoup recours à l’enrochement pour sauver les quais en péril, solution inesthétique s’il en est, mais utile, si on réussit à en paver une partie pour la promenade.
Dans mes pérégrinations, j’ai même vu : à La Baie, une piste cyclable, avec plein de flèches pour indiquer l’allée et le retour de vélos ; à La Malbaie, à l’entrée du quai, un petit pont suspendu bien romantique, mais un peu kitch ; à Saint-Pierre-les-Becquets, plein de parasols et de tables de pique-nique ; à Sainte-Rose-du-Nord, un joli quai de bois avec de nombreuses boîtes à fleurs.
Je n’ai ni la compétence ni l’intention de juger quelque démarche que ce soit des gens pour reprendre contact avec la mer. Je fais le souhait simplement que la fonction de transport maritime ne soit pas oubliée. À Sainte-Anne-des-Monts, la profondeur de l’eau au bout du quai permet l’accostage d’un bateau qui livre le sel pour le déglaçage des routes l’hiver. Le Vacancier des Îles y a même accosté à quelques reprises. À Carleton, la réfection du quai de métal devra tenir compte aussi de la possibilité que de plus gros bateaux continuent de venir y accoster. C’est indéniable, le transport maritime par petits et moyens bateaux ne peut que revenir en force, un jour ou l’autre, sur notre grand fleuve.
Le quai de Sainte-Flavie a été partiellement reconstruit en bois / Photo: Richard Lavoie
J’ai même appris, en faisant un peu de recherche, que construire des quais en bois peut être une solution fort utile et économique : des cages de bois qu’on flotte et amène sur place et qu’on remplit de pierres. Les constructeurs de ponceaux sur les routes secondaires, un peu partout au Québec, maîtrisent bien ce type d’ouvrage, et le maire de Sainte-Flavie a même eu recours à un de ces entrepreneurs pour reconstruire son quai. Les cages de bois ont l’avantage, étant ajourées, de mieux résister aux assauts des vagues, sans compter que le bois ne pourrit pas dans l’eau. Et il semble, contrairement à ce que beaucoup croient, que ce type de quai est aussi durable, et l’est parfois même plus, qu’un quai de béton ou d’acier, beaucoup plus difficile à réparer. On trouve du bois partout, les gens des villages peuvent le bûcher eux-mêmes comme cela se faisait autrefois. Ce type de quai traditionnel a l’avantage d’être très beau et de pouvoir être réparé pièce par pièce par n’importe quel charpentier.
Le quai de l’île Bonaventure vient d’être reconstruit de cette manière, à coût relativement modeste, et j’ai témoigné dans mon film de la satisfaction de ceux qui sont à l’origine de ce choix. À Kamouraska, le bois, accompagnant ici et là le béton, règne également en maître, et on a su habilement réorganiser le havre tout en conservant les ruines du vieux quai, émouvant témoin d’une autre époque, même redevenu utile comme brise-lames quand la mer se fâche. Kamouraska, un bel exemple à suivre : bancs tout au long des rives, aménagements paysagers, toilettes impeccables, abri pour le mauvais temps… que du bonheur pour les inconditionnels du fleuve !
Dans mon grand périple pour le film, la mer, par très beau temps, je l’ai souvent vue vide à perte de vue, sans bateau, sans petite voile, sans chaloupe… inhabitée. L’absence de quai se ferait-elle déjà sentir à ce point ? Sommes-nous en train de délaisser notre culture de la mer, qui se vit au quotidien, qui se pratique, qui se dompte, qui se cultive, qui se transmet ? On a beaucoup parlé de bélugas, de baleines, avec justesse d’ailleurs. On a beaucoup vanté la beauté des falaises, des dunes et des grandes rivières à saumons de la Côte-Nord qui se jettent dans l’estuaire. On a aussi abondamment parlé de mines, de richesses naturelles, de forages menaçants et, surtout, de l’indéfinissable Plan Nord. Mais à travers tout cela, qu’en est-il de l’humain ? Où se terre-t-il dorénavant ? Qu’a-t-il à dire, ce citoyen éloigné de tout et terriblement fragilisé par le dépeuplement de son coin de pays ? Il se tait…
Passer à l’action
Avec quelques complices, j’ai créé un site Web (quais-blues.ca) et une pétition au premier ministre du Canada, et nous souhaitions qu’un fort mouvement de contestation suive la fermeture du quai de Godbout. Nous voulions remuer les sentiments de la famille Molson pour qu’elle s’implique dans la remise en état du quai. Nous étions même prêts à donner le nom d’un pionnier Molson au nouveau quai. Mais quelque temps après la fondation d’un comité pour la renaissance du quai de Godbout, et les milliers de signatures de notre pétition, on nous a fait comprendre que le maire ferait les démarches et prendrait les initiatives. Mais où en sont-ils maintenant, ces élus de Godbout, dans cette tâche difficile de faire bouger les murs d’indifférence ?
Je suggère en terminant, je reviens encore là-dessus, qu’une très forte équipe, de jeunes d’abord – puisque ce sont eux et leurs enfants qui vivront dorénavant le fleuve –, prenne très au sérieux ce combat ; qu’ils s’y impliquent nombreux et ils ne pourront que vaincre. Tout est question de connaissance et de détermination.
J’ai fait personnellement quantité de films auxquels personne ne croyait au départ. Je les portais souvent seul, à bout de bras, avec de maigres ressources, et ils finirent presque tous par se réaliser. Si nous croyons assez dans l’avenir des régions éloignées et à l’importance de nos acquis patrimoniaux, allons-y, fonçons, imposons nos volontés. Avec patience, travail, analyse et, je le répète, connaissance, et aidés des très puissants médias sociaux, nous finirons par convaincre la majorité, et ceux qui décident, qu’il est encore temps d’agir. Les sociétés n’évoluent souvent que par l’audace, le courage et la détermination d’une poignée de gens.
Cela me rappelle le petit groupe de citoyens de Tewkesbury dont j’étais et qui a fait fléchir la décision d’Hydro-Québec de construire un barrage qui aurait inondé la presque totalité de la vallée de la Jacques-Cartier. Une poignée de citoyens contre l’État, et nous avons gagné ! Le magnifique parc de la Jacques-Cartier en témoigne.
À vous la rondelle, maintenant, les jeunes, pour sauver et faire renaître le patrimoine maritime du Saint-Laurent, et bon courage ! Quelques vieux radoteux de mon espèce pourraient même se joindre à vous, à l’occasion, vous verrez.