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Maison ancienne

Plusieurs propriétaires de maisons anciennes sont fiers d’habiter et d’entretenir leur demeure. Leurs efforts contribuent à la préservation du riche patrimoine bâti québécois. | Photo : Anne Richard

Assurer notre patrimoine, un enjeu collectif

La chronique Point de mire reflète la position d’Action patrimoine dans certains dossiers chauds. Cet été, elle aborde les difficultés que les propriétaires de maisons anciennes doivent surmonter pour assurer leur résidence.

Dans le monde du patrimoine, la problématique des assurances ne date pas d’hier. Quiconque a déjà tenté d’assurer une maison ancienne sait que cette entreprise peut s’avérer aliénante. Pour plusieurs, cela représente un réel casse-tête. Impossibilité de trouver un assureur, coût exorbitant des couvertures pour une protection de base, interruption subite de contrat sans justification : ces difficultés accablent de nombreux nouveaux propriétaires, mais également des gens dont la demeure est assurée depuis des années.

Malgré les cris du cœur des principaux intéressés, cette problématique est grandissante et ne semble pas en voie de s’estomper. Dans les dernières années, Action patrimoine a fréquemment été sollicité à ce sujet par des citoyens ou des organismes inquiets. De plus, certaines mesures présentes dans les modifications apportées à la Loi sur le patrimoine culturel (LPC) depuis l’adoption du projet de loi no 69 risquent d’accroître ce phénomène. En effet, bien qu’essentielle pour la connaissance et la préservation de notre patrimoine, l’obligation pour toutes les municipalités régionales de comté (MRC) de se doter d’un inventaire pourrait bien aggraver la situation.

C’est dans ce contexte que nous nous penchons ici sur les difficultés vécues, d’une part, par les propriétaires et, d’autre part, par les municipalités, ainsi que sur les perspectives à considérer pour sortir de cette impasse.

Un parcours du combattant

À l’heure actuelle, la problématique des assurances en patrimoine se manifeste de différentes façons. Les propriétaires, tout d’abord, sont les premiers à en subir les conséquences.

Ce que nous avons constaté, c’est que toute construction centenaire est susceptible de causer des difficultés en matière d’assurances. La situation des maisons classées par le ministère de la Culture et des Communications reste la plus difficile ; peu d’assureurs les acceptent. À titre d’exemple, même les propriétaires qui ont réussi à obtenir une assurance pour leur immeuble peuvent voir leur contrat annulé sans justification. Devant la difficulté de trouver un autre assureur, ils craignent que leur capacité à préserver leur bâtiment classé patrimonial soit amoindrie.

Les édifices classés ne sont cependant pas les seuls à éloigner les compagnies d’assurance. Des propriétaires ont également été aux prises avec des refus pour des maisons citées par une municipalité et même pour des bâtiments simplement inventoriés. À certains endroits, le seul fait qu’une construction soit située dans une zone assujettie à un plan d’implantation et d’intégration architecturale (PIIA) est suffisant pour susciter le refus d’une compagnie d’assurance. Bien qu’il ne soit pas un statut de protection patrimoniale à proprement parler, le PIIA est un outil qui peut s’avérer très pertinent pour assurer le maintien des caractéristiques patrimoniales d’un ensemble urbain et pour favoriser une intégration harmonieuse des constructions neuves au cadre bâti ancien.

En plus des interruptions de contrat subites, les propriétaires de maisons anciennes se heurtent parfois à des directives imprécises et floues dans les créneaux des compagnies d’assurance. Ce qui est incompréhensible, c’est que pour un dossier similaire, certains propriétaires obtiennent une réponse positive, alors que d’autres se voient refuser catégoriquement leur soumission, et ce, par le même assureur. Force est de constater qu’au sein même des compagnies, les dossiers de maisons anciennes semblent être traités au cas par cas, parfois sans ligne directrice claire.

Ainsi, en raison des interruptions de contrat subites et du manque de consignes claires de la part des assureurs, la question des assurances est souvent une épine dans le pied des propriétaires. De plus, les divers statuts de protection sont actuellement perçus comme un obstacle à l’assurabilité et non comme ce qu’ils sont, soit des outils bénéfiques pour la préservation des bâtiments. La situation laisse craindre que ces désagréments découragent de futurs acheteurs d’acquérir une maison ancestrale, en plus de rendre les municipalités du Québec frileuses à l’idée de se munir de tels outils, qui ont pourtant démontré leur importance pour la préservation et la mise en valeur du patrimoine.

Les municipalités aussi affectées

Au-delà des problèmes vécus par les propriétaires, c’est aussi à une échelle plus globale que se répercute l’enjeu des assurances en patrimoine. Pour le milieu municipal, des difficultés sont également présentes. Diverses MRC ont rapporté avoir été contactées par des propriétaires qui souhaitaient que leur maison soit retirée de l’inventaire du patrimoine bâti, car cette raison était invoquée par les compagnies d’assurance pour refuser une soumission. Il faut savoir que les bâtiments inventoriés par une municipalité ou une MRC ne bénéficient pas nécessairement d’un statut de protection légal en vertu de la Loi sur le patrimoine culturel, comme le classement ou la citation. Pourtant, cette différence ne fait l’objet d’aucune distinction de la part des assureurs.

Ainsi, si ces difficultés sont, à première vue, principalement expérimentées par les propriétaires de bâtiments anciens, on s’aperçoit rapidement que l’ensemble de la collectivité est éventuellement touchée. Devant les demandes répétées des propriétaires, des municipalités pourraient renoncer à des projets tels que la citation d’un bâtiment ou l’adoption d’un PIIA comme outil pour préserver le cachet d’un secteur ancien. Ultimement, c’est la qualité globale du cadre bâti qui pourrait en souffrir.

Les assureurs, acteurs de la préservation

Face à cet enjeu, par où commencer pour faciliter la vie des propriétaires de maisons anciennes et des municipalités ? Un bon départ serait certainement d’entamer une démarche de sensibilisation auprès des compagnies d’assurance. En effet, leur attitude envers le bâti ancien laisse entrevoir une incompréhension de la notion de patrimoine.

Il est vrai que les statuts de protection légaux que sont le classement et la citation impliquent un encadrement plus serré des modifications faites au bâtiment. Ainsi, pour obtenir un permis afin d’agrandir, de restaurer ou de modifier un édifice classé, tout demandeur doit faire approuver son projet par le ministère de la Culture et des Communications.

Cependant, il faut mentionner qu’en cas de sinistre, le ministère n’exige pas la reconstruction à neuf de l’immeuble. Il n’existe pas non plus de clause dans la Loi sur le patrimoine culturel qui exige qu’un bâtiment classé partiellement endommagé lors d’un sinistre soit remis à l’état identique. Certes, les réparations peuvent être plus coûteuses en raison de l’âge de la construction, mais le cadre qui guide les interventions en cas de sinistre laisse une grande place à des interprétations variées. Le refus d’assurer ces maisons, même en augmentant les primes, est par conséquent injustifié.

De plus, les compagnies d’assurance ne semblent pas faire la distinction entre le classement, la citation et l’inventaire, les deux premiers étant des statuts de protection juridique et le troisième, un simple outil de connaissance. Dans le contexte actuel, cette confusion soulève des préoccupations. En effet, avec les modifications apportées cette année à la Loi sur le patrimoine culturel, toutes les MRC se verront dans l’obligation d’adopter et de mettre à jour un inventaire du patrimoine bâti le plus exhaustif possible. Si nous sommes convaincus que cette mesure est absolument nécessaire pour mieux protéger notre legs architectural, nous devons toutefois envisager ses répercussions sur l’accessibilité aux assurances. Pour éviter d’aggraver la situation, cette nouvelle disposition de la LPC doit être accompagnée d’une sensibilisation accrue des compagnies d’assurance.

Des recours à bonifier

Surtout, il faut que les propriétaires de maisons anciennes aient des ressources vers lesquelles se tourner pour pouvoir assurer leur résidence. Quelles sont les options de dernier recours lorsqu’un contrat d’assurance est interrompu subitement ? Actuellement, le Bureau d’assurance du Canada (BAC) soutient qu’il peut intervenir si le requérant a préalablement fait des démarches auprès de cinq courtiers différents, sans succès. Cet exercice s’avère très pénible. De plus, cela ne garantit pas une soumission proposant des conditions avantageuses.

Par le passé, un partenariat entre des compagnies d’assurance orchestré par les Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec (APMAQ) avait permis de mettre en place le programme HÉRITAS, qui offrait des contrats adaptés aux besoins des résidences patrimoniales. Cette initiative n’a malheureusement pas réussi à perdurer. À l’heure actuelle, l’APMAQ est en recherche active de solutions et poursuit ses actions afin de la remplacer. Les efforts continuent donc d’être fournis par des organismes qui œuvrent à la mise en place de ce type de solutions. Or, la possibilité d’assurer une maison ancienne ne devrait pas être conditionnelle à la mobilisation constante du milieu du patrimoine bâti et à un travail de négociation à constamment renouveler. Le temps est venu de se doter de moyens pour régler ce problème durablement.

Il n’y a pas de loi au Québec ou au Canada qui oblige les assureurs à offrir une protection d’habitation. Comment l’État peut-il intervenir dans le domaine des assurances ? La réponse pourrait s’inspirer de programmes qui existent ailleurs dans le monde, notamment en ce qui a trait aux protections pour les risques liés aux inondations. Tout comme pour le patrimoine, les assureurs sont généralement réticents à l’idée d’offrir une couverture comprenant une protection en cas de catastrophes de ce type. Avec l’augmentation de la fréquence de ces phénomènes météorologiques, l’absence d’assurance est devenue problématique, et certains gouvernements ont mis en place des programmes pour venir en aide aux sinistrés. À titre d’exemple, les États-Unis et le Royaume-Uni ont désormais un régime d’assurance administré par l’État pour les propriétaires de maisons en zone inondable.

Bien sûr, les gens qui choisissent de résider dans une maison ancienne ne vivent pas les mêmes risques pour leur sécurité que ceux qui résident dans des municipalités où l’entièreté du territoire se trouve en zone inondable. Toutefois, la perte d’un bâtiment patrimonial est également une perte symbolique pour l’ensemble d’une communauté. Les propriétaires qui prennent la responsabilité de restaurer, d’entretenir et de mettre en valeur une demeure ancestrale participent de ce fait au maintien d’une richesse qui contribue à la fierté collective.

Une ère de changement

Avec l’adoption, en mars 2021, de modifications à la Loi sur le patrimoine culturel, le gouvernement semble engagé dans la mise à jour de ses outils pour mieux protéger le patrimoine. Toutefois, s’il veut réellement envoyer le message que ce legs est un bien collectif dont la responsabilité est partagée entre tous les acteurs, il ne peut laisser les propriétaires porter seuls le fardeau de l’assurance. Actuellement, les compagnies d’assurance prennent la fuite dès que la notion de patrimoine, malheureusement incomprise, fait surface. Que ce soit par un programme spécialisé pour les propriétaires de maisons anciennes ou par des ajustements législatifs, une action de l’État apparaît maintenant nécessaire pour renverser cette tendance et mieux encadrer les assurances dans le domaine du patrimoine. ◆

Renée Genest est directrice générale d’Action patrimoine et Frédérique Lavoie, agente Avis et prises de position de l’organisme.

Action patrimoine

Action patrimoine est un OBNL qui agit à l’échelle nationale pour protéger et mettre en valeur le patrimoine québécois. Depuis 1975, l’organisme poursuit sans relâche une mission de sensibilisation, de diffusion de la connaissance et de prise de position publique pour la sauvegarde du patrimoine bâti et des paysages culturels du Québec. Le contenu de la chronique Point de mire relève du comité Avis et prises de position, composé d’au moins cinq professionnels de l’aménagement du territoire qui se réunissent chaque mois.

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Patrimoine et alcool. Boire du pays

Été 2021 • Numéro 169