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Un souffle numérique pour les inventaires

La chronique Point de mire reflète la position d’Action patrimoine dans certains dossiers chauds. Cet automne, elle offre quelques pistes de solution numériques pour uniformiser et mieux diffuser les inventaires du patrimoine bâti au Québec.

Les inventaires sont un pilier essentiel de la préservation du patrimoine bâti pour les générations futures. Leurs objectifs sont de répertorier et de documenter l’ensemble des bâtiments qui présentent un intérêt patrimonial sur un territoire donné. Ils peuvent donc inclure à la fois les bâtiments classés et cités, mais également ceux qui ne disposent d’aucune protection juridique. Ils permettent aux élus, au personnel municipal ainsi qu’aux citoyens de prendre conscience de la valeur patrimoniale et de la richesse de leur milieu de vie. Hélas, les difficultés persistantes dans la gestion du patrimoine immobilier au Québec laissent croire que cet outil pourrait être utilisé plus efficacement, par exemple pour identifier les bâtiments à préserver et anticiper les menaces. Des solutions numériques pourraient-elles être envisagées?

 

Une remise en question

Déposé le 3 juin dernier, le Rapport du Vérificateur général du Québec à l’Assemblée nationale pour l’année 2020-2021 a pour sujet, entre autres, la sauvegarde et la valorisation du patrimoine immobilier. Trop souvent dénoncées par les différents acteurs du milieu, les lacunes dans la gestion du patrimoine bâti au Québec y sont mises de l’avant. Parmi les constats soulevés par le Vérificateur général du Québec (VGQ), on note l’absence d’une vision globale en matière de patrimoine immobilier, l’insuffisance d’information qui permettrait de mieux intervenir sur les bâtiments patrimoniaux, le manque d’appui aux municipalités, mais également « le portrait incomplet et la qualité variable » des inventaires.

En effet, les conclusions du rapport au sujet des inventaires sont peu réjouissantes. Le troisième constat du VGQ fait référence à la Loi sur le patrimoine culturel qui stipule que « le ministre contribue à la connaissance du patrimoine culturel notamment par la réalisation d’inventaires. Il en établit le mode de réalisation, de consignation et de diffusion » (2011, c. 21, a. 8). En plus de faillir à cette tâche, le ministère de la Culture et des Communications (MCC) ne s’assure pas que les inventaires réalisés soient mis à jour ni versés dans le Répertoire du patrimoine culturel du Québec (RPCQ).

Ce constat du VGQ implique qu’aucun mécanisme n’est mis en place pour s’assurer que les municipalités ou MRC rendent accessible le contenu des inventaires au public. Ainsi, il est possible qu’une municipalité ait les informations, mais ne les diffuse pas en ligne. Les raisons de cette décision peuvent varier : réticence de la part de propriétaires, crainte que d’éventuels acheteurs soient refroidis par une demeure ayant une valeur patrimoniale, difficulté d’assurer un bâtiment ayant une telle valeur, etc. Dans d’autres cas, l’inventaire a été réalisé par la MRC, qui ne détient pour sa part aucun pouvoir réglementaire. Dans ce cas, les municipalités sont libres de considérer ou non le travail réalisé par la MRC lors de la rédaction ou de l’adoption de leurs règlements d’urbanisme.

Les répercussions concrètes de ces constats sont que les inventaires sont partiels ou très détaillés, bien ou peu documentés, parfois mis à jour et parfois accessibles. En résumé, il n’y a aucune constance exigée ni dans la réalisation des inventaires ni dans l’information diffusée. Sans parler des municipalités ou MRC qui n’ont tout simplement pas d’inventaire. Pour ces raisons, il s’avère que les inventaires du patrimoine bâti au Québec ne sont pas pleinement utilisés.

 

Des pistes de solutions

Heureusement, certains tentent déjà de remédier à ces problèmes de documentation et de diffusion par divers moyens. Quelquefois présents sur les sites internet des municipalités ou des MRC, les inventaires du patrimoine bâti sont généralement versés au RPCQ, lui-même administré par le MCC. Toutefois, le niveau d’information qui parvient jusqu’au Répertoire varie grandement. Dans certains cas, seul le nom de l’élément inventorié par une municipalité est transmis, sans plus de détail sur sa nature, son histoire et ses caractéristiques.

En plus du dépôt au RPCQ, certaines municipalités ou MRC ont choisi de rendre leurs inventaires accessibles de façon numérique et de faire preuve de créativité. À titre d’exemple, la MRC de Lotbinière a réalisé une carte interactive de son patrimoine bâti. L’interface attrayante et facile d’utilisation permet de consulter l’information rapidement, que ce soit par les élus, par les employés municipaux ou tout simplement par les citoyens amateurs d’histoire et de patrimoine. Les touristes peuvent, pour leur part, utiliser la carte pour avoir un aperçu des bâtiments patrimoniaux d’une municipalité et se créer un itinéraire. De leur côté, les villes de Laval et Shawinigan ont choisi de rendre leur inventaire disponible directement sur Données Québec. Cette plateforme de données ouvertes permet à tout citoyen de les télécharger et les utiliser à sa façon, par exemple en répertoriant les bâtiments sur une carte, en partageant l’information sur un site web ou en mettant en commun plusieurs ensembles de données de municipalités différentes.

Ces initiatives qui permettent de rendre les inventaires accessibles sont d’excellents exemples des possibilités qu’offre le numérique, mais elles demeurent peu répandues. Malgré ces efforts, nous constatons qu’il reste du chemin à faire afin de développer le fort potentiel des outils numériques pour la mise en valeur du patrimoine bâti. Action patrimoine est persuadé qu’il est temps d’avoir une réflexion globale sur les inventaires du patrimoine bâti et leur appropriation par les citoyens québécois, afin que ce genre de partage devienne la norme.

 

Un modèle commun

Selon notre organisme, cette réflexion doit s’articuler autour de deux fondements : l’uniformisation des modèles d’inventaires et leur diffusion sous forme de données ouvertes. Ainsi, le milieu doit tout d’abord se doter d’un standard en termes de données d’inventaires, ce qui permettrait d’assurer un même langage à tous les acteurs de la province. La mise en place d’un tel standard serait l’occasion de s’entendre sur une base commune d’informations à inclure dans les inventaires, ainsi que les formats dans lesquels doivent être enregistrées ces données. Les bénéfices seraient multiples : guider les municipalités et les MRC dans l’élaboration de leur projet, les aider à récolter les informations nécessaires et faciliter la mise en commun des données afin d’avoir un portrait provincial.

Cette réflexion pourrait d’ailleurs profiter des récentes avancées techniques dans le domaine de l’informatique et du partage de données. Les pratiques actuelles du milieu et les travaux ailleurs au Canada ou à l’échelle internationale devraient inspirer la démarche québécoise. À titre d’exemple, le projet Nomenclature du Réseau canadien d’information sur le patrimoine et la norme CIDOC-CRM sont des modèles pour le patrimoine culturel qui s’appuient sur les principes du web sémantique.

Il faut savoir que l’avènement du web sémantique a contribué dans les dernières années à améliorer l’accessibilité des contenus numériques pour le grand public. Il s’agit d’une transformation du modèle actuel de page internet par l'inclusion de données structurées afin de rendre l'information lisible par les moteurs de recherche et les robots. Cette transformation facilite la découvrabilité des contenus, c’est-à-dire la découverte d'information par les internautes. En effet, les données sont souvent préférées au texte par les algorithmes de recherche. Par conséquent, un inventaire disponible sous forme de données deviendrait plus facile à trouver par les internautes. Cette nouvelle procédure offre une occasion à saisir pour le milieu patrimonial.

 

Le partage des connaissances

En plus de la standardisation des inventaires, il importe d’encourager leur diffusion sous forme de données ouvertes. En partageant les données sous cette forme, on facilite leur mise en commun puisque les paramètres de partage ont été définis en amont. Les informations y sont organisées et publiées dans un format permettant la réutilisation et sont accompagnées d’une licence adéquate. De plus, les données peuvent se trouver à plusieurs endroits : site web de Données Québec, site web des municipalités ou MRC, Wikidata, et même, éventuellement, des applications et sites web développés par la communauté. Les citoyens y accèdent ainsi plus facilement.

L’appropriation de l’information présente dans les inventaires du patrimoine bâti par la population est en effet essentielle. Souvent réalisés à partir de fonds publics, les inventaires devraient pouvoir être consultés facilement par les citoyens et organismes désireux de mieux connaître un bâtiment patrimonial. Un meilleur partage de cette connaissance favoriserait la sensibilisation de tous les acteurs à l’importance de la préservation du patrimoine. L’information devrait être utilisée plus efficacement par les municipalités et les MRC dans le cadre de l’élaboration d’un projet ou lors de la mise à jour d’un règlement d’urbanisme. Pour atteindre cet objectif, la standardisation des modèles d’inventaires et leur diffusion sous forme de données ouvertes apparaissent comme deux chantiers essentiels.

 

Une occasion à saisir

Il semble aujourd’hui évident qu’une bonne connaissance de notre patrimoine bâti est la première étape vers sa préservation et sa mise en valeur. L’acquisition de cette connaissance passe inévitablement par la qualité de nos inventaires. Or, le Vérificateur général du Québec s’est avéré sans équivoque à ce sujet dans son rapport : l’utilisation de ces derniers est loin d’être optimisée à l’heure actuelle. Par conséquent, ni le MCC ni les municipalités ne disposent de l’information nécessaire pour anticiper les risques qui guettent les bâtiments patrimoniaux et réagir de façon conséquente.

Il semble cependant que cette situation soit sur le point de changer. En décembre dernier, le MCC a annoncé un nouveau programme de soutien au milieu municipal en patrimoine immobilier, dont le volet 2 inclut l’embauche d’agents de développement en patrimoine immobilier. Leur mandat consistera, entre autres, à agir comme personne-ressource, à tenir des activités de sensibilisation, à entretenir des liens avec le milieu municipal et, évidemment, à contribuer à la réalisation d’inventaires du patrimoine. Nous considérons donc que l’arrivée de ces nouveaux acteurs constitue une fenêtre pour amener les inventaires à l’ère du numérique. C’est pourquoi il importe, dès maintenant, d’ouvrir la discussion sur l’uniformisation des inventaires et leur accessibilité.

 

Cet article est disponible dans :

Patrimoine familial. Pièces d'identité

Automne 2020 • Numéro 166

Vestiges d'amour et autres legs familiaux

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