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Phare Cap-des-Rosiers

Phare Cap-des-Rosiers | Source : Action patrimoine

Une nouvelle loi attendue de pied ferme

La chronique Point de mire reflète la position d’Action patrimoine dans certains dossiers chauds. Cet été, elle s’intéresse à la Loi sur les lieux historiques du Canada qui sera adoptée sous peu. 

Au Canada, chaque palier de gouvernement a un rôle à jouer dans la protection du patrimoine bâti et des paysages culturels. Du côté du gouvernement fédéral, cette responsabilité relève plus particulièrement du ministre de l’Environnement et du Changement climatique. En décembre dernier, notre organisme a d’ailleurs interpellé celui qui occupe présentement ce poste, Steven Guilbeault, afin de déplorer la démolition du pavillon de thé situé au Lieu historique national du Manoir-Papineau, à Montebello. Ce bâtiment était sous la gestion de Parcs Canada, qui l’a jugé trop dégradé pour le conserver.

Dans le domaine du patrimoine, Parcs Canada est généralement reconnu comme un chef de file au pays. L’agence fédérale a mené plusieurs projets de restauration exemplaires au fil des ans, et ce, en s’assurant de respecter les plus hauts standards de conservation au niveau national, notamment ceux imposés par le document Normes et lignes directrices pour la conservation des lieux patrimoniaux au Canada. La démolition du pavillon de thé en a donc pris plusieurs par surprise.

Cet événement montre que la conservation du patrimoine doit être renforcée au niveau fédéral. En  2017, le Comité permanent de l’environnement et du développement durable a fait un constat similaire. Composé d’élus de différents partis politiques fédéraux, ce comité a notamment signalé que le Canada est le seul pays du G7 à ne pas avoir de loi pour protéger les lieux historiques qui relèvent de sa compétence. L’année suivante, le vérificateur général du Canada a également tiré la sonnette d’alarme et a souligné que certains ministères fédéraux et Parcs Canada ne posaient pas toutes les actions nécessaires pour conserver leur patrimoine.

Dans ce contexte, le milieu de la conservation s’est réjoui lorsque le ministre Guilbeault a déposé, en juin 2022, un projet de loi visant à répondre à plusieurs de ces préoccupations. Intitulée « Loi sur les lieux historiques du Canada », cette nouvelle législation devrait entrer en vigueur au cours des prochains mois. Plusieurs éléments positifs sont à souligner, mais force est d’admettre que ce projet de loi pourrait être amélioré d’ici son adoption finale.

 

L’importance d’aller plus loin

D’entrée de jeu, mentionnons brièvement quelques bons coups de la future loi. Premièrement, elle donnera une portée légale aux principales mesures, politiques et stratégies mises en place au fil des ans par le gouvernement fédéral pour protéger le patrimoine sous sa responsabilité. Elle facilitera aussi l’accès à l’information grâce à la création d’un registre public des lieux historiques possédés ou gérés par le gouvernement fédéral. Cet outil permettra notamment de connaître la condition des biens et les interventions prévues sur ceux-ci. Finalement, la loi garantira une meilleure représentation des Premières Nations, des Inuit et des Métis au sein de la Commission des lieux et monuments historiques et assurera une meilleure reconnaissance de l’héritage de ces communautés.

Dans l’ensemble, ces propositions constituent des avancées intéressantes pour assurer une meilleure protection du patrimoine au pays. Il faut toutefois mentionner que la mouture du projet de loi proposée en 2022 en a laissé plusieurs sur leur faim. C’est pourquoi de nombreux experts et organismes en conservation, dont Action patrimoine, ont uni leur voix afin de demander au gouvernement de produire un texte de loi final plus ambitieux. Mené par la Fiducie nationale du Canada, ce groupe pancanadien a formulé, en début d’année, plusieurs recommandations pour y parvenir. Certaines d’entre elles font directement écho à des problématiques vécues au Québec au cours des dernières années.

Le groupe a notamment demandé au gouvernement de renforcer les mesures de surveillance de l’état des édifices patrimoniaux, et ce, afin de prévenir la négligence et le manque d’entretien. Par exemple, la production d’un rapport annuel sur l’état du patrimoine fédéral obligerait le gouvernement, ses ministères et ses agences à rendre des comptes sur une base régulière aux élus du Parlement et au grand public. Le groupe a également proposé de créer un nouveau mécanisme permettant aux citoyens, aux collectivités et aux organismes intéressés de se faire entendre auprès des instances gouvernementales lorsque des enjeux en patrimoine les interpellent.

De telles mesures préventives auraient peut-être permis au pavillon de thé de Montebello de connaître un sort différent. Cet événement a mis en lumière des lacunes dans le suivi de Parcs Canada à l’égard de son patrimoine. Un rapport sur l’état du lieu produit en 2011 soulignait l’urgence de restaurer la petite construction, dont les origines remontaient à l’époque de Louis-Joseph Papineau. La dégradation s’est néanmoins poursuivie et, au début de 2022, la structure du bâtiment a été sévèrement endommagée lors d’une tempête. C’est à la suite de cet incident que Parcs Canada a choisi de procéder à sa démolition. Il est difficile de savoir si l’application des recommandations du rapport de 2011 aurait permis à ce bâtiment patrimonial de résister aux intempéries. Il n’empêche que sa disparition a été déplorée par des élus et des sociétés d’histoire de la région. Ces derniers ont en outre été prévenus seulement quelques jours avant la démolition, se retrouvant pratiquement devant le fait accompli.

Parmi ses autres recommandations, le groupe mené par la Fiducie nationale a suggéré d’accroître le nombre d’entités fédérales soumises aux nouvelles mesures législatives. Bien que tous les ministères fédéraux et leurs agences soient concernés, les sociétés d’État en sont, quant à elles, exemptées, excepté pour la Commission de la capitale nationale dans la région de Gatineau et d’Ottawa. Le groupe considère que d’autres sociétés, telles que Postes Canada et Radio-Canada, devraient également être incluses. Les phares fédéraux considérés comme excédentaires ne semblent pas non plus visés par cette nouvelle loi. Rappelons qu’en déclarant un phare comme étant excédentaire, le gouvernement se libère de nombreuses obligations de conservation. Ce faisant, plusieurs de ces édifices sont entretenus de manière minimale et se dégradent, et ce, même si certains d’entre eux ont une valeur patrimoniale exceptionnelle.

La démolition du pavillon de thé de Montebello a mis en lumière des lacunes dans le suivi de Parcs Canada à l’égard de son patrimoine.

Action patrimoine est d’ailleurs préoccupé depuis plusieurs années par l’état de l’un de ces phares, soit celui du Cap-des-Rosiers, en Gaspésie. Construit en 1858, il s’agit du plus haut bâtiment de ce type au pays. Son histoire et ses qualités architecturales uniques lui permettent d’être l’un des rares phares canadiens à bénéficier à la fois des désignations de lieu historique national et d’édifice fédéral du patrimoine classé. Malgré ces deux reconnaissances, Pêches et Océans Canada l’a déclaré excédentaire, et le bâtiment ne cesse de se dégrader. Depuis longtemps, un groupe de bénévoles impliqués dans l’animation et la mise en valeur du site sonne l’alarme sur les dangers qui pèsent sur cette construction exceptionnelle.

Finalement, mentionnons que la Fiducie nationale et ses partenaires demandent au gouvernement d’assurer une meilleure protection des bâtiments qui quittent la propriété fédérale. La vente ou la cession d’un édifice appartenant au gouvernement, à ses ministères ou à ses agences devrait être accompagnée d’un engagement du nouveau propriétaire de poursuivre les efforts de protection. Les compagnies ferroviaires sous juridiction fédérale peuvent se plier à une telle mesure lors de la vente d’une gare patrimoniale, mais cela n’est pas obligatoire. C’est pourquoi nous croyons que la Loi sur les lieux historiques du Canada devrait obliger toute entité, qu’elle soit privée ou publique, à préserver et à mettre en valeur une gare patrimoniale qu’elle acquiert.

Le cas de la gare patrimoniale de Mont-Laurier, dans les Laurentides, montre la pertinence d’une telle demande de mesure de protection. Ancien terminus du chemin de fer « Le P’tit train du Nord », cette gare est la propriété du ministère des Transports du Québec depuis les années 1990. N’étant pas une propriété fédérale ou d’une compagnie ferroviaire, elle ne bénéficie d’aucun statut de protection, malgré sa valeur historique indéniable. Ce dossier préoccupe Action patrimoine depuis plusieurs mois, car le gestionnaire actuel du bâtiment, la MRC d’Antoine-Labelle, envisage de le démolir plutôt que de réaliser les travaux nécessaires à sa restauration. Il existe toutefois des exemples de bonne pratique en préservation, comme la gare du Canadien Pacifique à Shawinigan, devenue propriété municipale en 2017 et citée par la Ville lors de son achat. Ce statut lui confère donc une protection municipale.

 

Des efforts qui devront se poursuivre

La Loi sur les lieux historiques du Canada, si elle est adoptée avec les recommandations mentionnées précédemment, offrira au patrimoine fédéral une protection légale attendue depuis longtemps. Elle garantira la pérennité de centaines de lieux historiques et d’édifices fédéraux, en plus de permettre une plus grande reconnaissance de l’héritage des Premières Nations, des Inuit et des Métis.

Il faut toutefois garder à l’esprit que cette nouvelle loi ne visera pas les lieux historiques nationaux de propriété privée, qui représentent plus des trois quarts de tous les lieux historiques nationaux reconnus par le gouvernement fédéral. Au cours des prochaines années, d’autres stratégies devront donc être mises en œuvre pour mieux protéger ce patrimoine, notamment de nouvelles stratégies financières et fiscales pour encourager la restauration et la réutilisation des bâtiments anciens privés. Ce travail est nécessaire pour faire du Canada un exemple dans la gestion, la conservation et la mise en valeur du patrimoine national. ◆

 

Renée Genest est directrice générale d’Action patrimoine

Cet article est disponible dans :

Patrimoine et moulins. Du grain au pain

Été 2023 • Numéro 177

L’art au fil de l’eau

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