Une carrière pas comme les autres
Jean-Philippe Fournier, journaliste stagiaire
Le métier antique de tailleur de pierre est méconnu au Québec. Il est pourtant essentiel pour restaurer nos bâtiments historiques. Un artisan raconte pourquoi et comment on manie le ciseau de nos jours.
Vers l’âge de 15 ans, Adrien Bobin fait la connaissance d’un tailleur de pierre qui réside près de chez lui, à Dijon, en France. Dès ce moment, il est attiré par le côté manuel du travail de la matière minérale. « En visitant l’atelier de taille, j’ai réalisé tout ce qu’on pouvait faire avec la pierre, confie-t-il. Je me suis dit que c’est cela que je voulais. Ce qui m’attire dans ce métier, c’est le contact direct avec le matériau. » Cette masse dense se travaille encore beaucoup à la main, avec des outils relativement légers, alors que le bois, par exemple, requiert plus de grosse machinerie comme des planeurs.
Le jeune homme devient tailleur de pierre en 2002, émigre au Québec et s’installe sur l’île d’Orléans, où il ouvre son propre atelier, Trilobe. Il fait aujourd’hui partie du club sélect des artisans qui font carrière dans ce domaine chez nous, soit une quinzaine de personnes.
« Je fabrique une variété d’objets : balustrades, fontaines murales, cheminées, armoiries, escaliers et lavabos, explique-t-il. Je touche aussi aux motifs décoratifs. » La restauration d’édifices historiques occupe 80 % de son temps, le reste étant consacré à des projets de création pour des clients.
À la mi-mars, Adrien Bobin participait aux Rendez-vous Maestria, à Montréal. L’événement célèbre les artisans de l’architecture et du patrimoine, acteurs essentiels de la préservation de notre héritage bâti. Avec l’aide des étudiants de l’Institut du patrimoine culturel de l’Université Laval et de Catherine Charron, fondatrice de l’entreprise Ethnologik, l’artisan a conçu une exposition pour faire connaître son métier. Tailleur de pierre, entre l’art et la matière transportait le visiteur dans l’ambiance de son atelier.
Un art méconnu au Québec
Car la taille de pierre est un art encore peu connu au Québec. Et peu enseigné. On peut s’y initier par un programme d’études professionnelles spécialisé dans ce domaine, des études collégiales en sculpture ou des formations du Conseil des métiers d’art du Québec. Cependant, la formation ne comble pas tous les besoins. « Certains tailleurs de pierre ont appris en autodidactes ou sont allés en Europe pour se former », précise M. Bobin.
Malgré tout, nous devons à ces artisans de très belles réalisations. Mentionnons entre autres la restauration de divers ornements architecturaux pour l’édifice Price et le Château Frontenac, à Québec. Adrien Bobin garde en mémoire la réfection de portails et d’armoiries à l’hôtel du Parlement : un de ses plus grands chantiers jusqu’ici, pour lequel il a collaboré avec d’autres tailleurs de pierre. « Je n’aurais pas pu faire ce travail seul, reconnaît-il. Je m’étais gardé un écusson de 8 pieds de haut à reproduire, orné d’animaux et de fleurs de lys symbolisant le Québec. Un vrai défi technique. La pierre était hors dimension par rapport à ce que la carrière offrait. »
Dans les circonstances, même le créateur le plus expérimenté doit avoir une petite frousse de donner un coup de ciseau mal placé… Être tailleur de pierre n’est pas toujours de tout repos, en effet. La pratique est passionnante, mais difficile. « Cela prend de la patience, de la rigueur et de la persévérance. Le domaine est très vaste, et c’est long avant d’en maîtriser l’essentiel. Plusieurs échecs surviennent, même quand on fait preuve de la rigueur indissociable du métier », confie l’artisan.
Un métier pour les minutieux
Quand on travaille la pierre, le respect de la procédure est primordial dans le succès des projets. « On est mis à l’épreuve à chaque étape, considère Adrien Bobin. Si le tracé est bâclé, par exemple, la suite des choses va s’en ressentir. »
D’abord, il faut discuter avec le client en profondeur pour savoir exactement ce qu’il veut. Dans le cas d’une restauration, on fait une copie des articles à reproduire. Ensuite, on choisit les pierres adéquates et on planifie comment on en fera la taille. Tracer un plan par ordinateur et produire des gabarits permet d’avoir une meilleure idée de ce qu’il faut reporter sur le matériau. Enfin, il s’agit de finir la pierre taillée et de bien l’installer.
Heureux dans son travail, M. Bobin a de nombreux projets d’avenir. « Je veux aller davantage du côté artistique, nouveau pour moi, dit-il. Généralement, je pars d’une commande et je l’exécute. J’aimerais travailler la pierre de façon créative, par curiosité. » Ça va chauffer dans son atelier de Saint-Jean-de-l’Île-d’Orléans!
En parallèle, le tailleur de pierre poursuit sa collaboration avec plusieurs collègues pour montrer au public la pertinence de leur métier dans le monde contemporain. Il compte mettre cet aspect en valeur au cours des prochaines années. « C’est important, car en dehors du savoir-faire ancien qu’il faut préserver, nous avons un réel besoin des compétences des tailleurs de pierre, conclut Adrien Bobin. Ça prend des artisans pour restaurer les bâtiments bâtis il y a plus de 200 ans. Nous sommes encore trop peu nombreux. »